Le Roi pêcheur – Terry Gilliam

Le nombriliste, le chevalier rouge et le clochard à New-York.

Toutes les nuits, Jack Lucas ( Jeff Bridges, décidément parfait dans bon nombre de rôles différents), célèbre animateur de talk-show à la radio, fait son petit numéro de baratineur professionnel sur les ondes new-yorkaises. L’homme est arrogant et incroyablement imbu de sa personne. Faut dire qu’il a le vent en poupe. Sauf que. Un soir, Jack s’emporte et va beaucoup trop loin dans son discours. L’auditeur à l’autre bout de la ligne va très mal comprendre les paroles de l’animateur radio. Cela se termine en tragédie dans un restaurant en ville. Jack Lucas est aussitôt licencié pour son comportement irresponsable. Commence alors pour lui une descente aux enfers où il va, par hasard, rencontrer Parry ( Robin Williams) une victime collatérale de la tragédie qu’il a involontairement provoquée.

On pourrait se dispenser de faire apparaître le nom du réalisateur au générique, tellement le film porte sur son « front » la marque Terry Gilliam ; personne d’autre que lui n’aurait pu mieux raconter cette histoire. Visuellement on reconnaît le style entre mille : image distordue, plans inclinés, caméra souvent très proche des acteurs, tout cela pour donner un aspect déjanté et bizarroïde. Et cette formidable aptitude à nous balancer des visions fantastiques, absolument sublimes. Outre les partis pris de réalisation, on reconnaît aisément aussi les thématiques propres au réalisateur.

Mais c’est qu’il ose s’approcher de ma limo, ce pauvre !

Quoi de plus gilliamien comme idée que la réalité est bien triste et ennuyeuse et qu’il faut la sublimer par l’imagination ? Cette exaltation de l’imaginaire comme seule porte d’évasion possible pour fuir un monde ennuyeux et laid, imprègne une bonne partie de la filmographie du bonhomme. The Fisher King est peut-être son film le plus optimiste. La noirceur est là, comme d’habitude, mais le trait est un peu moins sombre. L’espoir et le rire (notamment grâce au duo Williams/Bridges, mais pas que ) sont bien au programme. Mais revenons aux personnages.

Avant sa déchéance Jack croyait faire partie des conquérants, des winners. Son ego vient de tomber de haut et du coup, il se méprise. Car pour lui, être quelqu’un de normal c’est faire partie de la masse, et donc être un loser. Lorsque les deux personnages principaux se rencontrent, on voit clairement à qui Gilliam s’identifie le plus. C’est Parry qui sauve Jack, et non l’inverse.

Le preux chevalier, Parry.

Et pourtant Parry a tout perdu, suite à la tragédie provoquée par Jack. Il ne lui reste plus rien , si ce n’est sa folie et sa « mission ». Car le SDF fou ( magistralement interprété par Robin Williams, acteur polyvalent, mais extrêmement à l’aise dans un registre loufoque) a une mission confiée par Dieu : mettre la main sur le Saint Graal ( objet mythique de la légende arthurienne qui décidément fascine Terry Gilliam). Parry est capable de voir la beauté cachée du monde, la grâce noyée dans l’anonymat et l’indifférence propres aux grandes villes. C’est lui qui verra du premier coup d’oeil que Anne ( la copine de Jack, interprétée par une épatante Mercedes Ruehl) est une femme formidable. C’est lui qui remarquera aussi, parmi la foule, Lydia ( Amanda Plummer), petite souris fragile et cœur solitaire, pas très gâtée par la vie jusque là. Ces deux personnages féminins incarnent parfaitement cette beauté ignorée par ce monde qui juge mal et trop vite les êtres. Parry est dingue, mais il voit. Tandis que Jack, pourtant censé être sain d’esprit, est celui qui est aveugle et qui est toujours à la ramasse. Ce n’est que parce que la culpabilité le ronge, parce qu’il souffre intérieurement et qu’il ne veut rien devoir à Parry, que Jack se décide à l’aider.

Anne ( Mercedes Ruehl) et Lydia ( Amanda Plummer) , deux nanas formidables, si, si !

Neuf ans avant le début du calvaire nommé L’homme qui tua Don Quichotte, Gilliam donne déjà un côté très Don Quichottesque au personnage de Robin Williams. Parry se voit comme un chevalier et il en adopte le code d’honneur. Tout comme pour le personnage de Cervantès, sa grande force réside dans sa folie. Lui aussi est assailli de visions ; un gigantesque et terrifiant Chevalier Rouge le tourmente (symbole de tout ce qui est adversité, de tout ce qui fait souffrir et provoque le malheur). Parry, tout comme Jack, souffre des traumatismes liés à son passé. Tous deux devront subir des épreuves et avoir foi en quelque chose de grand ( l’amour, l’amitié) pour atteindre le Graal, c’est-à-dire la délivrance, le soulagement et la guérison.

Pour Gilliam, le vrai asile de fous, c’est la société. Et quoi de mieux que New York pour illustrer ce monde affairiste et déshumanisé, qui rejette de l’humain par palettes ? Le réalisateur est clairement du côté de ceux qu’on exclut parce qu’ils sont différents et ne s’adaptent pas à cette société malade. Il esquive la réalité morose et cruelle, ainsi que le pragmatisme cynique et individualiste de ceux qui “gagnent”, pour se tourner vers l’humanité de ceux qu’on jette à la poubelle. C’est à leur côté qu’il tente de réenchanter le monde, à grands coups de rêves, d’aventures et d’imagination.

Houla ! Le chevalier rouge ! Quand il se pointe, c’est jamais bon signe !

Le Roi Pêcheur

de Terry Gilliam

Scénario de Richard LaGravenese

Avec Robin Williams, Jeff Bridges, Mercedes Ruehl et Amanda Plummer

TriStar Pictures

Disponible en DVD et Blu-ray

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