Hellfest 2022 – Partie 2

« Citius, altius, fortius ». Après un premier week-end bouillant, survivre à un second Hellfest consécutif tenait presque de l’épreuve olympique. Pourtant, beaucoup se laissèrent tenter par le challenge, tant du côté des festivaliers que de celui des bénévoles. Pour les autres, c’était enfin l’occasion de rejoindre cette « édition du siècle » selon les propres termes de Ben Barbaud, pour trois jours et demi de célébrations.

Après quelques jours de pauses à Clisson, entre ballades au bord de la rivière et visite touristique de la ville, nous voilà donc repartis à l’assaut du second Hellfest de cette édition !

Quel meilleur moyen de lancer les hostilités qu’avec un hommage appuyé à Lemmy Kilmister, dont la nouvelle statue d’acier se dresse à nouveau sur les hauteurs de la Warzone ? Ce ne fut nul autre que Phil Campbell, ex-guitariste du groupe anglais, qui s’en chargea en ce jeudi 23 juin. Accompagné des Bastards Sons, le musicien proposa au public 40 minutes de Motörhead, parfait pour se décrasser les muscles et se (re)mettre dans le bain. Plus tard dans la soirée, le guitariste et son acolyte Mikkey Dee inaugurèrent officiellement la statue de leur défunt ami lors d’une petite cérémonie, confirmant par ailleurs la présence de vraies cendres du chanteur au pied de l’œuvre.

Demi-journée peut-être, demi-programmation, sûrement pas. Entre UFO, Whitesnake et Scorpions, les vétérans ont montré aux petits jeunes qu’ils en avaient encore sous le coude. Des petits jeunes qui ont su bien répliquer : ceux qui voulaient bouger un peu plus ont pu s’éclater devant Zeal & Ardor, un groupe de musique énergique avec beaucoup d’ambiance.

Les aficionados de musique atmosphérique ont pu apprécier les accents folk de Lili Refrain, jolie musique d’ambiance et Los Dissidentes Del Sucio Motel, pour une session plus rock. Restons dans le planant mais côté métal cette fois, on pouvait à la Temple écouter le très bon black atmosphérique de The Ruins Of Beverast.

Mais plus la soirée s’avance et plus le monde afflue. Réflexion que je me faisais déjà en 2019 : avec les années, il devient compliqué de profiter pleinement des nuits infernales. Les tentes sont tellement saturées de festivaliers qu’il n’y a souvent pas d’autre choix que se rabattre sur les côtés. Difficile alors d’écouter un concert à fond, sans être parasitée par les autres sets ou les balances du groupe suivant.

 

Ceux qui voulaient souffler un peu pouvaient donc prendre l’air du côté de la Hell City. Y jouaient notamment les excellents musiciens de Boisson Divine, folk gascon aux accents métal, dont on déplore l’absence sur une scène plus digne de leur succès.

Malgré tout, ce jeudi proposait une belle soirée, avec de très bons groupes de death et une grosse ambiance sous les tentes. On pouvait notamment retrouver le métal planant d’Insomnium et ses mélodies un peu folk, malgré un très mauvais son. Un peu plus tard, les excellents Septicflesh ont une fois de plus enflammé la fosse avec leurs orchestrations épiques et magistrales. Pour les amateurs de sonorités pagan, la soirée s’est achevée avec Heilung et Wardruna, nous immergeant dans la culture ancestrale nordique, aux accents guerriers et spirituels.

 

En 2019, le Hellfest mettait l’accent sur la scène française, en dédiant une journée entière et les planches de la Main Stage 1 à quelques-uns des groupes les plus en vue de l’Hexagone. Le vendredi 24 juin, l’organisation réitéra l’expérience avec un thème assez inattendu : la scène industrielle. Si le Hellfest s’enorgueillit de sa programmation très large, il faut bien admettre que l’indus est loin d’être aussi représenté chaque année. Tort réparé, en faisant jouer aussi bien des groupes émergents que les pionniers du genre. Ce fut à Fauxx de représenter la scène tricolore en ouverture de cette journée thématique. Au duo succédèrent ensuite Dead Heat, Youth Code et Health. Nitzer Ebb eut la lourde charge de remplacer les Canadiens de Skinny Puppy, ces derniers ayant annulé leur venue. Malgré l’absence du chanteur principal Douglas McCarthy et un accueil assez tiède d’un public peu habitué à l’EBM, le groupe s’en est sorti avec les honneurs, porté par des beats dansants et l’enthousiasme de Bon Harris.

