Le premier album de TRANK, The Ropes, m’a clairement séduit et j’ai donc posé quelques questions à Michel, chanteur du groupe, afin d’en savoir un peu plus sur eux, leur processus de création…
Bonjour, et merci de prendre quelques minutes pour répondre à mes questions. Est-ce que tu peux tout d’abord te présenter et nous expliquer ce que tu fais dans TRANK ?
Merci à toi. Tu veux dire à part le ménage ? (rictus carnassier). Je suis Michel, principalement le chanteur du groupe et auteur des textes. Je m’occupe aussi de la partie programmations, claviers, samples et autres cordes, et je participe avec les trois autres au travail de composition et d’arrangement des chansons. On a tous des rôles multiples dans le groupe, qu’il s’agisse de la façon dont on crée la musique – ou dont on s’occupe de tout l’aspect managérial : en tant que groupe totalement indépendant, on est bien obligés d’être tout le temps au four et au moulin, mais ça fait partie du plaisir d’être libres de faire exactement ce qu’on veut artistiquement.
Comment en es-tu venu au metal, à la fois en tant que fan et en tant que musicien ?
Je ne peux que te donner ma réponse – elle serait différente pour chacun d’entre nous. Quand le virus de la musique m’a pris pour de bon, autour de 14 / 15 ans, j’ai commencé par des styles qui n’avaient rien à voir avec le métal – je venais beaucoup plus de la new wave électro façon Depeche Mode ou New Order, dont je suis toujours archi fan ; ou les groupes industriels et électro-torturés de chez Mute Records et autres Play It Again Sam, d’Einstürzende Neubauten à Cabaret Voltaire ou Front 242. J’ai du coup attaqué la musique en achetant un, puis deux, puis la tonne de synthés, que je bricolais dans ma chambre d’étudiant (comme l’argent de la bouffe passait dans les machines, je n’avais pas grand chose d’autre à faire que de bidouiller…). Et jamais à l’époque il ne me serait venu à l’idée de chanter. Mais il y avait parmi mes meilleurs amis des fans des classiques des 70’s – Zeppelin, Sabbath et autres Deep Purple, et c’est par là que j’ai commencé ma route vers le métal, en redécouvrant aussi Queen, AC DC et Van Halen que mon frère et d’autres gens plus âgés que moi dans ma famille adoraient quand j’étais gamin. La NWOBHM en revanche, Maiden et autres, dont les mêmes amis étaient fans, n’était vraiment pas mon truc, ni le hard 80’s façon Guns – que notre bassiste, David, adore.– et encore moins les trucs extrêmes du genre death. Le vrai virage du hard vers le métal, je l’ai pris dans les 90’s. Il a fallu d’un côté, le black album de Metallica pour que je perçoive le pont entre le thrash d’un côté, et de l’autre le post punk d’un groupe comme Killing Joke, ce mélange de puissance et de tension très atmosphérique, avec des basses lourdes et menaçantes – ce qui m’a plus tard amené à adorer le goth metal de gens comme Paradise Lost, Type O Negative puis Lacuna Coil. Peu de temps après, il y a eu le vrai choc – le métal industriel de Nine Inch Nails puis Ministry, Rammstein et d’autres, qui mélangeait l’agression du métal avec le côté tordu, expérimental et électro-toturé que j’adorais chez tous les groupes de ma prime jeunesse (Trent Reznor est ultra fan de Depeche Mode). Mordu. Et puis dans la foulée, ce qui m’a aussi accroché dans le métal, c’est la touche d’angoisse amenée par le grunge à des groupes comme Soundgarden, Alice in Chains et autre Stone Temple Pilots ; puis le nu metal de Deftones ou, bien plus tard, de System of a Down. Pour ce qui est de jouer et chanter des chansons inspirées de tout ça, ça n’a commencé qu’avec TRANK, même si j’ai passé des années dans un groupe de reprises qui avait entre autres à son répertoire pas mal de classiques du hard 70’s ; ça m’a appris la base, et aidé à trouver ma voix.
Comment définirais-tu la musique de TRANK ?
