L’Oscuru est une petite pépite toute jeune dans la scène métal que j’avais très envie de vous partager. Ce groupe qui navigue entre post-metal et influences fortes du post-black et du shoegaze, propose des compositions assez originales au sein des musiques extrêmes, puisqu’elles sont en langue corse. L’Oscuru qui signifie l’obscur s’est formé à Ajaccio en décembre 2020 grâce à quatre musiciens : Nico Galleri à la basse, Julien Pasqualaggi et Baptiste Nativi à la guitare, Marc’Antone Mucchielli à la guitare et au chant. Ils sont rejoints récemment par Benjamin Rusterucci en charge des renforts voix sur l’EP. Plutôt habituée de la scène Core, chroniquer un EP de post-metal ou post-black représente un petit défi pour moi mais j’ai été charmée par l’ambiance et l’originalité de leur chansons.
Le groupe a fait le choix de présenter une direction artistique et des compositions articulées autour des symboliques et de l’imaginaire collectif en Corse. Les chansons traitent ainsi de son ésotérisme païen, de ses mythologies et de ses contes et légendes mais avec pour objectif d’aborder des problématiques plus actuelles propres à l’île de beauté, malgré l’évidente splendeur de ses paysages et le charme de sa culture. Cette mise en abîme permet ainsi aux musiciens de parler également des problèmes de spéculation immobilière sur l’île, de sa bétonisation, de la prolifération de méthodes crapuleuses, de la désertification rurale, du déclin de la langue corse ou encore de son isolement. On comprend ainsi que le groupe a véritablement à cœur de partager et préserver ce qui fait la beauté de leur île. Et je ne peux qu’être d’accord avec eux tant la Corse a du charme, qu’il s’agisse de ses paysages, de ses habitants, sa culture. Je ne suis peut-être pas complètement objective parce que j’y ai de la famille proche, mais il y a quelque chose de sauvage, magnifique et un peu mélancolique dans la nature de l’île qui en fait un thème parfait pour ce style de metal. On trouve déjà plusieurs formations d’un metal qu’on va dire régional mais on pense plus souvent au metal celtique, dont les thèmes tournent autour des mythologies celtes et souvent chanté en anglais. Il y aussi pas mal de groupes nordiques qui proposent un metal chanté dans leur langue natale. Je ne connais par contre absolument pas la scène metal corse et j’ai eu un peu de mal à trouver d’autres groupes corses que je connaissais d’autant plus en langue corse et dans ce style.
Le groupe a sorti le 30/05/2023 son premier EP composé de 3 titres. Les compositions sont assez longues, entre 6 et 9 minutes et s’éloignent des structures classiques. Par ailleurs, le groupe a fait le choix d’un enregistrement et d’une production plutôt lo-fi. Le son apparait plus brut, plus « sale » (pas au sens péjoratif du terme bien entendu), plus garage. On sent les influences du black des années 90 et ça tranche particulièrement avec les vagues beaucoup plus modernes de metal à la post-production beaucoup plus « propre ». Je l’interprète comme une volonté des musiciens de délivrer quelque chose d’authentique et épuré, brut et touchant, plus introspectif. Il en ressort une ambiance très mélancolique tout le long de l’EP mais aussi très sombre. La pochette illustre d’ailleurs très bien ce sentiment, deux murs de pierre nus en noir et blanc. Malgré mon habitude des sons Core avec énormément de profondeur de basse et un son plus lisse et plus lourd, j’ai vraiment aimé le grain de ces chansons. A cela s’ajoute le chant clair en langue corse qui apporte vraiment quelque chose de plus à l’ambiance. J’aime beaucoup les chants dans des langues latines, je trouve que ça donne une certaine profondeur et mélancolie aux chansons.
La première composition, Lamentu Di U Banditu débute sur un long passage avec le chant seul qui me rappelle le fado portugais. Ça sonne comme une complainte, le chant est vraiment très beau, c’est assez fort. Progressivement, guitare et batterie s’ajoutent au chant et proposent une mélodie très lancinante, progressive, mélancolique. Le morceau sonne presque plus post-rock avant de s’intensifier avec les guitares saturées et les renforts de voix sur la troisième partie de la chanson. Le chant gagne en profondeur et le son devient un peu plus lourd, plus proche du black.
