Aller et retour
Wastburg est à l’origine un roman signé Cédric Ferrand, prenant place dans un univers de low fantasy crapuleuse – plus précisément au sein de la ville de Wastburg, coincée entre deux royaumes en froid. Par une construction en mosaïque des plus habiles, l’auteur nous y dépeint le quotidien des « gardoches » : les miliciens du guet chargés de maintenir l’ordre dans cette cité médiévale certes truculente, mais aussi pétrie de complots mesquins et d’intrigues tortueuses. Style fleuri et metaplot intelligemment mené ont fait de Wastburg l’une des plus sympathiques réussites de la fantasy française récente.
Comme beaucoup d’écrivains oeuvrant dans le genre, Cédric Ferrand a fait ses premières armes dans le jeu de rôle (il collabora activement à la deuxième version de Casus belli et fut auteur sur des gammes comme Vermine). Wastburg est son premier roman et il paraissait logique donc de le voir adapté au média rôliste – un retour aux sources en quelque sorte, comme cela fut le cas récemment des Chroniques de Féals (adaptées de Matthieu Gaborit) ou des Lames du Cardinal (adaptées de Pierre Pevel). Différence majeure ici : c’est l’auteur de l’œuvre originelle qui signe lui-même l’adaptation de son roman en jeu de rôle ! Et pour l’occasion, il s’est entouré de plumes complices, aussi bien trempées que la sienne – jugez-en donc : Phillipe Fenot, Tristan Lhomme, Jérôme Larré, François-Xavier Cuende…
Et l’éditeur n’est autre que les XII Singes, qui pour le livre de base n’ont pas hésité à innover en proposant Wastburg sous forme d’un pack comprenant trois livrets (univers, règles, scénarios) enrobés dans un double-folio (l’un faisant office d’écran et l’autre présentant la carte de la cité) – une présentation qui a depuis été reprise pour Tenebrae. Un premier supplément (Gardoches partout, Justice nulle part) proposait une grosse aide de jeu pour créer son propre quartier (des personnalités qui le peuplent à son argot spécifique) ainsi qu’un dense scénario – le tout sous la forme d’un livret rapide à lire pour une utilisation en jeu immédiate.
Wastburg propose aux joueurs d’incarner des gardoches, membres de la milice de maintien de l’ordre dans cette cité inspirée d’Ankh-Morpork aussi bien que de Lankhmar. Ils y seront confrontés à un quotidien entre sordide et drôlerie (ou sordide drôlerie) et devront se tailler un chemin au sein de la hiérarchie en sachant naviguer en eaux troubles – au risque d’y perdre leur intégrité (mais bon, après tout la valeur de l’honnêteté ne se chiffre pas en gelders – la monnaie locale). Les règles donnent la part belle à la narration grâce à un système à base de « oui, oui mais ; non, non mais » ; etc.) et la technique a tôt fait de s’effacer au profit des histoires racontées – car les scénarios sont réellement le cœur de la gamme.
Écheveau
Et la Nuit résonnera de Mille Crimes reprend la présentation en livret et propose donc un imposant scénario qui mêle plusieurs intrigues de façon entrecroisées, dans un huis-clos à la fois spatial (la ville de Wastburg) et temporel (tout se passe en une nuit). Difficile d’évoquer ces intrigues mélangées sans les déflorer (même avec des balises « spoiler »…), aussi contentons-nous de parler de la construction et de la présentation du scénario.
Quatre gros fils rouges se détachent ainsi et l’action se déroule durant la Barriquade, une fête de la bière propice à tous les débordements ! En préambule, une rapide introduction présente le contexte et les enjeux, ainsi que les forces en présence. Les intrigues sont résumées rapidement puis chacune est alors développée à la faveur d’un chapitre entier. Ensuite, une chronologie des évènements qui vont s’enchaîner est déroulée demi-heure par demi-heure – listant les nombreux évènements auxquels les PJ incarnant des gardoches pourront être confrontés.
Rempli de péripéties et plutôt dense, Et la Nuit résonnera de Mille Crimes n’est pas un scénario d’un abord simple. Le meneur de jeu doit savoir entremêler au mieux les divers fils rouges tout en respectant la chronologie – le tout en tenant compte des actions de ses joueurs et en faisant de son mieux pour respecter l’ambiance si particulière de Wastburg. Mieux vaut donc avoir un peu de bouteille afin de mettre l’intérêt de ce supplément en exergue de la meilleure des façons. Heureusement, les auteurs nous y aident : entre l’introduction précisant d’emblée divers points et des aides de jeu pertinentes (plans, tableau récapitulatif…), les XII Singes sont fidèles à leur tradition de « prêt-à-jouer ».
