Après avoir nourri les univers de Christopher Nolan, Hans Zimmer semble happé par les films de Denis Villeneuve. Dans la lignée de Blade Runner 2049, il signe pour Dune un score dominé par le sound design, mais parcouru par une identité très forte.
Depuis quelques années, Hans Zimmer a basculé dans une certaine radicalité musicale. L’auditeur poli le présente souvent comme « efficace avec l’image mais inécoutable en dehors du film ». Ce virage a été amorcé avec Christopher Nolan sur la trilogie Dark Knight, Inception, Interstellar ou Dunkirk. Il se poursuit avec d’autres réalisateurs comme Ron Howard (Inferno) ou Denis Villeneuve (Blade Runner 2049), sur d’autres projets aussi (X-MEN : Dark Phoenix). Justement, le réalisateur canadien se retrouve aux commandes du nouveau blockbuster SF de la Warner, Dune, adaptation du mythique roman de Franck Herbert. Les deux hommes se disent grands fans d’Arrakis et de son univers. Que donne cette nouvelle collaboration ?
À la première écoute il est difficile de cerner ce Dune aride où perce, de tant à autres, un beau moment contemplatif ou un thème entraînant. Zimmer y joue la synthèse d’influences, avec le choc improbable des chœurs orientalistes qui rencontrent la cornemuse.
La maison Atréides est illustrée par cette thématique celtique. D’un côté la noblesse de la soliste, dans un exercice proche de King Arthur, de l’autre un mur de cornemuses aux accents électroniques forment l’imposant contenu au menu de House Atreides. C’est une piste phare de plus de dix minutes qui est à mon sens la meilleure de l’album. Elle présente un thème identifiable et puissant, qui accompagne dans le film l’arrivée sur Arrakis des Atréides et la scène de bataille d’Arrakeen. Dans une même idée, Bear McCreary avait également sorti la cornemuse pour Battlestar Galactica : une idée commune de la noblesse de l’instrument/du personnage illustré qui se démontre ici dans deux projets SF totalement différents.
Moon over Caladan est l’autre piste rattachée à cette thématique. Plus atmosphérique, elle est moins facile d’accès.
Dans la mise en avant des chœurs orientaux, Hans Zimmer réutilise des idées passées. Les chuchotements de Grains of Sand rappellent ceux du thème d’Electro dans Amazing Spider-Man 2. Les chœurs qui répètent avec plus d’intensité la même litanie (Song of the Sisters) celui de Bane dans The Dark Knight Rises, alors que la même piste s’ouvre sur le sound design orageux d’Interstellar. Cette dernière piste est assez agressive et parfois envoutante, restituant à merveille la complexité des Bene Gesserit.
C’est le thème principal de ce Dune version 2021 qui est le plus marquant. Joué d’abord par un Duduk lancinant, il prend de plus en plus d’ampleur en étant doublé par la guitare électrique. Paul’s dream l’expose le plus clairement, mais il est très présent tout au long de l’album, parfois à peine évoqué, parfois plus développé (I see you in my dreams, en version apaisée ou chorale par exemple, Shortening the way et ses variations à la guitare électrique où Johnny Marr se fait plaisir).
On retrouve aussi des motifs à la Gladiator comme aux alentours de 3 minutes sur I see you in my dreams, piste très riche d’emprunts puisqu’on y entend aussi des chœurs à la Broken Arrow vers dix minutes.
Nous avons droit à beaucoup de musique pour la sortie de Dune au cinéma : en plus du classique album, Hans Zimmer a mis à disposition le sketchbook, où de longues suites construisent un dispositif immersif.
L’album segmente beaucoup et compte peu de pistes de plus de cinq minutes. Il y a quelques beaux moments (Herald of a change et le thème en mode mineur, leaving Caladan, Armada) noyés dans des pistes sans intérêt.
Le Sketchbook, sur lequel porte ces quelques lignes, joue l’excès inverse : tout est intéressant ou presque, il y a de grands moments, mais il faut les attendre et certaines pistes se révèlent indigestes (cf l’insipide Shai-hulud ou le très techno Mind-killer). Il permet finalement de mieux cerner le travail thématique du compositeur. Les deux semblent complémentaires si l’on veut vivre une expérience musicale globale, ce qui est une chance quand on sait le peu d’intérêt que les studios portent aux BO depuis quelques années. Un troisième album de complément est encore attendu.
La musique de Dune est une production typique du Zimmer récent : elle allie sound design et thèmes sans forcément rendre l’écoute longue agréable. Elle compte ses beaux moments. Si l’on veut une musique plus classique du compositeur, il faudra se tourner vers No time to die qui sort au même moment et qui est une partition à l’ancienne. Celle de Dune est intrigante, souvent prenante, parfois irritante, mais elle prolonge et complète à merveille l’expérience du film.