Entretien avec Marion, aka Elryshka Art, photographe

 

Bonjour, et merci de prendre quelques minutes pour répondre à mes questions. Peux-tu tout d’abord nous expliquer comment tu es devenu photographe ? D’où t’es venue cette passion, et combien de temps cela t’a-t-il pris de devenir pro ?

Salutations ! Alors mon parcours débute en tant que cosplayeuse il y a très très longtemps… En fait, j’ai toujours eu une passion pour les costumes, même avant le cosplay, depuis toute petite. J’ai toujours trouvé des excuses pour en porter ! Le carnaval et halloween c’était qu’une fois par an, pas suffisant du tout pour une petite fille bourrée d’imagination ! En convention j’étais régulièrement prise en photo, et je me suis prise au jeu, je dirai. Puis très rapidement le cosplay est devenu insuffisant, frustrant, trop compétitif… Gagner des concours et des prix ne m’intéressait pas, moi c’était et ça a toujours été, la création. Je voulais créer mes propres personnages et les incarner. Enfin, ils existaient déjà en dessin, mais je ne me trouvais pas assez douée pour cet art là, donc très vite je suis devenue « modèle alternative » comme on disait au début des années 2000… ça se dit toujours d’ailleurs ? (je fais ma vieille pardon XD) J’ai bossé avec beaucoup de photographes, mais encore une fois, rarement satisfaite du résultat, j’ai fini quelques années plus tard par devenir photographe amateur, en 2013. Petit à petit, j’ai arrêté de poser pour les autres et à faire mes autoportraits, là j’avais enfin une liberté totale ! Ça m’arrive encore de façon exceptionnelle de poser pour les autres. Je suis aussi régulièrement prise en photo en fête médiévale étant donné que je fais partie d’une troupe viking où j’incarne une sorcière ! (toujours des excuses pour porter des costumes hein…) Je ne suis devenue pro que très récemment (en 2021), ayant toujours considéré que je n’étais pas assez douée pour ça… (toujours ce fichu syndrome de l’imposteur) et aussi la peur que ça ne marche pas. J’ai vu un nombre considérable de photographes mettre la clé sous la porte ces dernières années, notre métier n’est pas facile à l’ère du numérique et des smartphones… Et ce n’est pas la seule raison. Il faut avouer que ça fait peur. Il faut savoir que je suis une personne bourrée d’angoisses, d’anxiété, de dépressions chroniques et j’ai toujours eu un énorme manque de confiance en moi… Mais j’ai fini par sauter le pas, tout quitter, mon travail de vendeuse qui me déprimait depuis trois ans, et déménagé dans la foulée à Montpellier où je me suis lancée à corps perdu dedans… car on a qu’une vie et je ne veux pas avoir de regrets. Du coup, en comptant tout depuis le début, ça m’a pris pas loin de 15 ans, pour devenir pro.

Tes clichés dévoilent un univers très païens, proche de la nature, essentiellement féminin d’ailleurs. Comment sélectionnes-tu tes modèles, hors clients bien évidemment ? Et d’où te viens cette passion paganiste ?

C’est une bonne question… Difficile de répondre, je suis quelqu’un de très intuitif, je marche au coup de cœur. Mes modèles sont des personnes qui dégagent quelque chose d’unique, de magique, de mon point de vue. Ils/elles ne sont pas forcément toujours des modèles d’ailleurs ! Je suis souvent leur première photographe haha ! Il est vrai que ce sont essentiellement des femmes , j’attache une certaine importance à mettre la féminité en valeur il est vrai, mais c’est aussi parce qu’il y a peu d’hommes qui osent poser, et c’est bien dommage… (et la moitié  qui me contacte sont des pervers malheureusement).
Pour le côté paganiste, ça fait partie de moi depuis toujours je pense. J’ai toujours été fascinée par la sorcellerie et les créatures fantastiques, sous toutes leurs formes, et par l’histoire et les mythologies du monde entier. En ce moment c’est plutôt la Scandinavie mon inspiration principale mais pas toujours. J’aime également beaucoup l’Egypte antique, l’Inde, et l’Asie en général. Mon travail est un gros « gloubiboulga » de tout ça !

Cette proximité de tes photos avec l’élément naturel est-il important à tes yeux ? Comment travailles-tu sur l’aspect décor de tes photos ?