 

Vinrent ensuite trois groupes dont l’influence sur cette scène n’est plus à prouver : Killing Joke d’abord, de retour pour une seconde prestation après celle du week-end précédent ; Ministry, avec un Al Jourgensen au meilleur de sa forme, qui dévasta la fosse sous des torrents de pluie et d’hymnes indus à forte connotation politique ; Nine Inch Nails enfin, qui se produisait pour la première fois à Clisson. Ce concert d’une heure et demie fut une totale réussite, grâce à la maîtrise et au charisme impressionnant de Trent Reznor. À l’heure où sont écrites ces lignes, NIN trône d’ailleurs largement en tête des meilleurs concerts de cette édition 2022 selon les votes des membres du forum officiel du Hellfest. Belle récompense pour un artiste bien trop rare par chez nous. Dans d’autres styles musicaux, des groupes sympathiques et pleins d’énergie nous ont également régalés avec de belles performances vocales. Parmi eux, le metalcore de Disconnected, le rock de Blue Pills et le power metal de Dragonforce.

 

Le succès de cette journée thématique est hélas à modérer. Si l’on peut saluer la prise de risque de faire venir des groupes à tendance electro, force est d’admettre que la Main Stage était bien trop grande pour les « petites » formations, réduites à jouer en bord de scène faute d’en occuper tout l’espace avec du décor et des instruments. Incompréhensible également de faire jouer Godflesh à la Valley ce même vendredi alors que les Britanniques sont largement rattachés au genre industriel. Une partie du public n’a pas compris cet univers musical assez éloigné des traditionnels riffs de guitare énervés, et à part pour les groupes les plus connus, le parterre était assez clairsemé. Enfin, du côté des fans d’indus, on peut s’interroger sur l’absence de groupes cultes comme Fear Factory, KMFDM et surtout Rammstein. À charge de revanche ?

 

Du côté de la warzone l’ambiance n’était pas moins enflammée : les jeunes énergiques de Pogo Car Crash Control et les folkloriques Celkilt nous ont fait danser sous la pluie.

Et pour plus de black métal, on pouvait se rendre sous les tentes écouter Neige Morte, Witchery et Moonspell, trois groupes aux ambiances prenantes. Quant aux amateurs de douceur, ils se sont sans doute tournés vers la voix aérienne d’A. A. Williams sous la Valley.

Mais parce que la canicule de la semaine précédente ne suffisait pas, c’est la pluie qui s’est invitée au concert cette fois-ci. Cet épisode humide confirme les problématiques de surpopulation au Hellfest. Au plus fort de la pluie, les tentes ressemblaient davantage au métro bondé qu’à une zone de concert. Les espaces couverts étaient trop peu nombreux pour abriter tout le monde : qu’il pleuve ou qu’il brûle, tous les festivaliers ne peuvent pas s’abriter correctement. C’est à mon sens un vrai problème, qui serait à revoir pour une prochaine édition.

 

Comme le week-end précédent, le samedi 25 juin était surtout destiné aux festivaliers de la journée, en proposant une programmation à la fois mainstream et variée à même de satisfaire les curieux. Par chance, la canicule et les orages avaient enfin laissé place à un ciel plus clément et un air plus frais, idéal pour apprécier les concerts dans de bonnes conditions.

 

Le metal des Main Stages laisse place à des atmosphères plus rock. C’était l’occasion de retrouver Michael Monroe pour du bon rock and roll entraînant, Gary Clark Jr et ses influences blues, le toujours excellent Myles Kennedy et Airbourne, encore en forme après un premier passage le premier week-end. Tête d’affiche de la journée, les Guns N’Roses se sont produits au (presque) grand complet pour un méga concert de deux heures et demie. Ce concert ne fut malheureusement pas à la hauteur des attentes pour certains, qui jugèrent cette prestation assez médiocre dans l’ensemble.

Les amateurs de metal épique ne furent pas laissés en reste non plus. À peine l’heure du déjeuner passée, Gloryhammer a investi la Main Stage 2 pour 40 minutes de second degré et de bonne humeur. Plus tard dans l’après-midi, le metal celtique des Suisses d’Eluveitie rappelèrent à tous la proximité des terres bretonnes, avec en prime la version française de leur tube Call Of The Mountains interprété par une Fabienne Erni très souriante. Epica et Nightwish représentaient la scène du metal symphonique devant des dizaines de milliers de fans venus apprécier les performances vocales de Simone Simons et Floor Jansen.

