Tout commence par la mort de Paul Langley, un éminent physicien qui aurait travaillé pour la NASA. Une mort dont on ne parviendra jamais à savoir si elle fut terriblement banale ou terriblement étrange, son corps étant resté figé, debout, les yeux levés vers le ciel, et n’ayant consenti à céder aux lois de la gravité des corps morts qu’au premier contact. Un Paul Langley père de deux jumeaux, Max et Albert, nés à très peu de temps d’intervalle dans une ambiance littéralement démente, au cœur d’une maternité moderne envahie par des chimpanzés. Qu’est ce qui est réel, qu’est ce qui ne l’est pas ?
Deux frères se retrouvent à l’enterrement de leur père après des années de séparation. La vie leur a fait prendre des chemins diamétralement opposés et leur ressemblance, jadis frappante, n’est plus qu’un lointain souvenir. Forcés de cohabiter pour mettre de l’ordre dans les affaires paternelles, ils découvrent de vieux secrets profondément enfouis qui ravivent leur ancienne rivalité. Se joint bientôt à eux la voisine, Millie, qui aimerait elle aussi en savoir davantage sur ses origines, le tout sous le regard d’un mystérieux astronaute qui hante le trio depuis toujours… Les Jumeaux du paradoxe nous propose le récit tour à tour émouvant, humoristique ou terrifiant d’une quête de sens et de vérité dans une famille dysfonctionnelle comme les autres.(Présentation de l’éditeur)
« En d’autres termes, la vérité est un point de vue en constante rotation. Une coordonnée qui se déplace sur un cercle et dont la position dépend de l’observateur. Ou, mieux encore, une combinaison des concepts de l’éternel retour et de la superposition quantique où la variable du point de vue pourrait être considérée comme vraie ou fausse à n’importe quel moment. »
Au lecteur de lire entre les lignes, de discerner ce qui résulte de l’honnêteté du narrateur omniscient et de la duplicité des diverse sources venant composer ce récit. Un récit faussement complexe, et moins audacieux dans sa structure qu’il n’en a l’air, car, si Joshua Chaplinsky explique dans son introduction qu’il est un adepte de Mark Z. Danielewski, l’auteur du remarquable La Maison des feuilles, et qu’il adore les collages, la narration demeure très fluide, très linéaire, et l’on ne perd jamais le fil de ce qui apparaît finalement comme un roman de facture assez classique.
Les différentes sources – que le narrateur soit Albert Langley, professeur de physique en collège, bedonnant et très quelconque, son frère Max, célèbre auteur de science-fiction tendance young adult et grand séducteur, Millicent, une jeune aspirante autrice voisine du défunt père des jumeaux, encore un peu naïve et grande admiratrice du second, ou d’autres narrateurs encore, les scénaristes successifs d’un long métrage qui sera consacré à Paul Langley – se succèdent en effet selon un ordre qui ne rebat guère les cartes de la chronologie, et qui ne suscite pas vraiment de paradoxe. Un paradoxe qui est celui du voyageur de l’espace vieillissant moins vite que ceux qui sont restés sur Terre, mais qui est aussi celui des carrières des deux jumeaux, qui ne peuvent guère être plus éloignées l’une de l’autre : de multiples formes de la relativité, donc, depuis celle de la manière dont on considère le monde extérieur jusqu’à celle des orbites et des trajectoires d’individus initialement similaires – théorie physique du chaos et lois et finesses de l’épigénétique aidant.
« Quant à moi, j’en vins à justifier mon indiscrétion en me disant que j’assistais à une master class en rédaction de dialogues. »
Un auteur de littérature jeunesse, une jeune fan des littératures de l’imaginaire, des adultes ayant grandi dans la pop culture : les références, explicites ou subtiles, abondent au long du roman, avec un name-dropping maîtrisé qui n’est pas sans évoquer le Morwenna de Jo Walton. Ursula Le Guin, Margaret Atwood, Anaïs Nin, Isaac Asimov, J.K.Rowling, des films comme Canine ou Le Château de la pureté et bien d’autres mentions viendront établir un certain degré de connivence avec le lectorat. Une référence pourtant domine toutes les autres : le film 2001 l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, véritable obsession des deux frères, avec les récurrences du monolithe, du cosmonaute en tenue rouge, des primates belliqueux.
Malgré cet arrière-plan perpétuellement science-fictif, Les Jumeaux du Paradoxe appartient sans doute bien plus à la littérature mainstream qu’aux genres de l’imaginaire. Léger et plein d’humour, Les Jumeaux du paradoxe apparaît comme un roman de mœurs contemporain, l’histoire d’une famille aux ramifications inattendues. Récit de la manière dont les individus gravitent les uns autour des autres, s’éloignent, se rapprochent, se découvrent, ce roman de Joshua Chaplinsky, servi par d’excellents dialogues et un grand sens des situations montre le talent de l’auteur à faire exister ses personnages.
Les Jumeaux du paradoxe aurait pu être publié en littérature générale. Il a néanmoins toute sa place dans une collection dédiée aux littératures de l’imaginaire dans la mesure où il apparaît comme un récit sur les fictions que l’on se fait sans vraiment s’en rendre compte et sur celles que l’on s’acharne à concevoir et qui peuvent être le but de vies entières. Il souligne également la place qu’à travers romans et longs métrages l’imaginaire prend dans nos vies, il souligne à quel point ces fictions nous émeuvent, nous modèlent et nous hantent.