Quand on évoque le nom de Margaret Atwood, c’est La Servante écarlate qui aussitôt vient à l’esprit. Comme nombre d’auteurs, la Canadienne voit le reste de son œuvre masqué par son ouvrage le plus mis en avant. Mais Margaret Atwood est une auteure qui a beaucoup réfléchi à la position de la femme dans la société – cela vous étonne ? –, dans le couple, dans sa propre féminité, et même si elle ne se reconnaît pas comme féministe, c’est plutôt une filiation humaniste qu’il convient d’attribuer à ses livres.
Stan et Charmaine ont été touchés de plein fouet par la crise économique qui consume les Etats-Unis. Réduits à vivre dans leur voiture, ils sont au bord du désespoir. Charmaine trouve alors la solution à tous leurs problèmes dans une étonnante publicité pour la ville de Consilience. Promesse d’une vie de rêve, Consilience leur assure un toit, à manger et du travail… Un mois sur deux. L’ autre mois, les habitants le passent en prison, nourris et blanchis, pendant que d’autres s’installent chez eux. Une règle absolue régit cette étrange utopie : ne jamais entrer en contact avec les “alternants”. Mais Stan tombe bientôt sur un mot qui va le rendre fou de désir pour celle qui se glisse entre ses draps quand lui n’y est pas : “Je suis affamée de toi”.
C’est le cœur qui lâche en dernier est absolument un propos humaniste au sens où il interroge sur l’avenir du couple dans un monde en voie de déliquescence. Si souvent les récits postapo éludent l’origine du déclin, ici nous sommes clairement dans du postéco, un monde où l’économie ne parvient pas à survivre à une énième crise. Des millions d’individus se trouvent dessaisis de leur cocon, de leur maison et doivent vivre dans leur voiture, quand ils en ont encore une.
C’est le cas de Stan et Charmaine, un couple que la crise n’a pas épargné. Si Stan n’a pas retrouvé de travail, Charmaine a réussi à se trouver un travail de serveuse à temps partiel dans un bar. Stan se charge de protéger leur seul toit dans un monde où les vols, les viols, la violence se sont généralisés. Il a bien son frère, Conor, chef d’une bande de criminels qui pourrait l’aider, mais il s’y refuse.
Quand ils découvrent l’offre de Conscilience et de Positron, ils se disent qu’ils pourraient tenter leur chance. Ces projets recherchent des sujets sains à qui ils vont attribuer un logement qu’ils occuperont un mois avant d’aller le mois suivant dans la prison de Positron, laissant la place à leurs alternants qu’il est strictement interdit d’essayer de rencontrer.
Ce roman est l’occasion de visiter les limites de l’humain quand il se trouve dans un mouvement formaté par d’autres. Ainsi comment vont évoluer les relations au sein du couple ? Comment ce projet peut-il bien s’autoreproduire dans un monde en crise ? Et surtout, quel est le prix réel à payer ? Une belle étude de caractères et une approche dystopique d’un monde qui existent déjà dans ces prisons privées auxquelles il ne manque que l’autogestion pour en faire un cauchemar authentique.