Apocalypses et aigrefins – Robert Barr

apocalypses et aigrefinsAprès « Fantômes et assassins », que nous avions précédemment chroniqué ; ce sont seize autres nouvelles de Robert Barr que propose ce volume, sous l’élégant titre d’ « Apocalypses et aigrefins ». Au programme, un vaste registre puisqu’on va du récit classique à l’anticipation ancienne en passant par le crime, l’arnaque, l’aventure orientalisante ou la fable grinçante.

Jeu d’échecs fatal grandeur nature et vengeance diabolique d’un magnat de l’électricité (« Une partie d’échecs »), ruse et rouerie savoureuses des siècles passés (« Amende honorable »), fable morale particulièrement grinçante sur les classes sociales (« Opération boursière »), mésaventures en Turquie d’un ressortissant britannique confronté à la cruauté gratuite des orientaux, avec un humour britannique et ce léger racisme à froid qui serait de nos jours censuré par les apôtres du politiquement correct (« Le Prisonnier du pacha »), humour british encore, et parfaitement dosé, avec les hilarantes « Métamorphoses de Johnson », dont on préfère ne rien révéler pour en laisser la pleine appréciation au lecteur. Un humour pince-sans-rire que l’on retrouve encore dans « La Chimie de l’anarchie », ou comment se débarrasser à tout jamais d’un club d’anarchistes à l’aide d’explosifs… mais surtout grâce à un discours diabolique.

Quand deux hommes d’affaires britanniques, tout d’abord associés puis ennemis s’en vont chacun de leur côté chercher fortune dans les grands espaces américains sans savoir que l’autre y est également, cela donne « En marge de la loi ». Une nouvelle teintée d’un particulièrement humour féroce qui fait penser aux récits brefs de western qu’écrira Robert Erwin Howard quelques décennies plus tard. Autre mise en scène d’une détestation intense et même aspect grinçant avec le récit d’assassinat intitulé « Divorce à la montagne » : une nouvelle à chute, à tous les sens du terme.

Qui a gardé en mémoire la très fameuse et très classique nouvelle d’Auguste de Villiers de l’Isle Adam, « La Torture par l’espérance » (1887) concevra d’emblée quelques doutes quant à l’issue du texte intitulé « Le plus fourbe des deux ». Fourberie identique en effet pour ces deux textes qui semblent avoir été tissés sur un même canevas, à tel point que l’on peut raisonnablement songer que Robert Barr, avec ce récit publié en 1894, a transposé à sa manière la nouvelle de l’auteur français.

Drame romantique avec « Le sixième banc », une nouvelle d’une tristesse absolue, une mise en scène très brève, tirée au cordeau, d’une fatalité sans pitié. Là encore, on a l’impression de distinguer l’influence des grands maitres français, les Barbey d’Aurevilly, Villiers de l’Isle Adam et autres Guy de Maupassant.

Qui est le plus malin, le plus fort et le plus puissant, celui qui a fait fortune au mépris de tous les pronostics, ou celui qui a échoué et demeure modeste ? On l’apprendra en lisant « Le Sorcier de Wall Street », qui met en scène un étonnant employé de chemin de fer au premier abord passablement psychorigide mais en fait bien plus perspicace et sagace que l’on pourrait le croire.

On pourrait croire à la lecture de « L’Exterminateur », pas absolument convaincant, que l’auteur est un petit cran au-dessous quand il s’essaie à l’anticipation scientifique, mais, avec « La fin de Londres » récit où le smog finit par l’emporter sur ses habitants, et où le narrateur ne survit que grâce à la machine à oxygène d’un inventeur yankee, il brosse un tableau particulièrement évocateur. On se souviendra de l’errance à travers un Londres apocalyptique où l’on se trouve confronté à « un omnibus immobile surgi du brouillard tel un spectre, ses chevaux tombés raides morts sur le pavé et son cocher tenant leurs rênes d’une main désormais sans vie. Les passagers, tout aussi silencieux, étaient tantôt assis sur leurs sièges, tantôt penchés aux fenêtres dans des attitudes horriblement grotesques. » Et les gares jonchées de cadavres et les trains emplis de trépassés n’ont pas grand-chose à envier aux horreurs modernes. Même tendance apocalyptique, mais avec un humour particulièrement british, pour « A deux doigts de la fin du monde » qui décrit, sur un ton journalistique, comment la fin de la faim dans le monde et son processus industriel aboutissent, par les effets cumulés de surproduction d’oxygène et d’azote, à la destruction par le gaz hilarant et par l’explosion des nations industrialisées.

On le voit : tout est à garder dans ces seize nouvelles écrites à la perfection, calibrées au plus juste, sans un mot de trop, sans digressions inutiles. Qu’ils soient dramatiques ou pleins d’humour, ces récits sont souvent particulièrement grinçants, et plus d’un lecteur pensera certes aux classiques, mais aussi à des auteurs comme Ambrose Bierce, qui n’eût sans doute pas renié bon nombre de ces textes. Les nouvelles d’« Apocalypses et aigrefins », publiées en longue originale entre 1892 et 1905 et reprises pour la plupart en langue française entre 1899 et 1828 le démontrent aisément : un récit écrit avec art défie sans peine le temps. On ne se laissera donc pas impressionner par l’ancienneté de ces nouvelles et l’on se plongera avec profit dans ce volume qui contient plus d’un texte mémorable.

La collection Baskerville sur eMaginarock

Robert Barr Fantômes et assassins

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Richard Marsh Curios

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Mrs Oliphant La ville enchantée

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Robert Barr Apocalypses et aigrefins (choix et présentation : Jean-Daniel Brèque)

Traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, René Lécuyer, Francis Marston, Richard D. Nolane et Gaston Sévrette

Illustration de couverture : J.M. Ponzio

Collection « Baskerville », Rivière Blanche, éditions Black Coat Press

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