La seconde chanson de l’EP est Animali Salvatichi. Le morceau débute sur le son des guitares, un son plus brut, sale et saturé et une ambiance plus proche du post-black. Après une première respiration, une guitare seule prend le temps d’introduire la mélodie qui accompagne ensuite le chant clair. Les percussions sont très épurées et donnent une atmosphère un peu tribale, au rythme très marqué. Le chant s’intensifie progressivement et je félicite de nouveau la puissance de la voix du chanteur. Les guitares saturées reprennent ensuite le lead sur le morceau avant une nouvelle pause plus douce et mélodique. On est sur quelque chose de très progressif avec finalement beaucoup de variations sur un morceau pourtant très long. Le chant est renforcé par des chœurs à la fin du morceau qui donnent beaucoup de profondeur. Le tout très lancinant se termine comme il a débuté par les guitares saturées au son très brut mais associé à un peu de scream plutôt typé black que j’ai bien apprécié.
On finit avec le morceau He Ora Master un peu plus court que le précédent. C’est pour moi le morceau le plus « metal » du groupe et aussi mon préféré. La chanson débute sur des guitares aux sonorités très black associées au chant clair et puissant du chanteur. J’aime beaucoup la mélodie de cette chanson là et la structure est un peu plus « classique ». Il y a de très beaux renforts voix, types chœurs sur le refrain. On entend de nouveau quelques renforts scream qui fonctionnent très bien et que j’aurais adoré voir encore plus présents. La chanson progresse à nouveau jusqu’à une pause à la guitare et un texte parlé en langue corse. Puis ça repart plus fort, plus saturé et avec les renforts screamés et finalement le chant clair. Le morceau gagne en puissance et termine plutôt bien cet EP sur une note plutôt forte.
L’Oscuru c’est un groupe qui a énormément de potentiel et qui a vraiment soigné son projet et sa direction artistique. Ils ont un thème clair et conserve leur cohérence sur leurs chansons. Les compositions peuvent être un peu longues et progressives et le son plutôt brut peut aussi un peu décontenancer. Mais j’ai finalement plutôt apprécié et j’ai découvert justement des morceaux assez riches. Autant je ne suis pas une grande auditrice de black et de post-black, par contre j’aime beaucoup le metal progressif et j’apprécie quelques compositions de doom ou de sludge et c’est cette langueur, cette mélancolie qui m’ont séduites. Je suis en général moins fan des enregistrements très lo-fi mais quand ils sont cohérents avec le projet artistique je trouve que ça donne un grain vraiment intéressant aux chansons, comme dans des groupes de metal des années 90 aux sonorités très brutes. Le chant est vraiment très beau et m’a particulièrement rappelé le fado portugais, qui me touche énormément. Ça donne beaucoup de puissance aux morceaux. Les renforts voix auraient tout intérêt selon moi à être encore plus exploités et enrichis et en particulier côté scream. J’aurais envie de leur suggérer d’intégrer du scream de manière plus prononcée dans leur morceau, un scream typé black qui je pense fonctionnera très bien avec leurs mélodies et leur son. C’est ce qui selon moi manque un peu sur ce projet pour le moment. Mais qui sait ce que nous réserve le groupe pour un prochain album ? J’aurais tendance aussi à vouloir un peu plus de variations dans les morceaux mais je pense que je suis aussi biaisée par le metal que j’écoute habituellement, et ça risquerait aussi de gâcher le côté progressif et l’atmosphère mélancolique. Je suis donc vraiment curieuse de découvrir la suite de leurs projets musicaux qu’il s’agisse d’un album, de clips et bien sûr de scènes ! J’ai l’objectif de retourner voir mes proches en Corse d’ici quelques mois, j’espère les y croiser mais je serais aussi ravie de les voir sur nos scènes franciliennes !