Pas comme du métal J. Beaucoup de gens nous parlent de « métal alternatif », en pensant au mélange guitares / électro assez puissant et mélodique de groupes comme Disturbed. Pour nous, on fait du rock alternatif, dans lequel le métal est une influence parmi d’autres. Entre nous, on sait qu’on a un style cohérent et vite reconnaissable, un territoire, si tu préfères, délimité par quatre coins : la puissance du métal – surtout du métal 90’s façon Soundgarden ou Deftones, le côté accrocheur du rock alternatif un peu épique façon Muse, les mélodies et les atmosphères électroniques de la cold wave – de Depeche Mode à Killing Joke, et les raffinements sonores d’un certain prog métal. On est très clairs sur ça, mais personne na été foutu jusqu’ici de donner un nom au territoire en question – du coup on se dit qu’on fait du TRANK, et ça nous va bien J. Si ça peut aider tes lecteurs, ce qu’il y a de systématique dans nos chansons c’est une série d’équilibres. On marche délibérément entre puissance et émotion, entre intensité mélodique un peu noire et quelque chose de très accrocheur, de facilement accessible ; avec un son à la fois massif, tranchant, mais aussi très fouillé et recherché, qu’il s’agisse du mix ou des arrangements, pour que l’idée et l’émotion centrale de chaque chanson soit mise en scène avec le plus d’impact possible, et qu’on puisse réécouter l’album en boucle en découvrant à chaque fois un détail nouveau qui accroche l’oreille. Ce genre d’équilibre et de lecture à plusieurs niveaux se retrouve aussi dans les textes : on aime l’idée d’un chant auquel les gens puissent se raccrocher par l’émotion, avant d’en découvrir les sens possibles avec le temps. Et on alterne le rentre-dedans avec des moments plus calmes, parce que le pied-au-plancher tout le temps ne nous intéresse pas. Il y a assez de gens qui font ça très bien. Du coup, quand on a fait la première partie d’Anthrax, leur manager nous a expliqué qu’ils nous avaient choisis (après avoir rejeté genre 20 groupes candidats…) précisément parce que, sans être du métal, notre musique plaît aux fans de métal.
The Ropes est le premier album du groupe. Comment s’est passée son écriture ? Qui compose la musique et qui écrit les paroles ?
Tout commence avec la mélodie : le riff et la progression d’accords. La musique est en général apportée sous forme d’idée, embryonnaire ou déjà assez aboutie, par l’un d’entre nous, souvent Julien (guitares) ou David (basse) ; puis je structure l’idée (cette partie ci est un couplet, l’autre un refrain, et doublons donc ce truc-là pour en faire un pont…), avec Johann, notre batteur, qui a un excellent sens de la dynamique et avec qui on fait en sorte que chaque idée mélodique de base soit développée sans temps morts ni raccourcis abusifs. Puis on prend cette structure comme colonne vertébrale, et on l’arrange à quatre, en home studio chacun de son coté puis en salle de répète. Une fois qu’on a une base guitare / basse / batterie qui se tient, je commence par ajouter un peu de couleur avec les synthés (que je collectionne) et samples, puis on retravaille un coup pour être certain que tout fonctionne ensemble. Une fois l’instru achevé, je pose le texte et la mélodie vocale. Il arrive aussi que j’amène un morceau complet au groupe – sous forme de démo avec la structure et la voix complètes, mais sans arrangements, pour que le morceau reflète au final l’identité sonore du groupe, ce côté à la fois massif et fouillé qui tient énormément aux styles de jeu et au son de chacun.
D’où est venue l’idée d’utiliser du shibari pour illustrer cet album, même si clairement le titre s’y prête ?