Pour se sustenter, le Hellfest proposait un large choix de stands, tant dans la city qu’au niveau des concerts. Face aux tentes se tient toujours la grande zone de restauration et sa diversité de styles gastronomiques. Du côté de la warzone également, quelques échoppes étaient à disposition. Glaces, pizzas, crêpes, tartiflette, indiens, wraps, croquetas… Végétariens et vegans pouvaient également y trouver leur compte, avec des plats tout aussi qualitatifs. Dans l’ensemble les repas étaient bons, mais un peu chers pour certains par rapport à la quantité proposée.

Un peu plus loin sous les tentes, le metalcore de Betraying The Martyr a fait des heureux, tandis que les amateurs de folk ont pu se ravir les oreilles avec Fedj, pour un set dansant aux sonorités traditionnelles. Notons également la présence exceptionnelle d’Arcturus, dont le dernier album date de 2015, pour une performance digne du génie de leurs morceaux.

Sur les Main Stage, la nuit s’est terminée sur un excellent concert de Blind Guardian, qui joua pour l’occasion l’intégralité de leur album Somewhere Far Beyond sorti 30 ans plus tôt. Et quel plaisir de finir la nuit sur Valhalla, aux côtés d’un Hansi Kürsch magistral du début à la fin, malgré la fatigue accumulée !

Parmi les nombreux groupes jouant ce samedi, deux méritent une mention particulière. Draconian d’abord, qui eut l’infortune de jouer en même temps que Nightwish, ce qui les priva d’un public plus conséquent pour une occasion spéciale. C’était en effet le tout dernier concert de la talentueuse Heike Langhans au sein du groupe, et le retour de Lisa Johansson après une décennie. Les deux chanteuses se partagèrent la scène lors d’un passage de flambeau doux-amer. Myrkur ensuite, pour une magnifique parenthèse d’une heure loin des guitares et des blast beats. En dépit de contraintes techniques, Amalie Bruun et ses musiciens firent du temple du black metal un refuge reposant et magique, avec des chants traditionnels tirés de l’album Folkesange. L’ovation des festivaliers à la fin de ce concert était amplement méritée.

 

Enfin vint le dimanche 26 juin, dernier jour d’un Hellfest pas comme les autres. Epuisés mais pas prêts à baisser les bras, les festivaliers franchirent une dernière fois les portes de la cathédrale, en grand nombre. Beaucoup se dépêchèrent vers la Main Stage 1 très tôt dans la journée pour s’y assurer une place au premier rang, près d’une étrange excroissance de la scène. Il leur fallut pourtant s’armer de patience et profiter des groupes précédents avant la récompense du soir.

Forts de leur large succès sur YouTube en seulement deux ans, les Canadiens de Spiritbox eurent l’honneur d’ouvrir la Main Stage 1 de cette ultime journée. Les petits jeunes d’Alien Weaponry, qui ont réussi à mêler heavy metal et culture maori, ont pu une fois de plus se présenter au public européen malgré un concert court. Svart Crown, groupe bien connu des aficionados de black metal français, joua son tout dernier concert, comme annoncé par le leader Jean-Baptiste Le Bail, depuis peu vocaliste pour Igorrr. À la Valley, les populaires Regarde Les Hommes Tomber et Hangman’s Chair ont joint leurs forces pour un concert massif à bien des égards. Bullet for my valentine a drainé son lot de fans sur les pelouses, pour un set énergique et puissant. Quant aux membres d’Avatar, ils ont su offrir au public du Hellfest une heure de show divertissant comme eux seuls en ont le secret malgré quelques problèmes de son.

 

Les têtes d’affiche de chaque scène avaient de quoi laisser à chacun le choix de terminer leur Hellfest sur le dessert de leur convenance. Les membres de Sabaton, encore auréolés de leur statut de héros du Hellfest depuis le fiasco Manowar en 2019, ont planté le drapeau en Main Stage 2. Une fois de plus, les suédois se sont montrés à la hauteur en proposant un show époustouflant et plein de bonne humeur. À la Warzone, Comeback Kid eut droit à son lot de poings levés et de pogos endiablés pour l’un des concerts les plus appréciés du week-end dans le domaine des moshers. Les fans de metal extrême ont pu retourner quelques décennies en arrière devant des vieux de la vieille comme Napalm Death, mené par un Barney Greenway qui a su choisir ses mots pour parler de l’état du monde, ou Mercyful Fate, jouant dans un superbe décor à mi-chemin entre le sanctuaire d’Athéna et le Temple Satanique. Saluons le courage des groupes ayant dû clore le Hellfest pour les « petites » scènes : Orange Goblin, Carcass, Suicide Silence et Triptykon. Des formations bien établies et respectées, qui eurent le malheur d’affronter le titan de la Main Stage pour le droit de rassembler quelques milliers de fans devant leurs scènes. Un titan du nom de Metallica.

