Dernière décennie du 19ème siècle, alors que nous sommes encore en pleine époque victorienne. Les grandes puissances se partagent le monde : France, Angleterre ou Allemagne s’emparent de nombreux pays et établissent des colonies partout dans le monde – et notamment en Afrique ou en Asie. C’est une ère de progrès et d’exploration où des hommes courageux défrichent chaque jour de nouvelles terres.
Pourtant, la planète est encore pleine de mystère. D’innombrables sites restent inviolés : cités antiques et oubliés, vestiges de civilisations éteintes, zones préservées parfois depuis la préhistoire… Il reste des secrets à découvrir ! Aventuriers et bourlingueurs sont sur les rangs, prêts à mettre la main sur des richesses inconnues ou à être les premiers à révéler au grand jour un artefact prodigieux. Ils œuvrent pour leur gloire personnelle ou au nom de leur patrie. Finançant leurs audacieuses expéditions : les Ligues aventurières ! Club de gentlemen, ces organisations rivalisent entre elles et donnent dans le mécénat pour envoyer des explorateurs partout dans le monde éclaircir les zones d’ombres restantes sur les cartes.
Tel est l’univers que vous propose d’explorer Leagues of Adventure – petit frère du déjà très pulp Hollow Earth Expeditions. Nous sommes ici en présence d’un jeu qui vise à émuler un genre plus qu’à décrire un background précis : l’époque victorienne présentée est une toile de fond pour lancer les personnages à l’aventure au plus vite – car c’est là le cœur du jeu.
Allan Quartemain et les autres
Pour ce faire, Leagues of Adventure use d’un artifice classique : la méta-textualité. Un peu à la manière de la Brigade chimérique, écrivains de livres d’aventures fantastiques et personnages de ces mêmes romans coexistent – les premiers étant les biographes des seconds. Ainsi, Conan Doyle et le Professeur Challenger se rencontrent à Londres ; Jules Verne a déjà croisé le Capitaine Nemo ; HG Wells travaille lui-même sur une machine à voyager dans le temps ; etc. Ce procédé crée une réalité décalée – plus haute en couleur que la nôtre et propice à des aventures fabuleuses. Ainsi sans tomber dans l’uchronie, League of Adventures propose un univers de jeu attrayant qui parvient à mêler l’Histoire, le pulp et le steampunk en un tout cohérent – lié notamment par la volonté palpable de mettre l’aventure au premier plan.
Bien que l’univers de jeu se limite grosso modo à cette intention, Leagues of Adventure offre un véritable cadre – apparenté à une grosse boîte à outils dont tout bon meneur de jeu saura s’emparer pour proposer à ses joueurs des scénarios trépidants. Un chapitre d’introduction propose une chronologie de la dernière décennie du 19ème siècle ainsi qu’un who’s who mêlant personnalités réelles et romanesque – un jeune Winston Churchill y côtoie ainsi Phileas Fogg. Dans la partie concernant la création de personnage, de nombreuses Ligues sont décrites : elles sont un élément essentiel du jeu (qui leur doit son titre) en tant que moteur des aventures (en finançant les expéditions ou de par leurs rivalités) et moyens bien pratiques de lier les héros entre eux. Enfin, un très long chapitre (plus de cinquante pages !) fait un tour du monde des lieux remarquables (là encore, réalité et fantastique se rejoignent) continent par continent, en présentant pour chaque plusieurs synopsis : encore une fois, le meneur de jeu y trouvera pléthore d’idées pour ses scénarios ! Aidé en cela d’ailleurs par un bref chapitre de conseils mettant en avant divers styles de jeu et types d’aventure ; et également la description d’ennemis marquants (tels le Professeur Moriarty) à la tête de Ligues maléfiques…
Rien que la carte – qui occupe les couvertures intérieures au début et à la fin du livre – est une invitation au voyage (en plus d’être fort jolie) : de nombreux sites légendaires y sont mentionnés. Cela titille forcément l’imagination de voir la localisation d’El Dorado ou de Shangri-La…
Après cette débauche de matériel à même d’inspirer tout rôliste un tant soit peu amateur de la période, on est par contre fort étonné de ne pas trouver de scénario… Ne serait-ce que pour introduire les joueurs à l’esprit particulier de Leagues of Adventure, on était en droit d’attendre qu’une aventure permette au meneur de jeu de se lancer rapidement dans le bain, surtout du fait que le background reste un contexte général et non un environnement possédant une identité forte. Un manque relativement gênant pour un tel jeu, et dont on espère qu’il sera vite corrigé – dans les futurs suppléments.
Moteur à vapeur
Tout comme son aîné Hollow Earth Expeditions, Leagues of Adventure fonctionne avec le système de jeu Ubiquity.
Un personnage – une fois déterminés son archétype et sa motivation – se définit techniquement par des attributs et des compétences, ainsi que par des talents (des capacités un peu hors-normes, ses atouts) et un défaut (de quoi le personnaliser un peu). Un système de ressources indique également sur quoi notre aventurier peut compter avant de se lancer dans une expédition risquée (serviteurs, richesse, relations, etc.). De plus, tout personnage se doit d’appartenir à une Ligue (qui lui offre accès à certaines compétences) – et le groupe peut ainsi être lié à plusieurs de ces organisations (ce qui peut ajouter du piquant aux parties).
