Star Wars épisode VII : le Réveil de la Force

Mise en garde : cette critique révèle de nombreux éléments de l’intrigue, à ne lire donc que si vous avez déjà vu le film.

Il y a bien longtemps…

Lorsqu’en 1977 sort un petit film de science-fiction plutôt confidentiel, le monde était loin de se douter que ce fameux Star Wars (qui ne deviendra l’épisode IV – un Nouvel Espoir qu’à l’occasion d’une ressortie ultérieure) allait marquer durablement la culture populaire, au point de définir toute une mythologie et de donner naissance à une licence qu’enrichiront au fil des années de nombreuses déclinaisons : nouveaux films, romans, comics, jeux vidéos, jeux de rôle, jouets, etc. Plus qu’un simple long-métrage, Star Wars était devenu un univers à part entière que des générations de fans investirent de leurs propres visions et obsessions.

Malgré une seconde trilogie (dite « prélogie ») racontant les origines de Darth Vader (à l’époque Anakin Skywalker, jeune Jedi pris dans la tourmente de la Guerre des Clones) et accueillie plutôt froidement tant par la critique que par le public, Star Wars resta l’œuvre-fétiche d’innombrables geeks à travers la planète. C’est dire si le rachat de Lucasfilm par la firme Disney et la promesse de la mise en chantier d’une nouvelle trilogie (une « postlogie », cette fois) mirent en émoi toute cette population.

Aux commandes du premier épisode de cette nouvelle série – le Réveil de la Force –, on trouve J.J. Abrams : un réalisateur qui fit ses premières armes en tant que showrunner à la télévision avant de passer au cinéma – où son œuvre sonna dès lors comme un CV visant à lui faire obtenir le poste convoité d’initiateur de la postlogie : il continua une saga (Mission Impossible 3), rendit un vibrant hommage au cinéma des années 1980 tendance Spielberg / Lucas (Super8) et relança une franchise de space opera un peu moribonde (Star Trek). Mais en se mettant derrière la caméra pour réaliser une suite au Retour du Jedi, il écopait d’une tâche des plus ardues : Star Wars est une franchise qui appartient quasiment à l’inconscient collectif et chaque fan s’était déjà plus ou moins construit dans sa tête ce qui avait pu se produire après la fin de la trilogie originelle – bien aidé en cela par les nombreuses œuvres prenant place à cette époque (dont la fameuse – et surestimée – Croisade noire du Jedi fou de Thimothy Zahn). On pourrait donc dire que satisfaire ces attentes forcément multiples de façon unanime était mission impossible pour J.J. Abrams – à moins que le spectateur ne soit capable de s’abstraire de ses propres fantasmes et d’accepter la vision d’un autre.

Et une fois l’esprit vierge de toute anticipation, il est indéniable que la magie opère : l’on s’assoit dans la salle et le fameux déroulé nous informe des prémisses du Réveil de la Force alors que retentit le fameux thème de John Williams. Et nous voilà entraîné dans cette galaxie lointaine, très lointaine…

Miroir inverse

Le Réveil de la Force fait le choix de rendre un hommage appuyé à la trilogie originelle dans le but de mieux s’en détacher – afin de laisser la postlogie trouver sa propre voie. Et pour se faire, le film se construit en un miroir inversé des épisodes qui le précèdent chronologiquement (un Nouvel Espoir, l’Empire contre-attaque et le Retour du Jedi).

Certes à première vue, on pourrait y voir un quasi remake qui en reprend les grandes lignes directrices. Mais en réalité, il suffit de creuser pour s’apercevoir que cet épisode est profondément désabusé : il nous raconte d’une certaine façon l’échec de la génération précédente, celle qui avait pourtant tout pour réussir – et qui semblait y être parvenu en mettant l’Empire à genou. Mais les héros d’antan restent des humains (ou autre…) faillibles et quand un nouveau cycle débute, peut-être ne sont-ils plus ceux dont l’univers a besoin ?

Ainsi, une nouvelle République s’est bien formée mais elle semble loin de recouvrir toute la galaxie. Le Premier Ordre a pu se construire en marge sur les restes de l’Empire et une Résistance s’organise dans les systèmes qu’il contrôle. En trente ans, la paix et la concorde ne sont donc pas revenus : et pour cause ! Luke Skywalker a échoué à devenir un maître Jedi et s’est retiré en exil après la décimation de ses apprentis ; son propre neveu est passé du Côté obscur sous l’égide d’un mystérieux nouveau professeur, le leader suprême Snoke ; Han Solo a fui ses responsabilités de père en replongeant dans des magouilles de contrebandier ; même Leia – au lieu de diriger la République comme elle semblait y être destinée – a préféré rejoindre la Résistance, comme pour se plonger à nouveau dans la guerre en guise de punition pour n’avoir su garder son enfant dans la lumière.