Ainsi, ce scénario pourra aisément occuper plusieurs sessions avec un groupe motivé et un meneur de jeu capable de gérer sa construction particulière. Le jeu en vaut clairement la chandelle car l’aventure proposée tire vraiment profit de l’ambiance particulière de Wastburg !
Gelders et compagnie
La dernière partie de ce supplément propose une petite mécanique de gestion des ressources. Wastburg n’étant pas un jeu de micro-économie, les quelques règles présentées sont clairement à tendance narratives – on gère à la louche par des traits aux noms évocateurs (« tire le diable par la queue », « plein aux as », etc.) et le reste est affaire de gouaille des joueurs. Surtout quand il faut marchander ou emprunter à un usurier à la sinistre réputation…
Gardoche à vous !
Dans la continuité de la gamme, Et la Nuit résonnera de Mille Crimes met le scénario au cœur du jeu pour la plus grande joie des rôlistes qui aiment utiliser ce qu’ils achètent et ne se contentent pas de lire en rêvant à d’éventuelles parties futures. Ici, tout est fait pour être utilisable rapidement et de façon optimale durant la séance.
Avec ce supplément, Wastburg confirme tout le bien que l’on pensait déjà du livre de base. Espérons que la suite – toujours d’aussi bonne qualité – arrive au plus vite !
Et la Nuit résonnera de Mille Crimes
Un supplément au jeu Wastburg édité par les XII Singes
Livret de 48 pages
12 € 50
Trois questions à Cédric Ferrand, auteur de Wastburg
eMaginarock (M) : Tu es déjà coupable d’avoir écrit le roman et le jeu de rôle Wastburg – ne nie pas ! Pour ce dernier, tu n’as d’ailleurs pas hésité à t’entourer d’autres crapules dans ton genre, issues du Milieu. Pour tes prochains forfaits, à quels complices supplémentaires comptes-tu faire appel ?
Cédric Ferrand (CF) : C’est surtout l’occasion de collaborer avec de bons larrons. J’ai prévu de travailler avec d’anciens joueurs de mon club universitaire (dont les noms ne vous diront rien mais qui ont été importants pour moi, d’un point de vue personnel ou rôlistique). Ça me permet également de bosser avec des gens que je ne connais que sur les forums ou par courriel et avec qui je partage une certaine idée du jeu de rôle. Le format court permet de se faire plaisir avec ces duos, qui m’empêchent de tourner en rond avec ma propre création. Chacun apporte un truc différent à Wastburg, et moi je m’assure qu’ils ne mettent pas de ninja elfe noir dans les livrets.
M : Justement en parlant de tes crimes à venir dans notre bonne cité de Wastburg, quels vont-ils être ? Avoue et on sera peut-être clément…
CF : Il y aura normalement un livret encore dédié aux scénarios, car c’est une idée fixe chez moi. Je l’ai sous-traité à Côme Martin, qui fut un fan de la première heure. Il y a également un livret prévu dédié à la Purge : la prison de Wastburg. Un truc avec des hommes tatoués, signé par Gauthier Lion. Après cela, rien n’est planifié : j’attends aussi de savoir ce que les lecteurs pensent de ces livrets pour comprendre ce qu’ils attendent de la gamme.
M : Et sinon, à quels autres délits peut-on s’attendre de ta part – que ce soit dans le Milieu ou ailleurs ?
CF : Je travaille actuellement sur mon prochain roman : Sovok. C’est l’histoire de trois urgentistes moscovites qui interviennent de nuit avec une ambulance volante. C’est très inspiré d’un jeu de rôle que j’avais sorti en PDF il y a dix ans, mais c’est tout sauf la novélisation d’une partie : je n’ai – volontairement – pas relu mon jeu et je n’écris pas avec l’idée qu’il faudra garder ça jouable. Et ça me prend tout mon temps de clavier disponible, pour tout dire.
Propos arrachés de force (mais dans le respect du code wastburgeois) par Romain d’Huissier