La base du système est simple : il faut lancer autant de dés que la somme attribut + compétence ; les faces paires comptent comme des succès ; une difficulté détermine le nombre de succès à obtenir pour réussir l’action. Diverses subtilités personnalisent tout cela : les talents apportent des bonus, les points de style augmentent le nombre de dés à lancer, etc. Surtout, il est toujours possible de « faire la moyenne » : comme un dé a une chance sur deux de donner un succès, on sait selon le nombre de dés que l’on lance combien de ces succès on va obtenir en moyenne. Et si cette moyenne dépasse de base la difficulté, l’action est réussie sans même faire de jet – de quoi se concentrer sur la narration.
Un gros chapitre détaille tout le matériel et l’équipement qu’un aventurier digne de ce nom doit emporter avec lui en expédition. Sans doute très pratique à l’usage en partie, mais ce genre de liste a tendance à être un peu rébarbatif à lire – et c’est hélas le cas ici. Plus intéressant, des règles spéciales permettent aux personnages inventeurs et scientifiques de fabriquer leurs propres outils ou véhicules : on tombe ici en plein steampunk et on s’imagine déjà traverser la savane à bord d’une automobile à vapeur blindée poursuivie par de belliqueux bédouins.
Précieux trésor
Comme tous les produits édités par sans Détour, Leagues of Adventure bénéficie d’un soin particulier. L’ouvrage se présente sous la forme d’un livre au papier épais sous une solide couverture cartonnée. L’intérieur est en noir et blanc, mais sept personnages prétirés sont illustrés tout en couleur. Le reste des dessins va du moyen au très beau et la maquette est sobre et lisible – peut-être manque-t-elle d’un peu de l’exubérance que commande un tel décor de jeu, on aurait imaginé des engrenages ou des symboles mystérieux en ornement, par exemple. Globalement, cela reste un très beau jeu de rôle – et surtout solide, apte à résister aux nombreuses expéditions au cours desquelles il accompagnera meneur et joueurs !
Droit vers l’horizon !
Leagues of Adventure est un jeu de rôle qui donne clairement envie de jouer à mesure que l’on en tourne les pages. Sa lecture laisse à imaginer les innombrables aventures possibles dans ce contexte victorien mâtiné de steampulp (selon le néologisme des auteurs eux-mêmes). Le système est éprouvé et sait se faire discret tout en offrant quelques options qui collent à l’orientation voulue (les règles de création scientifique, les points de style, les multiples talents, les archétypes bien dans l’esprit…). Selon mon goût tout personnel, je préfère même Leagues of Adventure à Hollow Earth Expeditions – étant plus sensible à l’aventure victorienne qu’à la Terre creuse et aux dinosaures nazis.
Si vous avez soif d’aventures dans un monde sur lequel plane l’ombre de Jule Vernes, alors Leagues of Adventure a de quoi vous séduire. En attendant que la suite de la gamme apporte son quota de scénarios trépidants, bourrés d’action et de péripéties !
Leagues of Adventure
Un jeu édité par Sans Détour
256 pages
39 € 90
Trois questions à l’équipe de Sans Détour, éditeur de Leagues of Adventure
eMaginarock (M) : Avec l’Appel de Cthulhu, Hollow Earth Expeditions et la Brigade chimérique, on avait compris que Sans Détour aimait l’entre-deux-guerres ! Mais voici qu’arrive Leagues of Adventure et on parle même d’un supplément années 1890 pour l’Appel de Cthulhu. Allez-vous aussi envahir l’époque victorienne ?
Sans Détour (SD) : L’ambiance de Leagues of Adventure est très aventureuse et épique. On retrouve le souffle des récits de Burroughs et la rigueur de Verne. Et pourtant, nous sommes dans un pur univers steampunk. C’est ce qui nous a plu dans cet ouvrage. Cthulhu 1890 de son côté a un aspect à la fois plus authentique, mais teinté d’un mythe un peu différent de celui des années 1920. Les amateurs de cette période – et l’auteur en fait partie – ont une certaine vision de la fin du 19ème siècle. Les deux ouvrages proposent donc une large palette d’approches complémentaires pour explorer cette époque.
Quand à l’envahir, cela dépendra de l’envie qu’ont nos auteurs de poursuivre cette exploration en proposant de nouveaux ouvrages. Il y a beaucoup à faire !
M : À quoi peut-on s’attendre pour la suite de la gamme Leagues of Adventure ?
SD : Ce titre est la traduction du premier ouvrage d’une gamme américaine. Selon l’envie du public français et la production US, nous pourrons envisager de la poursuivre. Un recueil de scénarios permettrait de s’aventurer assez loin. Mais Leagues of Adventure propose déjà largement de quoi lancer facilement des parties.
M : Y aura-t-il des suppléments de création française, comme Raiders of Adventure le fut pour Hollow Earth Expeditions ?
SD : Raiders of Adventure est un concentré pur pulp. Son auteur est un grand fan d’aventures et il a proposé des scénarios et des aides de jeu comme il aime les voir jouer. S’il se trouve un ou plusieurs auteurs pour proposer un dossier complet et s’atteler à cette tâche pour Leagues of Adventure, on peut en discuter…
J’invite les joueurs à regarder attentivement le nombre de créations françaises que nous publions cette année par rapport à l’ensemble de nos ouvrages. À venir : Chulhu 1890, les Lames du Cardinal, Byzance An 800, les Tribus oubliées, Bimbo, etc.
Ça va : nos auteurs français sont pas mal occupés !
Propos recueillis par Romain d’Huissier