De ce fait, la galaxie a besoin qu’émerge une nouvelle génération de héros capables de faire mieux que leurs aînés : Rey, Finn, Poe, Kylo Ren peut-être, d’autres sans doute… Ce qui explique pourquoi le film les fait passer quasiment par les mêmes épreuves que leurs prédécesseurs : fuite à travers la galaxie, confrontation avec le Côté obscur, quête à accomplir, lutte désespérée contre une arme surpuissante, etc. Et chaque étape s’avère alors un succès pour ces nouveaux héros : la station Starkiller est détruite, Finn cesse de fuir son passé et l’affronte, Rey ne cède pas à la tentation et s’éveille à la Force, Kylo Ren tue son père, Luke est finalement retrouvé… À la fin de cet épisode, ces nouveaux protagonistes ont donc déjà triomphé de la plupart des épreuves que leurs prédécesseurs ont eu tant de mal à surmonter – reste à présent à aller de l’avant, à voir ce que nous réserve la suite.

Le scénario (écrit conjointement par J.J. Abrams et Lawrence Kasdan – qui signa également le script de l’Empire contre-attaque) a donc parfaitement conscience de sa filiation et il l’utilise à deux niveaux : rassurer les fans avides de retrouver un certain esprit digne de Star Wars (d’autant plus après la prélogie) en leur offrant en grande partie ce qu’ils attendent mais aussi se détacher du passé en le revisitant habilement afin de régler les vieilles dettes. Le récit affranchit ainsi ses héros de leur héritage en un digest aussi ludique que nécessaire à leur parcours initiatique – leur permettant dès lors de trouver leur propre destin dès le film suivant. Il s’agit bien ici de « tuer le père » sur un plan symbolique (et littéral pour l’un des protagonistes !).

Kylo Ren est justement très représentatif de cette approche. Il se veut le nouveau Darth Vader, il le proclame même. Mais il est son double en négatif : un jeune homme décidé à rejoindre le Côté obscur mais toujours tenté par la lumière et qui a besoin d’une dernière étape pour basculer définitivement. Là où Darth Vader redevenait un Jedi en sauvant son fils, Kylo Ren devient un séide du Côté obscur en tuant son père : difficile de faire plus clair ! L’acteur Adam Driver parvient d’ailleurs l’exploit de pulvériser en quelques plans l’interprétation de Hayden Christensen dans le rôle d’Anakin en jeune homme tourmenté et déchiré entre les deux aspects de la Force.

La station Starkiller remplit elle aussi cette fonction d’affranchissement du passé. Son nom même est une inversion de son ancêtre la Death Star. Pour la neutraliser, les Résistants doivent d’ailleurs détruire une planète – précisément ce que l’Alliance devait empêcher dans un Nouvel Espoir. La situation n’est donc identique qu’en apparence : la mission d’assaut de la base Starkiller n’est qu’un enjeu secondaire du Réveil de la Force, presque une péripétie – ce qui compte étant le drame qui se noue en surface autour de Rey, Finn, Kylo Ren et bien sûr Han Solo… D’une certaine façon d’ailleurs, la station Starkiller est le pendant militaire de la fonction narrative de Kylo Ren. Tout comme le jeune adepte du Côté obscur veut se montrer à la hauteur de son aïeul et achever son œuvre, le Premier Ordre essaie de réitérer l’exploit de l’Empire en construisant sa propre arme de destruction massive. Et si ce qui est ancien échoue – même du côté des gentils (Leia n’a pas ramené la paix dans la galaxie, Luke a échoué en tant que professeur, Han a perdu tout ce qui lui était cher) –, alors il faut comprendre que c’est bien le renouveau qui apporte un espoir (et ce même du côté des méchants : Snoke estime à la fin du film que Kylo Ren est prêt à terminer son apprentissage).