Oui le paysage naturel est un personnage à part entière dans mon travail. Je ne conçois pas une image sans un décor particulier qui va dégager une ambiance particulière… Parfois c’est le paysage qui met en valeur le personnage, parfois c’est l’inverse, le personnage va souligner la beauté et le côté fantastique du paysage ! Cela explique pourquoi ils sont pris de si loin et tout petits ! On m’a souvent fait des critiques là dessus, alors que c’est totalement volontaire que le sujet soit éloigné. (du genre « ouin ouin on voit pas bien le costume et ton modèle ») Et je ne me vois pas faire de photo en studio pour cette même raison : le lieu dégage quelque chose d’important que ce soit sur la photo ou pendant le shooting lui-même, j’ai besoin d’être connectée à cette nature. Je fais beaucoup de repérages en amont que ce soit sur internet ou des ballades. A chaque fois que je vais quelque part en vacances j’ai toujours mon appareil et un costume de prêt dans ma valise (ça désespère un peu mon compagnon parfois haha) au cas où je tombe par hasard sur un beau spot, et généralement ça paie !

Quel matériel (appareil et logiciels) utilises-tu pour travailler, le plus souvent ?

J’utilise un vieux canon 5Dmark II avec trois objectifs, un 50mm, un 100mm et un grand angle 17-40mm. Et je retouche essentiellement avec Photoshop, depuis des années, même avant d’être photographe ! (Je retouchai moi-même mes photos de modèle quand les photographes n’en avaient rien à faire… XD)

Au-delà des décors il y a aussi un vrai travail autour de la lumière et des couleurs aussi bien lors de la prise de vue que lors de la retouche. Pourquoi avoir choisi des tons assez pâles, vaporeux, pour tes photos ?

Les tons pâles, pas toujours, ça dépend des photos, vaporeux souvent oui, mais pas toujours non plus. J’ai  une certaine fascination pour la brume et l’ambiance mystérieuse qui s’en dégage. Il y a aussi beaucoup d’obscurité, dans mes images, parce que j’ai ma propre part d’ombre qui a besoin de s’exprimer. Il y a souvent une lutte entre la lumière et les ombres, j’aime ajouter du dramatique je l’avoue, un aspect cinématographique même. Encore une fois, je travaille de façon intuitive, je n’y réfléchis pas vraiment, je fais ce qui me plaît. Je fais des essais en fonction des couleurs et lumières déjà présentes, jusqu’à ce que je trouve ce qui convienne à une image, jusqu’à ce qu’elle m’inspire une émotion suffisamment vibrante je dirai. Parfois je m’arrache les cheveux sur une image, la boudant même plusieurs semaines avant de me repencher dessus et de trouver la bonne retouche.

Les make-up et les costumes qui sont visibles sur tes clichés sont toujours très travaillés. Travailles-tu avec des maquilleuses et costumières avant les séances ? 

Alors, à mes débuts,  il y a quelques années, il m’est arrivé parfois, de travailler en collaboration avec des créateurs et des make-ups artistes, mais j’ai arrêté depuis longtemps pour plusieurs raisons. Avec les créateurs, plusieurs problèmes se posent à chaque fois, question logistique déjà, c’est toujours compliqué, les envois par la poste, les cautions, et aussi la peur et le stress de casser ou abîmer durant le shooting (même avec les meilleurs précautions, ça m’est arrivé). Avec les maquilleuses, deux problèmes principaux, elles m’ont souvent planté la veille du shooting pour un autre boulot, et aussi elles ne comprennent souvent pas qu’un make up pour un shooting comme les miens, n’a rien avoir avec un maquillage de jour ou même de soirée. C’est du maquillage de théâtre, il faut que ça se voit, car on perd une partie des détails à l’image. L’appareil photo n’est pas un œil humain ! En conclusion avec toutes ces déconvenues et déceptions, j’ai fini par apprendre à faire les choses moi-même, absolument tout, costumes, bijoux, accessoires, et make up ! Et j’y prends beaucoup de plaisir ! Je déteste attendre après une tierce personne pour pouvoir mener à bien mon projet. L’expression « on n’est jamais mieux servi que par soi-même » est probablement un de mes principes de vie ! (ça et « Toujours plus de paillettes ! » ) J’adore faire de la récup, des vides-greniers, détourner des objets et des matières, par exemple il m’est arrivé de faire une coiffe avec des spaghettis (véridique!) ou des épaulettes en carton… Bref tout et n’importe quoi peut servir ! C’est une part tout aussi importante de mon travail artistique, la photo n’est que le produit final.

