Fear Factory, c’est une histoire particulière. Celle d’un groupe qui “aurait pu”, et qui au final a succombé dans cette lutte entre l’homme et la machine dont il a fait son leitmotiv pendant près de 30 ans. Aggression Continuum, dixième album des Américains, nourrit donc une certaine frustration.
Soyons bien clairs : en aucun cas, Aggression Continuum n’est un mauvais album. N’importe quel fan de Fear Factory saura y trouver de quoi le contenter. Après tout, quand on a le statut de pionnier du metal industriel, on peut difficilement faire moins bien que ceux qui ont suivi. Fear Factory a donc survécu, tant bien que mal, aux épreuves judiciaires, et réussi à délivrer un album qui aurait dû voir le jour depuis des années déjà. On est pourtant loin d’une happy end. Dino Cazares a dû se ruiner pour obtenir les droits sur le nom du groupe, et Burton C. Bell, lassé par les affrontements entre ex-membres, a fini par jeter l’éponge et quitter la formation. Chacun a donné sa version des faits. Dans cette situation, difficile d’apprécier l’album sans soupirer devant tant de gâchis.
Si personne n’a attendu Aggression Continuum pour savoir que le duo Bell/Cazares est la force derrière Fear Factory, le dernier acte du duo porte les stigmates de sa création mouvementée. Les orchestrations, la production, tout est presque trop propre. Bien sûr, Fear Factory nous a habitué à des albums au son massif, du vénéré Demanufacture au plus récent Genexus, dont on retrouve ici certains aspects. Les guitares sont lourdes et saccadées, les riffs mitraillent au rythme des blasts chirurgicaux de Mike Heller sur des morceaux casse-vertèbres. Et surtout, Burton rappelle qu’il est l’un des chanteurs les plus sous-estimés de la scène metal, avec cette alternance chant clair/chant hurlé (et quel hurlement !) qui a influencé bien des pontes du genre, de Rob Flynn à Devin Townsend. Une raison de plus de regretter son départ.
Dixième album, dix pistes. L’album se tient de bout en bout, constant et mécanique, dans une rigueur toute industrielle. Pas de morceau plus faible ou plus fort que d’autres, même si chacun trouvera ses pistes favorites. Par certains côtés, on peut regretter le manque de prise de risque artistique. Les petites pointes intéressantes ne retiennent pas l’attention assez longtemps, comme sur Collapse qui lorgne ouvertement du côté de Meshuggah, ou Monolith qui n’aurait pas fait tache sur le dernier Lacuna Coil. Là encore, on peut s’interroger sur ce qu’aurait pu être l’album si l’ambiance avait été meilleure. Au moins, on retrouve l’éternel combat entre l’homme et la machine, avec un double sens de lecture presque trop évident. Comment ne pas voir derrière le masque lorsque Burton répète à plein poumons “no regrets, follow your own way” (Disruptor), “no more will I be a victim” (Aggression Continuum), ou “I hate everything” (Fuel Injected Suicide Machine) ?
Le changement le plus marquant concerne la dernière piste. Souvent, le groupe clôt un album par un morceau plus calme, comme sur Genexus avec le magnifique Expiration Date – qui, pour le coup, aurait pu être le morceau parfait pour signer la fin de carrière de Burton au sein du groupe. End Of Line a bien un passage plus calme en milieu de morceau, mais reste globalement énervé. Il s’achève sur une citation tirée d’une œuvre de science-fiction, à savoir Dune : “I must not fear. Fear is the mindkiller. When the fear is gone, only I remain.” Encore une fois, chacun interprètera le choix de cette phrase à sa façon.
Quel que soit le parti que l’on prend dans la discorde entre Bell et Cazares, on ne pourra nier que ce dernier a été beau joueur, puisqu’il a conservé les parties vocales de son ancien chanteur plutôt que de faire appel à un remplaçant. Ou bien peut-être avait-il pressenti que les fans prendraient mal le fait d’ignorer la dernière prestation de Burton. Il faudra bien, hélas, trouver quelqu’un à la hauteur du bonhomme, car il n’aura pas l’occasion de défendre cet album sur scène. Une tâche qui s’annonce ardue pour Dino, tant Burton a tout laissé sur ce dernier album ; et une pilule bien dure à avaler pour les fans.
Il est rageant qu’après trois décennies, Fear Factory ne soit pas récompensé à la hauteur de sa contribution artistique. Un bon album est acceptable en cours de carrière, pas pour fermer un tel chapitre. La machine a gagné pour cette fois ; gageons que la résistance se mette en place dans un avenir proche, pour maintenir l’héritage laissé par le groupe, soit par lui-même, soit par les formations prometteuses qui s’évertuent déjà à perpétuer une certaine idée du metal industriel.