Afin de consolider cette construction, J.J. Abrams n’hésite ainsi pas à montrer des scènes qui se font écho à certaines de la trilogie originelle mais ne portent pas la même signification. La base Starkiller à nouveau, cette « étoile de la mort du jour », est chargée d’enjeux et de significations différents de ses deux aînées. Elle n’arrive d’ailleurs dans le récit que très tardivement alors que les deux Death Stars étaient présentes dès le texte d’introduction dans un Nouvel Espoir et le Retour du Jedi. Et comme déjà expliqué, elle est reléguée au rang de péripétie et n’occupe pas une place centrale dans le parcours des héros – elle n’en est que le décor. Elle est certes un enjeu majeur pour les personnages (ou pour le méta-personnage de la Résistance) mais pas pour le spectateur – une réplique de Han Solo évacue d’ailleurs rapidement la problématique (« Comment on la fait exploser ? Il y a toujours un moyen de faire exploser ces trucs-là. »), comme pour recentrer l’attention du public sur ce qui compte vraiment.

La cantina est un autre exemple de cette volonté. Dans un Nouvel Espoir, c’est un décor de western, un saloon ayant pour but d’illustrer la diversité des espèces de la galaxie, de plonger Luke (et le spectateur) dans l’inconnu. Dans le Réveil de la Force, elle dépasse cette condition de simple décor pour devenir presque un personnage à part entière (le bâtiment est représenté par une statue de Maz Kanata, sa tenancière, comme si l’établissement était un prolongement de celle-ci). Dès lors, la cantina (qui adopte ici des allures de taverne médiévale chinoise) convoque des images connues de manière intradiégétique (les visions de Rey) et extradiégétique (un renvoi au freakshow de Mos Eisley). Puis elle initie le dépassement de ces mêmes images : Rey est bien « un nouvel espoir » mais elle refuse le sabre que Luke accepte immédiatement dans l’épisode du même nom. Elle fuit vers la solitude alors que Luke se rend à Mos Eisley, cet îlot de civilisation dans un immense désert de sable qui fait office de porte vers un « nouvel univers ».

Appuyant la métaphore déjà filée, ces deux grosses reprises des épisodes précédents – base Starkiller et cantina de Maz – finissent pulvérisées, comme si le réalisateur voulait ainsi montrer le dépassement des hommages de manière pleinement explicite.

Mythologie(s)

Il est connu qu’afin de construire sa saga, George Lucas puisa dans d’innombrables sources : légendes antiques, serials façon Flash Gordon, littérature de science-fiction, comics, western, chambarra, etc. Il s’appuya notamment sur les travaux du mythologue Joseph Campbell et son fameux monomythe théorisé dans le Héros aux Mille Visage.

Mais dans toutes ces influences, il semble y en avoir une qui émerge de façon plus explicite : celle du mythe arthurien. Ainsi, Luke qui accomplit son destin après avoir accepté une « épée magique » est une incarnation du Roi Arthur. Obiwan Kenobi, qui tient le rôle du vieux sage guidant le héros, est un avatar de Merlin. Han Solo est une variation autour de la figure du chevalier solitaire Lancelot (jusqu’aux sonorités de leurs noms). On trouve même une princesse, un chevalier noir et un château faisant office de ventre de la bête ; ainsi que l’héritage d’un pouvoir ancien et presque oublié ou le combat contre un adversaire écrasant afin de conquérir sa liberté. D’une certaine façon, la trilogie originelle racontait la version spatiale de l’adoubement d’Arthur, de la réunion des chevaliers de la Table ronde, de la victoire sur l’empire ennemi (Saxons ou Romains selon la version) et du retour à une concorde idéale.

Et il semble que J.J. Abrams et Lawrence Kasdan aient décidé de continuer dans cette voie, en adaptant plus ou moins la suite de la geste arthurienne. La situation d’ouverture du Réveil de la Force sonne donc un peu comme le crépuscule du Roi Arthur et de son glorieux royaume de Camelot… Cet épisode prend alors la même place que la Quête du Graal : quelque chose a été perdu, un « coup douloureux » a été porté et il y a une blessure que tout le monde ressent mais que personne ne parvient à guérir… La déliquescence de la galaxie qui autorise l’émergence d’un nouveau mal (le Premier Ordre) fait écho à la stérilité des terres de Bretagne et à la maladie du souverain. Et tout comme les chevaliers de la Table ronde échouent un par un à trouver le Graal – que seul le jeune Galaad parvient à brandir –, la galaxie de Star Wars a besoin de nouveaux héros car les anciens ont fait leur temps. Luke, l’héritier de l’ancienne magie dans la trilogie originelle et à présent exilé sur une Avalon cosmique, devient ici le McGuffin’ : le Graal sur lequel il faut mettre la main afin de sauver l’univers, celui qui pourra à nouveau faire couler la vitalité que représente la Force en en léguant la maîtrise à un nouvel élu. Quant à Kylo Ren, il devient évidemment le Mordred parricide de cette nouvelle saga. Et puisque l’on initie un nouveau cycle (quasiment au sens premier du terme : une structure circulaire), il est ainsi logique que le Réveil de la Force sonne comme une variation d’un Nouvel Espoir, mais jouant sur l’inversion des thèmes et des personnages – comme expliqué précédemment.