Précisément du fait que le titre et le texte de « The Ropes », la chanson qui a donné son nom à l’album, s’y prête – toute l’imagerie cordes de l’album vient de son clip. On s’est rendu compte assez vite qu’il y avait un lien thématique entre les chansons de l’album : elles parlent toutes de relations, des liens qui nous lient les uns aux autres – voulus ou imposés, bénéfiques ou destructeurs, simples ou compliqués. La chanson « The Ropes » traite de ce sujet-là de manière plus explicite que les autres, avec une analogie basée sur le SM. En discutant du concept du clip à venir avec Alban Verneret, notre réalisateur et directeur visuel, j’ai évoqué l’idée d’une référence au bondage, mais en insistant sur le fait, important pour nous sur tous les plans, d’éviter les clichés – dans le cas précis, cuir, chaînes et police de caractères gothique… Alban a eu l’idée du Shibari, l’art et la discipline du bondage japonais, et il a fait appel à de vrais professionnels du genre, qui ont mis leur talent au service du clip. On est extrêmement fiers du résultat, qui parle de tout ça avec une sorte de spiritualité immaculée, très loin des clichés qu’on voulait éviter. Du coup, c’était naturel de demander à Alban de créer la pochette en utilisant le matériau filmé et photographié pendant le tournage du clip.
Quelle est ta chanson préférée de l’album, et pourquoi ?
Tu me demandes de choisir entre nos enfants. Donc je vais faire semblant de ne pas avoir compris la question… Ce que je peux te dire, c’est que sur toutes les critiques de l’album, qui sont d’ailleurs toutes dingues, il n’y en a pas deux qui citent les mêmes chansons comme les « favorites » du chroniqueur. Et puisqu’on en parle, tu as toi-même dit ça très bien dans ta chronique, qui nous a beaucoup touchés : tout en ayant son style propre, l’album est très varié, et choisir entre les chansons celle qu’on préfère est plus une question de préférence personnelle que de qualité. Chacune des chansons de l’album se situe en un point différent de notre « territoire ». C’était voulu – et ça rend le choix difficile J. Et on n’a rien mis sur l’album dont on ne soit pas fier à 100%.
Point de vue clips, vous avez sorti des choses avec Bend Or Break et The Ropes. Qu’où vous viennent les idées qui permettent ces créations ?
De notre collaboration avec Alban Verneret, dont je te parlais plus haut. Si Yvan (notre ingénieur et coproducteur) est le cinquième membre du groupe, Alban est le sixième. C’est un photographe très réputé qui a commencé il y a quelques années à tourner des clips pour des groupes alternatifs et qui est tombé raide dingue de ce qu’on fait. Il a une compréhension instinctive de la musique de TRANK et de la façon dont les textes fonctionnent à plusieurs niveaux, doublée d’un flair visuel incroyable et d’une rapidité d’exécution proprement surhumaine. Avant chaque tournage, je discute avec lui du concept de la chanson, on se met d’accord sur un concept de clip qui la traduit visuellement d’une manière à la fois marquante et visuellement élégante – parce que c’est important pour lui comme pour nous, comme je te le disais plus haut, de ne pas tomber dans le genre de clichés esthétiques qu’on associe au métal un peu par défaut. Et à partir de là, on lui fait totalement confiance.
Le groupe a quand même fait des premières parties plutôt sympathiques (dont Deep Purple). Si tu devais choisir un groupe, existant encore ou non, qui choisirais-tu pour jouer avec vous ?
Encore une fois, la réponse serait différent pour chacun des quatre membres du groupe – on a tous des goûts très éclectiques mais assez complémentaires, avec un centre de gravité différent pour chacun. Pour moi ce serait Depeche Mode, et Nine Inch Nails en second choix.
2020 a été riche en sorties d’albums. Quel serait ton album de l’année, hormis celui de TRANK bien évidemment ?
Il y en a eu d’autres ?
Oui, bon, mauvaise blague. Je vais justement dire les deux derniers Nine Inch Nails, les suites de l’album instrumental « Ghosts », sorties le même jour en début d’année. Trent Reznor est un génie de l’atmosphère et du design sonore. Il fait en son ce que Ridley Scott, David Fincher ou Denis Villeneuve font au cinéma : mettre en scène la laideur avec une beauté incroyable.
Merci pour te réponses et à bientôt au détour d’un concert !
Merci à toi, et pour ce qui est des concerts, t’as MEME PAS IDEE du point auquel on a hâte de rejouer…