Tu ne shootes peu ou pas en studio, en tout cas dans ce que tu postes. Est-ce parce que tu n’aimes pas ce type de travail ?

Le studio c’est pas mon truc, c’est vrai, pour la raison déjà citée plus haut, que je préfère les lieux qui dégagent quelque chose. Pour moi, un studio c’est terriblement frustrant et ennuyeux, ça ne dégage aucune grandeur. Je n’aime pas du tout les éclairages artificiels, les flashs tout ça… Même chez les autres photographes, il y en a très très peu dont je peux dire que j’aime le travail avec ce type de lumière. Je trouve ça trop compliqué à installer et gérer en plus, je n’ai jamais pris le temps de m’y intéresser vraiment à vrai dire, si je le voulais vraiment j’aurai appris depuis le temps haha ! Mais j’aime beaucoup trop la lumière naturelle, même si elle a ses contraintes propres. Elle réserve toujours des surprises. Travailler en studio ça demande également un budget que je n’ai jamais été capable de mettre. Il y a la location du local en lui-même déjà, et ensuite le matériel qui n’est pas donné non plus si on veut quelque chose de propre. J’ai préféré mettre cet argent dans la création des costumes, dans ce que j’aime. On a tous des priorités !

Combien de temps passes-tu en moyenne sur chaque photo ? (en comprenant prise de vue, retouche, publication).

Je dirais entre 30min et 1h pour la retouche, ça va dépendre de la photo. Parfois les conditions lumineuses sont plus difficiles, encore une fois avec le soleil, il y a une part de hasard.
Pour les prises de vue, c’est assez variable aussi, ça va dépendre de la distance du lieu (j’essaie de me limitée à 1h de route max de montpellier mais pas toujours évident) ça va dépendre aussi de la complexité du costume et du maquillage (je comte environ 1h de préparation en général mais c’est parfois plus) et le shooting en lui-même, ça va aller de 1h30 à 2h en général, mais on marche parfois un peu entre les prises pour faire différents spots, il y a aussi les retouches make up ou bien des choses à réparer sur le costume parfois… Bref tout ça prend pas mal de temps ! Il vaut mieux prévoir une demi-journée pour être tranquille, sachant que je fais quasiment tout toute seule.

As-tu des artistes qui t’ont inspiré et que tu aurais envie de citer ?

Il y en a des tonnes ! Je vais citer en premier la seule qui fait pour moi un boulot digne de ce nom en studio et éclairages artificiels, (oui je suis sévère haha) la grande dame Nath-Sakura ! Si je devais un jour apprendre à me servir de ces trucs et bidules, ce serait avec elle et nulle autre. Ensuite, dans mes débuts, il y a eu la géniale Seregwen Pix, pour qui j’ai d’abord posé et qui est devenue par la suite une amie, idem pour Marion Kabac dont les paysages sont à tomber, beaucoup d’autres ont simplement arrêté et je ne les trouve plus. Côté français, je suis obligée de citer les incroyables Alexandre Deschaumes  Ambre de l’alpe , Memories of Violette, Lelaya Photographies (qui fut ma modèle autrefois!) et Ysambre fauntography… Beaucoup d’artistes étrangers aussi, pour n’en citer que quelques uns : Bella Kotak, Maria Mirage, Emackphoto, Au-contraire photography, Maria Mantis, Follow me away, Elizabeth Gadd, Anya Anti… Il y en a tellement d’autres que j’oublie ! Et encore, là je n’ai cité que les photographes. Je m’inspire d’énormément de médias et artistes différents, des illustrateurs comme le merveilleux Seb Mckinnon, Benjamin Deharme, ou encore mon auteur de BD favori le génialissime Olivier Ledroit ! Et beaucoup de musique, je vis, je créé et retouche en musique en permanence.

Quelle serait ta série préférée parmi toutes celles que tu as shootées ?

Oula ça ne va pas être possible de choisir ! Ma préférée change en permanence. Je ne suis jamais satisfaite bien longtemps d’une image, c’est pour ça que je continue ! Si j’avais déjà atteint la perfection, il n’y aurait plus d’intérêt à continuer… Je dirais que celle du moment est ma dernière série sur les plages bretonnes avec la démone blanche.  Mais d’ici que l’article soit sorti ça aura sûrement changé haha !