Dans la logique même de ce type de gestes mythologiques, le Réveil de la Force remet également au centre de son récit la notion d’héritage via des symboles chargés d’histoire. Le sabrelaser qui passa d’Anakin à Luke via Obiwan Kenobi retrouve sa portée légendaire et assume la filiation avec Excalibur (par opposition aux sabres-gadgets de la prélogie). L’arme permet ainsi aux héros du film de se révéler à chaque fois qu’il est brandi : la première fois que Finn l’active, il cesse de fuir son passé pour l’affronter ; la seconde fois, il décide enfin de se battre pour quelque chose ; quant à Rey, s’emparant de l’arme au nez à la barbe de celui qui s’en prétend le légataire légitime, elle accepte enfin son destin. D’autres artefacts occupent la même fonction : illustrer une passation de pouvoir, une transmission de valeurs. Finn, en récupérant le blouson du meilleur pilote de la Résistance, accepte implicitement de rejoindre ce mouvement. Rey pilote le Faucon Millenium et reçoit ainsi le patronage de Han Solo. Kylo Ren prie devant le casque de Darth Vader – son propre grand-père – dans l’espoir d’y puiser la force de se montrer à sa hauteur. Etc.

Et comme dans toute légende digne de ce nom, les héros s’y définissent avant tout par leurs actions. Finn déserte car « il s’agit du bon choix à faire ». Poe démontre ses qualités de pilote tout au long du film. Rey se prend en main seule (elle refuse par deux fois que Finn la lui tienne !) – même durant son évasion de la base Starkiller où elle apprend à maîtriser des dons sans doute déjà présents en elle. Kylo Ren passe par différentes étapes qui décortiquent la complexité du personnage (de nouvelle figure du mal à enfant perdu et déchiré). Quant aux anciens, ils deviennent des icônes – des figures d’arrière-plan qui encouragent mais n’osent plus guider, blessés par leurs échecs passés.

Il paraît donc évident que J.J. Abrams et Lawrence Kasdan se sont plongés dans l’ADN mythologique qui traverse la saga Star Wars. Ils ont alors décidé de lui donner une continuité en puisant aux mêmes sources, afin de légitimer la place de leur épisode dans la franchise tout en lui donnant une structure aussi solide que classique – en accord avec le travail initial de George Lucas.

Œuvre de fan

J.J. Abrams l’a assez dit : il est tellement admirateur de Star Wars qu’il a bien failli refuser l’opportunité de réaliser le Réveil de la Force.

Ce statut de fan – dont il devine que la plupart des spectateurs de son film le partage –, il s’en sert justement afin de leur offrir une confortable porte d’entrée dans l’univers. Bien sûr, de nombreux hommages et clins d’œil aux films précédents parsèment le Réveil de la Force – ils n’auront échappé à personne. Ce sont par exemples les trois plans successifs sur la table de dejarik dans le Faucon Millenium, celui de Finn qui trouve la boule d’entraînement de Luke ainsi que la scène où Chewie effraie un droïde. On note aussi la présence d’objets des films précédents qui dépassent ce stade de rappels car ils ont une signification à la fois pour le spectateur et pour les personnages : le sabrelaser de Luke, le casque de Darth Vader, le Faucon Millenium – ce qui répond à la notion d’héritage déjà abordée, qui cette fois-ci touche aussi le public. Le film communique très simplement avec les précédents et entretient une connivence avec le spectateur en jouant de cela.