 

Le Hellfest a franchi de nombreuses étapes depuis ses débuts, qui ont contribué à l’élever toujours un peu plus sur la scène internationale des festivals de metal. La venue d’Iron Maiden en 2014 ressemblait fort à une intronisation dans les formes dans la cour des grands. Celle de Rammstein en 2016 attira l’attention du grand public et des médias, grâce à la réputation pyrotechnique des Allemands. La venue de Metallica, que beaucoup considéraient comme impossible du fait que le quatuor tourne plutôt dans des stades, tend à prouver que le Hellfest a les moyens financiers et techniques d’accueillir un tel groupe. La venue du groupe a malheureusement drainé avec elle nombre de festivaliers venus en touristes, complètement indifférents aux autres groupes pourtant non moins qualitatifs. L’esprit d’ouverture et de découverte du Hellfest semblait bien loin, en ce dernier dimanche de festivités. Dès l’heure du déjeuner, les pelouses se sont vues envahir par des spectateurs bien décidés à ne pas bouger. L’heure avançant, il devient de plus en plus difficile de progresser. A tel point que dès l’après-midi, même les photographes (!) ne pouvaient plus accéder au pit photo des Main Stages à moins de camper devant l’entrée, ce qui les privait des autres concerts. Ce point là au moins aurait pu être anticipé par l’organisation.

Avec des loges spécialement aménagées, une extension de scène pour jouer au plus près du public, et près de deux heures de show, la bande de James Hetfield savait donc qu’elle venait en terrain conquis. L’affluence était telle que les festivaliers se serraient encore à plus de cent mètres de la scène. Dès les premières notes de l’énergique Whiplash, l’histoire est écrite, et aux derniers accords de guitares de Master Of Puppets succéda un petit feu d’artifice, suivi d’un plus large quelques minutes plus tard, pour féliciter les festivaliers d’avoir survécu à cette double édition.

 

Il convient néanmoins de nuancer l’appréciation de ce concert, qui pourrait attirer bien des superlatifs. Si Hetfield prit ici et là quelques minutes pour échanger avec le public, parfois drôle, parfois sérieux, le reste du groupe n’a jamais vraiment donné l’impression d’être « dedans ». Au-delà des blagues récurrentes (et méritées) sur le jeu de batterie de Lars Ulrich, persistait cette impression tenace d’être face à un groupe venu encaisser son (gros) chèque, et jouer en mode pilotage automatique en se reposant sur son aura pour justifier sa place sur l’affiche, au lieu de saisir l’occasion de ce premier concert à Clisson pour proposer quelque chose d’unique. Alors oui, celles et ceux qui voyaient Metallica pour la première fois n’ont pas boudé leur plaisir, mais pour les autres, il y a fort à parier que ce concert ne restera pas dans les annales comme l’un des plus grands moments du groupe sur scène. Et c’est sans parler de l’attitude discutable d’une partie du public, faisant fi du respect et de la convivialité propre aux rassemblements metal. C’est malheureusement l’un des effets pervers qu’une telle tête d’affiche peut provoquer dans un tel événement, et un point noir sur lequel l’organisation n’a aucun contrôle.

 

Ainsi se termina ce second week-end, ou presque. Car le ciel lui-même avait une dernière surprise en réserve, et des centaines de festivaliers en furent témoins en quittant les lieux, autour de 2h15 du matin : le passage d’un météore, transperçant le ciel nocturne en se désagrégeant. Qu’on soit superstitieux ou non, personne n’aurait pu parier sur une fin de Hellfest pareille, et libre à chacun de n’y voir qu’une belle coïncidence ou un clin d’œil de Lemmy depuis l’autre monde.

 

Après cette semaine et demie de festivités, Clisson retrouva son calme habituel, et les dizaines de milliers de spectres noirs se dispersèrent aux quatre vents, laissant derrière eux les échos d’une incroyable fête depuis trop longtemps attendue. Le Hellfest est désormais prêt à écrire d’autres chapitres de son histoire ; pour l’heure, il est temps de refermer le livre, souffler un bon coup et s’endormir paisiblement avec cette petite phrase en tête : « vivement l’an prochain ».

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