Le nouveau film de Christopher Nolan était attendu comme le messie par une industrie cinématographique sinistrée et un public lassé des comédies françaises qui squattent les salles depuis la réouverture. Il semble d’ailleurs que ce soit sur demande du réalisateur lui-même que le film est sorti en salle chez nous (en avance par rapport aux USA), les studios étant plutôt réticents au vu de la faible fréquentation en ce triste été pandémique.
Alors ce nouvel opus comble-t-il les fortes attentes qu’il a suscitées ?
Après une intervention musclée dont il ressort « officiellement mort », un agent de la CIA est recruté par une mystérieuse organisation. Son but : éviter la 3e guerre mondiale. Et pour cela, arrêter un trafiquant russe qui met en vente des armes qui voyage dans le temps à l’envers…
Dans sa campagne promotionnelle, Christopher Nolan avoue sa passion de longue date pour les James Bond de son enfance. Pourtant, après la trilogie Batman, il avait déclaré ne plus vouloir se frotter à une licence, certainement trop contraignant pour un créateur à l’imagination débordante. Il a donc décidé d’en proposer sa propre version. Et pour ce spécialiste des trames temporelles imbriquées, il ne pouvait imaginer un « simple » film d’espionnage.
Plutôt que de mélanger plusieurs histoires parallèles comme il l’a fait plusieurs fois, il a décidé cette fois d’intégrer une idée venue de l’astrophysique (?) : et si le temps était une dimension comme une autre, que l’on pourrait parcourir dans les deux sens ? Principe déjà utilisé dans le Tesseract d’Interstellar d’ailleurs.
Il ne s’agit pas vraiment de voyage dans le temps, mais bien d’objets pouvant se déplacer en sens inverse par rapport à notre perception courante. Inutile d’en dire plus, pour ne pas divulgâcher les quelques surprises du scénario.
La partie espionnage du film est très classique, avec les faiblesses inhérentes au genre Bondien : une enquête qui se contente de se déplacer d’intermédiaires en intermédiaires, sans réelle difficulté, jusqu’à l’affrontement final avec le grand méchant.
Nolan essaye pourtant d’y insuffler sa vision des personnages, qu’il cultive de film en film. Ses héros ne sont jamais des surhommes, ils ont même souvent des motivations peu reluisantes. Et ses « méchants » sont très souvent nuancés (quand il y en a, voir Inception, ou même Dunkerque avec ses Allemands réduits à une menace désincarnée).
Cette fois, le méchant est fidèle à la tradition : un oligarque russe violent et parfaitement haïssable. Kenneth Brannagh l’incarne avec beaucoup (trop ?) de conviction, on adore le détester. Nolan réussit quand même à lui donner une motivation, certes simpliste, mais compréhensible.
Détail : ce personnage est nommé Sator, comme ce carré magique trouvé à Pompéi qui propose un palindrome contenant « Tenet ». Ca n’est d’ailleurs pas la seule allusion à cet artefact.
Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Carr%C3%A9_Sator
Quant à son héros, c’est un des points faibles du film. Là encore, Nolan essaye de l’éloigner de la caricature habituelle de l’espion insensible, mais l’interprétation de John David Washington ne réussit pas vraiment à convaincre, entre sa détermination à sauver le monde et ses sentiments refrénés pour la femme du méchant. Un équilibre difficile, et pas totalement réussi. Est-ce dû à l’acteur lui-même, ou au type de film qui se prête mal à l’exposition d’une subtilité des sentiments ? A chacun de juger.
On se raccroche alors au personnage de Robert Pattinson, légèrement plus expressif, mais lui aussi contraint par une histoire centrée sur l’action et peu sur la sensibilité des personnages. Sa dernière conversation permet d’imaginer ce qu’aurait donné un film basé sur le même postulat, mais laissant plus de place à ses protagonistes.
La partie purement Nolienne de Tenet a fait couler beaucoup d’encre, et serait apparemment « incompréhensible ». Certes ça n’est pas un film que l’on met un dimanche soir après une longue journée de randonnée. Comme ses précédents opus, il demande un peu d’attention, mais ça n’est pas si compliqué.
S’il est une force que l’on peut reconnaître à Nolan, c’est de rendre toujours intelligible ses scénarios à trames temporelles multiples, là ou d’autre réussissent à rendre incompréhensible des histoires linéaires (quelqu’un a compris Quantum of Solace?).
Et comme souvent, le procédé rendra intéressante, voire nécessaire, une deuxième vision.
Nul doute que cette histoire de temps inversé génère quelques incohérences, on attend avec impatience la dissection du film qui ne manquera pas d’apparaître sur le net.
Ami de la rigueur scénaristique sans faille, passez votre chemin, Eté 85 vous tend les bras. Le fantastique nécessite un minimum de suspension de l’incrédulité.
A l’image de ses deux derniers films, Nolan a opté pour une photographie désaturée. Le film baigne dans une ambiance gris/bleu constante. Une option qui va à l’encontre de sa note d’intention, l’hommage à « James Bond et ses paysages qui donnent envie d’aimer la Terre » (cette idée n’étant pas innocente dans le message du film). D’ailleurs il n’y a quasiment pas de paysage. Étonnant, pour un film qu’il a mis apparemment de nombreuses années à écrire.
Un dernier mot sur la musique. Hans Zimmer étant occupé sur le Dune de Denis Villeneuve, c’est Ludwig Göransson (Black Panther, The Mandalorian) qui se charge de la bande son. Le compositeur suédois livre une composition qui ne dépareille pas dans la filmographie de Nolan, à la fois inventive et bruyante. Pas toujours subtile, mais efficace.
Ce dernier film ne réconciliera pas Christopher Nolan avec ses détracteurs, mais comblera les amateurs. Au-delà du « truc scénaristique », le film affiche quelques faiblesses qui l’empêchent de se hisser au niveau des meilleurs films du réalisateur.
Reste que même un Nolan moyen se hisse largement au-dessus de la majorité des productions, et que si l’on accepte les faiblesses du genre Bondien, on passe un excellent moment.