Pegg Boggs représentante chez AVON (une marque de cosmétiques), tombe un jour sur Edward. Le garçon est intrigant, il a des cicatrices sur tout le visage et porte des ciseaux et autres objets tranchants en guise de mains. Généreuse et altruiste, elle l’invite à venir vivre avec sa famille dans sa petite banlieue typique des états unis.
Edward aux mains d’argent est sorti en 1991, et signe la rencontre entre deux grands monstres du 7ème Art : Johnny Depp et Tim Burton. Burton au sommet de sa gloire, avait décidé de se lancer dans un film autobiographique, soutenu par les studios. Il confia donc son scénario à une jeune romancière Caroline Thompson (qui signera par la suite L’étrange Noël de Monsieur Jack par exemple), et se mit à la recherche de celui qui allait devenir Edward. Johnny Depp à cette époque était un acteur à midinettes. Il brillait de sa présence dans la série 21 Jump Street, et tentait de casser cette image trop lisse et trop parfaite qui lui collait à la peau. Burton et lui se rencontrèrent et décidèrent de travailler de concert. Cette collaboration sera la première d’une longue série.
Le film pose une ambiance onirique et quelque peu magique. Tout commence dans une banlieue américaine parfaite, avec maisons, jardins, et familles au carré. On se croirait dans Desperate Housewives avant l’heure ! Chacun et chacune est bien à sa place : les femmes sont au foyer, les hommes, au travail. Il y a tous les stéréotypes : la cougar, la commère, la cuisinière, la fanatique religieuse, la gentille. Tout est bien ordonné, les voitures et les costumes assortis parfaitement à l’environnement. Une société parfaite…. en surface. À vrai dire, ce n’est qu’un vernis qui s’égratigne relativement facilement et rapidement dès qu’un grain de sable n’est plus tout à fait dans la plage. Tim Burton signe là un conte, avec une morale. La tolérance messieurs, dames. En toute chose. Nous sommes ici dans un monde créé de toutes pièces entre rêve et réalité, le cinéma fantastique et le dessin animé. De façon tout à fait magistrale, Burton nous montre ses influences. La réalité est passée au prisme de Frankenstein, Pinocchio et la Belle et la bête. Toutes les références sont là, et c’est un vrai régal.
L’équipe technique a également fait un travail admirable. Les costumes sont tous dans un style 50s très convaincant et Edward dénote avec brio de cet ensemble. Il porte du noir, du cuir, des harnais, des cicatrices et des cheveux en bataille. Il est aussi doux, gentil et naïf. Le contraste avec son accoutrement SM est saisissant (pour l’anecdote, la costumière avait omis de faire des aérations dans son costume ce qui lui valut quelques malaises dus à trop de pression du harnais pour les « mains » et la chaleur torride dans la combinaison). On ne peut nier la beauté gothique qui se dégage du personnage et de son habitat. Il est l’ombre, ils sont la lumière. Il est le mal, ils sont le bien. Pourtant le mal aura quelque chose de rassurant, de pur et de beau, là où les façades s’écrouleront et montreront encore un peu plus leur cruauté et leur total mépris de l’individualité de chacun et de sa liberté d’expression (au sens large). Tout ceci est porté par la musique magnifique de Dany Elfman (le comparse de toujours). Le compositeur avoue s’être inspiré de Casse-Noisette, le très aérien ballet de Tchaïkovski. Cela se ressent particulièrement dans les scènes oniriques à souhait, montrant de la neige et/ou des créations merveilleuses de la Créature.
Ce film est donc une espèce d’autobiographie/critique acido-satyrique de la société, version Burton, mais il est également le dernier rôle de l’idole de jeunesse du réalisateur. J’ai nommé Vincent Price. Burton lui a dédié son court métrage Vincent, jeune garçon fan de Poe qui se prend pour Vincent Price. Price impressionné, accepte de faire les voix sur le court et s’en suit une amitié avec son fan d’antan. C’est tout naturellement que Burton lui écrit un rôle sur mesure dans son film le plus intime, lui donnant le rôle du Créateur. Bien évidemment vous vous douterez que ce n’est pas un hasard. Burton a souvent répété qu’il était venu au cinéma grâce à Price. Il meurt dans le film seulement quelques mois avant de succomber à un cancer, et signe ainsi son dernier rôle sur un écran de cinéma. Johnny Depp quant à lui ne démérite pas un seul instant face à ce monstre sacré du cinéma fantastique. Sa candeur et sa retenue touchent le public et son absence de dialogue (Depp a spontanément supprimé quelques lignes de son texte) n’en sont que d’autant plus justes. Il est différent dans toutes les façons possibles et pourtant ce n’est que lui qui est vrai.
La critique de la société est virulente à l’image d’un contemporain tout aussi doué pour rendre le côté faussement lisse de l’Amérique, j’ai nommé John Waters. D’ailleurs, Cry baby, interprété également par Johnny Depp, pose exactement les mêmes jalons. A croire que la génération des réalisateurs blancs de ces messieurs a été traumatisée par le non-droit à la différence.
En conclusion ; Edward aux mains d’argent est un film particulièrement beau, sur tous les plans. La morale est belle, le visuel aussi. Les acteurs ont tous une aura toute particulière et la touch Burton est vraiment parfaite et à son apogée dans toutes ses nuances. Je ne peux que dire que ce film est un des nombreux chefs d’oeuvre à avoir dans une cinémathèque idéale. Même si c’est au final, une histoire d’amour.
Edward aux mains d’argent
Réalisé par : Tim Burton
scénario de Caroline Thompson
avec : Johnny Depp, Vincent Price, Diane Wiest, Wynona Ryder
20th Century Fox