Moins superficiel, les héros représentent également une métaphore du spectateur : ils ont entendu les légendes qui courent sur leurs prédécesseurs et ainsi vécu avec le mythe Star Wars. Cela construit une forme de mise en abyme où les personnages du film semblent être dans cette position de fan de la saga (qui est pour eux de l’histoire voire du mythe). On en a un exemple fort avec deux plans exactement semblables : le premier lorsque Rey entend la première mention concernant Luke Skywalker de la part de Finn, puis une seconde fois lorsqu’elle rencontre Han Solo et lui demande s’il est bien « ce » Han Solo. D’ailleurs, il n’est pas anodin que Rey habite littéralement dans les anciennes images de la trilogie originelle (elle vit dans un quadripode et gagne sa vie en désossant des destroyers impériaux), sur une planète qui devient une métaphore de la mémoire via de nombreux détails du décor. Comme le spectateur, Rey connait déjà ce « nouvel univers » là où dans un Nouvel Espoir, Luke était le référent du public et devait encore le découvrir. Kylo Ren est construit de la même façon : sachant qu’il serait de toute façon comparé à Darth Vader, J.J. Abrams fait de cette comparaison même un ressort scénaristique – le personnage tout entier est caractérisé par celle-ci.

Le Réveil de la Force est ainsi un film qui communique avec les opus de la trilogie originelle, qui fait résonner telle ou telle scène parce qu’elle est en lien avec – littéralement, concernant Han Solo et son fils – les fantômes des films précédents (dont celui d’Anakin / Darth Vader). Tout cela rejoint le souci qu’a cet épisode de se positionner en tant qu’hommage tout en dépassant ce statut de méta-film. Il se sert de ces références comme moyen de produire de nouveaux enjeux, de caractériser de nouveaux personnages, de dessiner la trame d’une nouvelle saga – bref, de produire une nouvelle fiction. Le Réveil de la Force est donc un film qui parle du mythe Star Wars, qui regarde les autres films de la saga avec recul et qui, à partir de cette observation aussi respectueuse que distanciée, raconte une nouvelle histoire.

Hyperdrive

La facture technique du film est impressionnante à plusieurs égards.

On y retrouve ainsi le (good) feeling d’un vrai Star Wars – et ce dès le début. C’est d’ailleurs l’exploit de toute la première partie : nous renvoyer dans cette galaxie lointaine, il y a très longtemps, sans en faire trop. L’action démarre in media res comme il se doit dans ce type de récit : un stormtrooper (Finn) qui dépasse son conditionnement et déserte, un héros de la Résistance (Poe Dameron) qui s’échappe avec lui et hop – des personnages présentés dans l’action (tout comme le sera Rey juste après) avec dynamisme et qui deviennent immédiatement sympathiques de par leur connivence. À partir de là, tout s’enchaîne avec naturel. Chaque péripétie en amène une autre et la première heure du film est à ce titre exemplaire : son rythme imparable enchaîne le spectateur au récit et l’oblige à se raccrocher aux héros, facilitant ainsi l’immersion et l’identification à ces nouveaux visages forcément attendus au tournant.

Puis le film accepte enfin de respirer un peu et de laisser le public reprendre son souffle : d’anciens personnages reviennent, la situation galactique est évoquée lors de dialogues qui ne surlignent pas tout (exactement de la même façon que dans la trilogie originelle), les révélations (comme l’identité de Kylo Ren) arrivent tout simplement – là encore sans chercher à en faire un énorme twist (après tout, les personnages connaissent la situation : ce n’est que pour le spectateur que cela constitue une surprise).

La durée du film est idéale (semblable à celles des opus de la trilogie originelle, d’ailleurs) et il est impossible de s’ennuyer au cours de ces deux heures bien remplies.

J.J. Abrams semble désireux de renouer avec une certaine sobriété héritée des épisodes originaux : le Réveil de la Force n’en fait ainsi jamais trop et ne cède pas à la surenchère. La Résistance dispose de peu d’hommes et de vaisseaux, on se doute que le Premier Ordre se repose beaucoup sur les acquis de l’Empire et a mis tous ses moyens dans la station Starkiller – et par conséquent, les batailles spatiales impliquent essentiellement des chasseurs. Pas d’armées de Jedi ou de Sith non plus (même si sont évoqués les Chevaliers de Ren) : un seul adapte de la Force de chaque côté, peu de duels au sabre mais bien menés, chorégraphiés de façon brute et possédant une imbrication émotionnelle dans le récit. Cette trilogie a donc l’intelligence de démarrer doucement, à petite échelle (là aussi, peu de planètes visitées) afin de laisser la suite prendre toute son ampleur et de respecter le crescendo que l’on est en droit d’attendre d’une telle saga épique.

