Le mythe a de commun avec la fantaisie de nous faire rêver, de faire travailler notre imaginaire tout en rapportant des récits merveilleux, dans lesquels souvent la magie, le surnaturel, le destin et les héros sont présents et se distinguent. Il n’est donc pas incongru de voir Bragelonne éditer dans son catalogue fantasy Les Mémoires de Zeus, roman mythologique de Maurice Druon, papa de la très célèbre saga de romans historiques Les Rois Maudits (1955-1977).
A ceux qui pensent que vivre pour un dieu est aisé, je dis : “Détrompez-vous.” Aux mortels qui croient que notre vie n’est que volupté et délices, je dis : “Apprenez de votre erreur.” Ayant échappé à l’infanticide, j’ai grandi seul, caché sur une île. Je suis devenu un homme, et, guidé par ma grand-mère Gaia, j’ai concocté un plan afin de renverser mon père, Cronos, maître de l’Olympe. Seul j’ai appris la vie, l’amour, la mort et la colère. J’ai levé une armée, j’ai réveillé les géants, j’ai libéré mes frères et mes sœurs. J’ai accompli mon destin ! Moi, Zeus, roi des dieux, dieu des rois, je vais vous conter mon histoire…
Les premières amours sont celles vers lesquelles toujours nous revenons, c’est ainsi que souvent je retourne me pencher sur les ouvrages de mythologie. Riches en héros, exploits, aventures, magie, grandes destinées et tragiques destins toujours dirigés par le fatum (destin, fatalité). Zeus, narrateur de ce récit, n’irait sans doute pas contredire cet adage. Lui, le roi des dieux, dont les premières amours demeurent encore et toujours les femmes.
Sans elles, pas de Zeus, pas de sublime parricide (ok, il n’a pas tué Cronos, père infanticide et anthropophage, mais il l’a quand même enfermé aux Enfers avec ses frères les Titans), ni de Saisons, ni de Muses et encore moins de dieux Olympiens et de héros tels Héraklès (vous savez, ce héros immortalisé par ce film Disney très connu où tous les personnages ont des noms grecs sauf le protagoniste… :D). Il est donc normal que l’on ait et par le menu, la longue (et non exhaustive) liste de ses amantes et maîtresses. J’ai personnellement trouvé pour le moins rébarbative les aventures de notre cher godelureau auprès de toutes ces femmes, déesses, nymphes et mortelles. Mais comme je l’ai souligné précédemment, sans elles, pas de dieux olympiens, ni de héros, et donc aucun récit. Il nous faut donc arriver à surmonter les cent premières pages afin, qu’enfin la monotonie des unions diverses et variées entre toutes les divinités cède le pas à la Titanomachie, la conquête du pouvoir par Zeus et sa victoire sur son cher papa, lui-même parricide (Cronos n’a certes pas tué son cher géniteur, mais lui a infligé une telle mutilation que le Ciel, Ouranos, et la Terre, Gaia, depuis en sont séparés) et ses frères les Titans.
C’est à partir de là, de cette conquête du pouvoir, de cette Titanomachie, que le récit devient véritablement intéressant. Le texte se déroule alors à travers les divers âges et époques des dieux et des hommes, jusqu’à nous (enfin jusqu’en 1967). Divers événements se succèdent, de la Gigantomachie au Déluge, en passant par le vol du feu par Prométhée jusqu’à la mort d’Alexandre le Grand, un des derniers fils mortels de Zeus.
Maurice Druon, génial écrivain, a su mêler à son roman des éléments réels, scientifiques, afin de situer chronologiquement les différentes ères. Ainsi fait-il remonter l’Atlantide (première époque des hommes) à des temps forts anciens où il n’y avait qu’un seul continent, avant que la colère et la jalousie de Cronos ne le pousse à détruire l’oeuvre de son père Ouranos et n’anéantisse l’Atlantide. Druon embellit également le récit par de belles descriptions des lieux du monde grec ; soit de l’Indus aux colonnes d’Hercule, en passant par la multitude des îles grecques, et ses temples incontournables : Delphes, Délos, Éphèse, Olympie, etc. ; ainsi que des œuvres fondatrices de l’art grec. Ainsi reconnaît-on le Kouros archaïque au bélier du musée archéologique de Thasos ou encore la si particulière Artémis Farnèse du musée archéologique de Naples. Par ailleurs, l’auteur, à travers la bouche de Zeus, n’hésite pas fustiger les errements des hommes au travers de ceux des dieux (Prométhée, Tantale). L’ombre des maux du XXe siècle, en particulier celle de la Seconde Guerre mondiale et de ses horreurs, pèse sur cet ouvrage comme autant d’indignations divines sur des interdits divins (anthropophagie). Malgré certains sombres accents, échos de sombres heures, le roman se termine sur une note optimiste, où Zeus prédit à Ganymède (royal échanson et son favori) et Hermès, qu’un jour les hommes cesseront de s’entre-tuer et s’uniront pour une cause commune.
Maurice Druon, patient collecteur et compilateur des mythes grecs a brillamment réécrit la mythologie grecque en un récit sous forme de mémoires – forme de roman d’affectionnèrent d’autres auteurs du siècle passé dont Marguerite Yourcenar (Les Mémoires d’Hadrien, 1951). Il nous donne à contempler un monde qui, autrefois, émerveillait nos ancêtres, voyant en la Nature et ses multiples formes divers dieux et divinités. La réécriture de tous ces mythes et leur interprétation nouvelle est une réflexion de Druon sur le monde d’après la guerre et sur l’avenir qui s’annonce. C’est avec un grand plaisir – même si le récit des aventures amoureuses de Zeus n’était pas mon dada bien que j’aurais dû m’y attendre au vu des Métamorphoses d’Ovide – que j’ai lu Les Mémoires de Zeus, découvrant et redécouvrant des mythes et des histoires que j’avais oubliés ou ne connaissais pas. Et c’est avec un plus grand plaisir encore que j’ai voyagé dans le monde et la culture de la Grèce antique.
Amoureux de fantasy, peut-être trouverez-vous dans ces pages quelques similitudes avec les héros de vos romans préférés.