J’ai été séduit, il y a quelques mois, par la plume d’Anouck Faure sur son roman La Cité Diaphane, publié chez Argyll. Une fantasy feutrée, une balade dans une cité inquiétante, un univers prenant. Après cela je ne pouvais pas lui poser quelques questions sur son œuvre, tant j’ai été séduit…
D’où t’es venue la première vision de la Cité Diaphane ? Ce n’est pas forcément un type d’univers très courant en littérature fantasy et ce côté atypique m’a séduit.
Merci beaucoup ! Très souvent dans mon cas, les premières idées qui mènent à un roman sont une accumulation de petites choses idiotes, mais qui en s’assemblant finissent par créer une atmosphère, une couleur d’ensemble. En ce qui concerne La Cité diaphane, il y avait ainsi un pyjama licorne à paillettes, les jeux Dark Souls et les paysages d’Auvergne. Le pyjama licorne a sans conteste été le déclencheur, puisqu’il a généré la réflexion que quand même, les licornes sont à l’origine des créatures puissantes et impressionnantes, et donc l’envie de prendre à rebours la mode des licornes kawaii pour en écrire une bien glauque et menaçante. J’ai ensuite été inspirée par les jeux Dark Souls, notamment le troisième, dont l’univers et la façon si particulière de narrer m’ont fascinée… Et enfin je me trouvais à ce moment-là dans le Puy-de-Dôme pour une résidence artistique, en hiver, et les montagnes et forêts environnantes ont fortement influencé le cadre de Roche-Étoile. Je me suis alors lancée sans beaucoup plus que cela dans la rédaction de ce qui devait à l’origine être une novella.
Ton personnage de l’archiviste, qui évolue au fil du récit, est lui aussi particulièrement atypique. Comment t’y es-tu prise pour le créer ? De même pourquoi ne pas avoir donné de noms à tous tes personnages et les qualifier par leur emploi ou leur qualité ?
C’est là pour moi le grand mystère de l’écriture de ce récit, je dois dire. Comme je le disais, lorsque j’ai commencé à écrire, je n’avais guère qu’une atmosphère. Je me suis laissée guider par une narration à la première personne, un personnage dont je ne savais alors absolument rien, ni le genre, ni la profession, ni le but, qui n’était finalement qu’un regard à travers lequel découvrir la cité de Roche-Étoile. Peu à peu, ce vide du personnage s’est certes comblé, mais il est également devenu un élément constitutif très fort du récit, les creux et les zones d’ombre de l’archiviste devenant un terrain d’exploration, de fantasmes et de non-dits qui ont participé à apporter sa couleur et son rythme au roman.
En ce qui concerne l’absence de noms, la raison apportée dans le récit est venue a posteriori lors des étapes de correction. Ma première intention était de proposer une histoire qui sonne comme un conte sombre, où les personnages sont dépossédés d’une identité propre pour se rapporter plutôt à des archétypes. D’ailleurs dans toute la première partie du récit, les personnages n’ont non seulement pas de noms, pas également pas de visages, qui sont tous masqués (par des capuches, casques, par la pénombre) ou non décrits. Cela change progressivement à mesure que l’archiviste se dévoile et que ses aspirations, et attachements, prennent de l’ampleur.
Tu as aussi réalisé les illustrations de ce roman. Dirais-tu que ce sont les visuels qui t’ont inspiré le roman ou bien que le roman t’en a donné des visions que tu as reportées sur le papier ?
L’écriture a précédé de beaucoup la réalisation des illustrations. J’ai construit dans un premier temps La Cité diaphane comme un voyage où je me suis moi-même laissée porter, un paysage mental qui s’est révélé progressivement, et dans lequel, d’ailleurs, ce qu’on ne voyait pas ou qu’on ne pouvait décrire tenait une place aussi importante sinon plus que ce qu’on voyait effectivement. C’est dans un second temps, après avoir signé avec les éditions Argyll, que j’ai souhaité compléter le récit de quelques illustrations. Il s’agit de gravures à l’eau-forte, une technique fortement associée au dix-neuvième siècle et aux récits gothiques ou romantiques, ainsi qu’au conte, et j’ai vraiment voulu creuser cet héritage à travers mes gravures, en employant d’ailleurs un style beaucoup plus classique qu’à mon ordinaire. Je m’inspire ainsi très ouvertement des œuvres de Gustave Doré. Cependant, pour préserver les parts d’ombre et de grandiloquence échappant à toute représentation du récit, il a été capital de bien choisir quelles scènes illustrer mais aussi quelles scènes ou éléments ne surtout pas représenter ! Notamment, les personnages y sont bien souvent de dos ou plongés dans l’ombre, en écho à leur absence de nom et de visage.