Les effets spéciaux sont majoritairement réalisés à l’aide de maquettes ou de maquillage, ne s’appuyant sur le numérique que de façon discrète et uniquement lorsque cela s’avère nécessaire. Il en résulte une impression de concrétude de l’univers dépeint – un réalisme qui implique d’autant plus le spectateur qu’il entre en résonnance avec toute la symbolique du film (renouer avec un certain héritage, faire de l’œil du fan un élément narratif).

La réalisation quant à elle se révèle très élégante. Elle aussi sobre, elle sait faire preuve d’un à-propos qui appuie la narration : beaucoup d’éléments passent ainsi par les regards (l’échange silencieux entre Poe et Finn avant la dernière bataille) et une véritable complicité lie les personnages (reflet de l’alchimie entre les acteurs). Une mise en scène réfléchie permet de souligner les émotions : comme le léger travelling arrière durant les retrouvailles entre Han et Leia – comme pour inviter le spectateur à rester en retrait durant ce moment d’intimité. Cela s’étend d’ailleurs aux scènes d’action : lorsque Poe élimine de nombreux adversaires à bord de son X-Wing durant un plan-séquence aussi fluide que lisible, impossible pour le spectateur de ne pas ressentir la même chose que Finn (« Ça, c’est ce que j’appelle savoir piloter ! »). À ce sujet, les quelques dogfights restent aussi clairs que dynamiques, les échanges de tirs de blasters se révèlent très brutaux, les combats au sabrelaser reviennent vers une forme d’escrime médiévale et délaissent les acrobaties hongkongaise… L’action se veut digne des inspirations pulp de Star Wars et y parvient totalement.

Soutenue par des idées visuelles fortes et marquantes (les X-Wings volant en rase-motte au-dessus d’un lac, le soleil qui s’éteint alors que Kylo Ren bascule du Côté obscur…), la réalisation fait montre de retenue et d’inventivité, toujours au service du film et de ses personnages. D’autant qu’elle bénéficie pour la soutenir de la musique de John Williams, qui signe ici quelques-uns des plus beaux thèmes de la saga – même si ceux-ci savent rester en arrière-plan, comme soucieux de s’inscrire dans la sobriété générale qui sous-tend tout le film.

Sur le plan de l’interprétation, on peut dire sans hésiter que de nouvelles stars sont nées. Daisy Ridley campe une aventurière dynamique dont le tempérament laisse parfois place à une touchante fragilité. John Boeyga excelle dans un registre peu évident (amener un certain humour sans basculer dans la lourdeur) et Finn se révèle immédiatement attachant, de par sa gentillesse et sa capacité à surmonter sa peur. Peu mis en avant, Oscar Isaacs parvient pourtant à tirer son épingle du jeu grâce à sa gouaille et sa classe naturelle. Quant aux vétérans, ils apportent leur expérience sans pour autant faire de l’ombre à leurs successeurs – mais se réservent les scènes les plus empreintes d’émotions (les retrouvailles Han / Leia, la confrontation Han / Kylo Ren, la solitude de Luke Skywalker…).

Conclusion

Difficile de ne pas être enthousiaste devant ce Réveil de la Force, nouvel épisode d’une saga mythique du septième art.

Sous ses dehors d’opus faussement trop obséquieux, le film opère en réalité un basculement vers l’avenir en évacuant le passé et prépare brillamment le terrain pour la suite – que l’on espère pleine de surprises et de révélations inédites. D’une certaine façon, J.J. Abrams a hérité de la tâche la plus rude : celle de relancer une saga, de respecter le passé tout en posant les jalons de l’avenir. Heureusement, en transformant sa passion en moteur créatif au lieu de la laisser le paralyser, le réalisateur a su relever le défi de brillante façon.

À la fois humble et ambitieux, le Réveil de la Force excite l’imagination comme la trilogie originelle savait le faire (en dessinant un contexte à demi-mot et en ouvrant des pistes multiples, par exemple) et nous donc rend très durs les dix-huit mois d’attente à subir avant de découvrir la suite !

Remerciements à Olivier Legrand, Sébastien Neyrinck, Jérémy Courel et Pierre Olivier Regin dont les réflexions ont alimenté ce texte.

 

Star Wars épisode VII : le Réveil de la Force

Réalisé par : J.J. Abrams
Ecrit par : J.J. Abrams et Lawrence Kasdan
Avec : Daisy Ridley, Oscar Isaac, John Boyega, Adam Driver, Harrisson Ford…
Produit par : Lucasfilm
DVD non disponible.

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