Une polémique agite Instagram depuis quelques temps puisque la plate-forme voudrait privilégier les vidéos afin de concurrencer Tik-Tok. Toi qui as quelques centaines d’images hébergées sur ce réseau que penses-tu de ce changement de direction ?

Je pense que c’est très dommage, on perd en qualité des contenus surtout, en résolution aussi. Pour certains artistes créateurs, c’est bien, ça leur permet de montrer les étapes de créations, et je le fais parfois aussi, mais ça ne met pas en valeur la création en elle-même, pas aussi bien qu’une belle photo et là les vidéos commencent à être utilisé à outrance. Personnellement, les vidéos c’est pas mon truc, et je n’ai pas envie de m’y mettre pour le moment, ça pourrait changer me connaissant, mais là je me sens un peu « forcée ». Et moi j’ai un téléphone tout pourri avec un autofocus cassé, et en plus les vidéos sur insta toutes les deux secondes ça le fait planter sévèrement et ça me gonfle ! XD L’information va toujours plus vite, trop vite, et la publication est oublié sitôt après avoir été regardée. Les gens ne prennent plus le temps de vraiment regarder une image, de l’analyser d’en comprendre le sens ou de se laisser porté par elle, pour moi c’est une nouvelle étape vers l’abrutissement de la foule.

Instagram a-t-il été un réel moteur pour la progression de ta notoriété ?

Peut être un petit peu, mais je n’en suis pas certaine, je suis sur Facebook depuis très très longtemps, beaucoup de gens m’ont connu d’abord par ce réseau. Instagram j’ai mis beaucoup de temps à m’y mettre, ça ne fait que deux ou trois ans que je l’utilise, et vraiment régulièrement depuis l’année dernière. Mais il est vrai que maintenant la tendance s’inverse, on me contacte beaucoup plus par ce biais-là, mes images sont souvent plus vues sur Insta, du coup je l’utilise plus c’est certain. Les réseaux et les modes changent, je m’adapte en fonction simplement,

Sur quels autres supports peut-on retrouver ton travail ?

En dehors de Facebook et Instagram, je suis sur beaucoup d’autres plateformes mais elles sont tombées en désuétude comme les books en ligne, book.fr, 500px etc… je ne les mets plus à jour ça ne sert à rien. Et j’ai aussi un joli site internet vitrine où personne ne va jamais. Il faut dire aussi que je rechigne toujours depuis des années à payer un nom de domaine, mais les temps sont durs… Au cas où, voici sa super adresse à rallonge : https://elryshka.wixsite.com/elryshka-art
Je précise quand même que l’intérêt d’y aller c’est que les images sont en meilleure résolution, on a tendance à l’oublier… A force de regarder des petits carrés sur Instagram et sur smartphones… Les tarifs de mes shootings et des tirages sont aussi dessus.

Ta créativité est-elle toujours aussi vivace malgré le côté professionnel qui donne plus de contraintes ? Ne trouves-tu pas un côté répétitif à ton travail ?

Il y a parfois des commandes contraignantes et répétitives c’est vrai , mais elles restent rares, donc ça va. En général j’ai des clients géniaux, me laissant parfois quasiment carte blanche, ou bien qui craquent pour des costumes que j’ai déjà créé, ou qui partent sur des combinaisons auxquelles  je n’avais pas pensé, donc c’est toujours intéressant et un plaisir de les ressortir, et de les mettre en scène différemment. Toutefois, la créativité chez moi ce n’est pas quelque chose de constant, professionnellement ou pas, d’ailleurs je pense que ça ne l’est pour personne.
Pour éviter ce côté répétitif, je travaille moins régulièrement car je préfère privilégier les projets fantastiques plutôt que la photo dite de « service » (mariages, EVJF, baptêmes tout ça). C’est un choix de vie, et pas toujours facile financièrement mais je n’ai jamais été aussi heureuse professionnellement parlant, j’ai enfin l’impression d’avoir trouver ma place. Et ça me laisse suffisamment de temps pour continuer mes  projets personnels, qui sont assez proches de toute façon de ce que je fais en commande.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui cherche à se lancer dans la photographie ?

Eh bien… ne pas écouter les autres et n’en faire qu’à sa tête ? Faire ce qui te fais vibrer le plus en tout cas et continuer sur cette voie, peu importent les difficultés.

Merci beaucoup pour tes réponses et à bientôt au détour d’une nouvelle série de photos sur les réseaux !

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *