En 1913, le séduisant Comte Dracula débarque en Angleterre pour s’installer dans l’abbaye de Carfax. Tombé sous le charme de la fiancée de son clerc de notaire, Dracula décide de faire de la jeune femme sa nouvelle épouse pour l’éternité…
En 1979 John Badham sort d’un grand succès avec le célèbre Saturday Night Fever (1977) lorsqu’il se lance sur le projet Dracula. Passer du drame musical à l’adaptation de ce qui est, peut-être, le plus célèbre des romans d’horreur était déjà un pari en soi. C’est que Dracula était seulement son troisième long-métrage (même si Badham aura réalisé une multitude de téléfilms et d’épisodes de séries TV entre 71 et 76, pour se faire la main).
Et c’est ainsi que John Badham opte, bien avant Francis Ford Coppola, pour une vision romantique du comte vampire. C’est lui, le premier qui a humanisé le personnage au cinéma. Il se base pour cela sur une pièce de théâtre, adaptation très libre du roman de Bram Stoker, écrite par Hamilton Deane et John L. Balderston. Le moins que l’on puisse dire est que la surprise est grande pour le spectateur qui découvre le film sans connaître la pièce.
Car Dracula version 1979 démarre directement avec l’arrivée très spectaculaire du comte vampire en Angleterre. Décision qui, disons-le franchement, envoie valdinguer les 5/6 premiers chapitres du roman dans la joie et la bonne humeur. Ouh que c’est osé ! Pour les fans du livre, la pilule a déjà du mal à passer, tant le voyage de Jonathan Harker en Transylvanie et son séjour dans le château de Dracula contribue au charme, au pouvoir d’immersion, de cette histoire.
Mais soit ! John Badham n’a que faire de la Transylvanie et c’est son choix ! La déception (grande) passée, le spectateur doit bien admettre que le film démarre sur les chapeaux de roue avec le naufrage du Déméter ( le navire russe sur lequel Dracula voyage). Cette introduction est pleine de fureur, de souffle dramatique, et en jette visuellement. Tout cela est très infidèle, certes, mais très réussi, c’est indéniable. De même, lorsque l’on découvre le chaos régnant à l’intérieur de l’asile du Dr Seward, on sent que Badham réussit à capter quelque chose à propos de la folie qui règne sur les lieux. Encore une fois, bien joué.
Venons-en au casting. Pour succéder à Bela Lugosi ou Christopher Lee, il fallait trouver un acteur avec le charisme et les épaules pour se glisser dans la peau du terrible comte Dracula. Ici, Frank Langella, avec sa prestance, sa voix envoûtante, s’en sort remarquablement bien. Langella connaissait déjà bien le rôle puisqu’il jouait déjà la pièce à Broadway. Avant d’accepter de faire le film, il aurait exigé de ne pas avoir à porter les crocs.
À noter également que John Badham s’est fait plaisir en recrutant Môssieu Laurence Olivier et Donald Pleasence. Laurence Olivier est parfaite, sans forcer, dans son rôle de Van Helsing. Pleasence campe, quant à lui, un Dr Seward un peu à la rue, mais amusant. Comme dans presque toutes les versions cinéma de Dracula, le rôle de Jonathan Harker (exception faite de Keanu Reeves en 92) est confié à un acteur plutôt fadasse. C’est le rôle qui veut ça. Ici c’est un certain Trevor Eve qui s’y colle, arborant moustache et coupe de cheveux à la Beatles. D’ailleurs, parlons-en de coiffure ! Qu’est-ce que c’est que cette coupe qui donne à Dracula/Frank Langella un air de magicien espagnol has-been ? Que les fans de Garcimore me pardonnent, mais c’en est trop! Pour en finir avec le casting, n’oublions pas de citer l’actrice Kate Nelligan, charmante et très convaincante dans son rôle de Lucy Seward (une femme libre, passionnée, visiblement encline à s’émanciper du patriarcat).
Une des grandes forces de ce Dracula version Badham est de se permettre de se priver de quelques-uns des temps forts du roman, tout en proposant en échange de jolies idées. On peut être frustré de ne pas apercevoir le Château de Dracula mais le film compense avec la très belle et gothique abbaye de Carfax (qui donnera l’occasion à un petit clin d’ œil au Dracula de Ted Browning). Quelques belles idées visuelles (le baptême de sang de Lucy) contribuent à séduire le spectateur récalcitrant. Le film a également son lot de scènes électrisantes, comme cette scène où Dracula et Van Helsing se rencontrent enfin. Cela fait des étincelles.
John Badham, semble-t-il, aurait protesté : le Dracula romantique c’est lui, et pas Coppola. Oui, mais Coppola n’a pas eu, lui, le culot de nous priver de l’introduction et de la fin transylvanienne du roman. C’est en cela que son film a été considéré comme fidèle, alors qu’il ne l’est pas vraiment puisqu’il se base sur une vision du personnage central très différente de celle de Bram Stoker, ainsi que sur une love story Dracula/Mina Harker totalement absente du roman. Non, ceux qui veulent une adaptation fidèle devraient jeter un coup d’œil à l’excellente mini-série de la BBC (en fait un téléfilm de 2h30 divisé en deux épisodes!) Count Dracula, qui date de 1977 et qui, elle, colle de près à l’histoire originelle.
C’est d’ailleurs en ayant la fin du roman en tête (et aussi celle de la version de Coppola) qu’on réalise à quel point l’acte final du film de John Badham semble bâclé voire un peu cheap. C’est dommage, car jusque là le film était comme Dracula : fort séduisant. Et ce, aussi grâce au très bon travail de Gilbert Taylor en tant que directeur photo, et de la belle musique composée par John Williams. Décidément cette version de 1979 est imparfaite, moins connue, mais elle a des atouts non négligeables.