À la fin du XIXème siècle, dans une île perdue au large de la Nouvelle-Angleterre, deux gardiens de phare entament une mission de quatre semaines pendant laquelle ils seront complètement coupés du monde. Très vite une certaine tension s’installe entre les deux hommes. Le plus jeune, un certain Ephraim Winslow (Robert Pattinson ) se voit obligé par son collègue, Thomas Wake (Willem Dafoe), à accomplir les corvées les plus pénibles, tandis que ce dernier garde jalousement le phare pour lui. Qu’il y a-t-il de si précieux en haut de la tour du phare ? Winslow doit cohabiter avec un compagnon tyrannique et répugnant, mais il s’accroche à cet espoir : tenir quatre semaines dans cette prison à ciel ouvert, puis mettre les voiles. Le problème c’est que la tempête gronde. À la fois en mer et dans les têtes…
Robert Eggers n’a, pour l’instant, que deux films à son compteur. Mais on peut déjà affirmer que le jeune réalisateur américain aime prendre des risques. Son premier film, l’excellent The Witch (sorti en 2016) présentait déjà un côté contemplatif, visuellement très beau mais austère, qui n’était pas (et n’est toujours pas) dans l’air du temps. Et on peut dire que pour The Lighthouse les partis pris sont encore plus audacieux : tourner le film avec un format d’image carré. Et en noir et blanc, tant qu’on y est !
Pourquoi des choix pareils ? Eggers a opté pour le format carré (format qui date du cinéma muet, tout de même!) et pour le noir et blanc afin d’aider son film à avoir l’air vieux. C’est réussi, même si The Lighthouse contient aussi des éléments qui « trahissent » sa modernité. Mais ce ne sont pas là les seuls avantages que Robert Eggers y a vus. Revenir au 4/3, format originel du cinéma, lui a aussi permis de se concentrer sur les visages de ses deux acteurs (et quelles trognes!) et à se régaler à faire du gros plan. C’est parfait aussi pour créer de la claustrophobie avec ces décors baignant dans l’obscurité (avec le noir et blanc qui augmente encore plus ce côté ténébreux, oppressant et parfois craspec) et cette image carrée qui réduit l’espace et oblige à se focaliser sur les acteurs. Bien joué. Sans parler que le directeur photo, Jarin Blaschke, trouve ici les conditions pour composer de véritables tableaux, surtout avec les plans montrant le phare et l’île. Le style visuel de The Lighthouse possède ainsi cet aspect « vieillot », cette patine, qu’ont les vieilles photos, tout en trouvant un bel équilibre entre noirceur et lumière. Du travail d’orfèvre.
Au niveau des acteurs, on peut dire que Willem Dafoe trouve ici un rôle dans lequel il s’investit complètement. Il est extraordinaire avec sa dégaine de vieux loup de mer timbré. Thomas Wake est un rôle difficile, qui a probablement obligé Dafoe à abattre un gros travail au niveau de sa voix et de la prononciation très caractéristique du personnage. L’acteur excelle aussi à rendre son personnage antipathique, fou et répugnant. Le rôle est intéressant, mais exigeant, pour ne pas dire éprouvant sur certaines scènes !
En face de lui, Robert Pattinson prouve à quel point il a pris de la bouteille en travaillant avec de grands réalisateurs (Cronenberg, James Gray et donc maintenant Eggers). Il est loin le temps du jeune premier twilightien. Héritant d’un personnage assez taciturne (du moins au début) et mystérieux, Pattinson se révèle magnétique à l’écran et tout à fait à l’aise dans son rôle. Un temps son nom a circulé pour l’Oscar du meilleur acteur. Il ne l’a pas eu. Ce qui n’enlève rien à la qualité de son interprétation.
Grâce à un pari technique réussi et à une interprétation au diapason, The Lighthouse est une expérience visuelle unique. Le film est aussi très ambitieux thématiquement parlant et propose une plongée extrême dans la folie et le mystère de l’âme humaine. Pour cela Eggers n’hésite pas à revisiter des mythes tels que ceux de Prométhée, Poséidon et de la boîte de Pandore. Rien que ça. Ici les sirènes ne chantent pas pour envoûter les marins et les pousser au naufrage. Au lieu de cela elles profitent de leur fragilité, de leur extrême solitude, pour les mener vers une folie aux allures de créature lovecraftienne.
N’oublions pas de signaler que Robert Eggers a également co-écrit le scénario (avec son frère Max) et qu’il fait partie des co-producteurs de son film. C’est dire son niveau d’implication et de contrôle sur le projet. On obtient ainsi un film personnel, riche, original. Cerise sur le gâteau, The Lighthouse a plutôt bien marché au box-office. Robert Eggers devrait donc continuer à avoir les coudées franches pour faire ce qu’il veut. Pour l’instant le jeune réalisateur a une courte, mais impeccable filmographie constituée de deux films extrêmement marquants. Un peu comme un certain Ari Aster. Ces deux-là, bien que différents dans leurs styles et leurs obsessions, semblent incarner une certaine forme de relève, une évolution plus auteurisante du cinéma d’horreur. On a d’ores et déjà hâte de découvrir leurs prochaines audaces.