Dans une Amérique post-apocalyptique, les survivants sont divisés en deux catégories : les chanceux nés au Capitole, riche capitale dirigeante qui a pris le contrôle du pays après une guerre nucléaire, et les malchanceux nés dans l’un des douze districts réduits à une grande pauvreté. A la suite d’un conflit remontant à 75 ans, ayant opposé le Capitole aux districts révoltés par l’injustice de leurs conditions de vie mais écrasés par la supériorité militaire de la capitale, une loi imposa que, tous les printemps, chaque district offrirait un couple d’adolescents âgés de 12 à 18 ans comme tribut pour une lutte à mort dans une arène. Sur ces 24 enfants, un seul peut être déclaré vainqueur. Retransmise à la télévision, cette compétition sordide se nomme les Hunger Games.
Katniss Everdeen, 16 ans, vit dans le district douze. Dure, renfermée, elle lutte chaque jour pour nourrir sa mère et sa petite sœur de 12 ans. Bien que cela soit formellement interdit et sévèrement puni, elle franchit régulièrement l’enceinte électrifiée pour aller chasser, arc en main et pratique le troc illégal. Le jour du tirage au sort, elle se rend sur la grande place, persuadée que sa jeune sœur n’a aucune chance d’être tirée au sort. Et pourtant, c’est son nom que l’on appelle. D’instinct, Katniss s’interpose et se porte volontaire à sa place. Le second tribut est un garçon du même âge qu’elle, Peeta, quelqu’un qu’elle avait oublié mais qui lui est venu en aide autrefois. Après de brefs adieux familiaux, tous deux sont embarqués dans un train direction le Capitole. Pendant plusieurs jours, ils vont goûter au luxe et se préparer à devenir des acteurs dans ces jeux de la mort. Show télévisé adoré par les habitants du Capitole, les Hunger Games commencent par un défilé, des interviews, des paris. Dans l’envers du décor, les tributs apprennent à se battre, à survivre dans un environnement qui sera forcément hostile, à s’entre-tuer. Présentés comme équipe de leur district, Katniss et Peeta oscillent entre complicité et indifférence car le moment venu, une fois lâchés dans l’arène, ils seront ennemis mortels…
Adaptation d’un best-seller pour adolescent, Hunger Games n’en est pas pour autant un film pour adolescents sans autre prétention que de faire frissonner ou rêver un jeune public.
La participation de l’auteur du roman à l’écriture du scénario y est pour beaucoup car l’essentiel du fond moral et psychologique de son histoire est bien retranscris dans le film. On y décèle tous les enjeux sordides de la compétition, de ce spectacle morbide et la tension qu’ils font naître entre les principaux protagonistes, Katniss et Peeta. Le dilemme est de taille : face à une humanité déshumanisée qui se repaît de regarder la souffrance et la mort en direct, impliquant des enfants, leurs semblables, quel choix reste t-il à ces deux là, alliés naturels de par leur passé et leur appartenance au même district mais destinés se battre à mort une fois lâchés dans l’arène.
A ce cœur de récit s’ajoute des sentiments contradictoires pour d’autres compétiteurs, l’impression grandissante que leurs conseillers ne sont pas les monstres attendus, un décalage difficile à encaisser entre les préparatifs tout en paillettes, lumières colorées, fêtes et la réalité sous-jacente, promesse que quoi qu’il arrive, il leur faudra tuer pour survivre.
Il est tout de même dommage pour les non lecteurs du roman que quelques incohérences filtrent dans les dialogues qui balancent des informations auxquelles ne sont reliées aucune explication (ex : lorsque Katniss demande à Gale combien de fois son nom sera inscrit pour la sélection de cette année, il répond 46 mais on n’en apprend pas la raison, le principe des tesserae étant absent du scénario). De même l’origine de la fameuse broche du geai moqueur est totalement différente dans le film, accentuant certes les liens entre Katniss et sa sœur mais occultant un autre personnage de son entourage sans oublier quelques raccourcis donnant l’impression que Katniss se débrouille très vite très bien dès le début des jeux, ce qui diffère pas mal des évènements du roman où elle galère pas mal notamment pour trouver de l’eau, encaissse des blessures plus graves et surtout assiste à des morts plus… sombres et violentes (les dégâts infligés par les guêpes tueuses sont franchement présentés de manière très/trop adoucie, ce qui peut poser problème pour la fin de la saga…). Il est certain que le roman étant écrit du point de vue exclusif de Katniss, la réécriture scénaristique a dû s’adapter mais la noirceur du roman en est parfois trop occultée.
Suzanne Collins a bien repris le modèle antique du pain et des jeux, des arènes aux gladiateurs et l’a intégré malicieusement et intelligemment à la nouvelle mode, souvent cruelle mais si populaire, de la télé-réalité. De sorte son histoire ressemblerait presque à une étude sociologique futuriste.
Ce scénario dense prend toute sa valeur grâce au jeu des acteurs plutôt bien choisis et à la mise en valeur des liens entre chaque personnage.
Jennifer Lawrence alors surtout connue pour son rôle de fille revêche, tête brûlée et entêtée de Winter’s Bone, se fond parfaitement dans la peau d’une Katniss silencieuse, constamment sur ses gardes, dure même avec sa mère, impulsive, forte en apparence mais terriblement fragile sous l’épaisse carapace forgée par ses années d’enfant qui a dû grandir vite. La terreur pure qui l’anime juste avant d’être jetée dans l’arène est visible. La survie, elle connaît mais tuer ses semblables ou même faire confiance lui est inconcevable. C’est à travers son regard que se déroule le film et on apprécie la qualité de son jeu alors qu’elle a peu de dialogue mais doit montrer l’instabilité des émotions et sentiments qu’elle éprouve envers Peeta. Ami ou ennemi ? Jusqu’à la dernière minute, on doute de ses intentions, comme dans le livre d’ailleurs.
Josh Hutcherson interprète un Peeta fidèle au roman : décidé sous des airs désinvoltes, protecteur mais hésitant, calculateur sans en avoir l’air mais défaitiste dès qu’il doit envisager ses chances de survie. Il est plus aisé de suivre le cheminement de ses actes, plus que dans le livre grâce à l’image mais le jeu bien nuancé de l’acteur laisse planer des doutes en écho avec ce que semble ressentir Katniss.
Autour du couple vedette, une belle brochette de seconds rôles illustre l’envers du décor, amène lentement le spectateur au suspense final de la tuerie. Liam Hemsworth joue Gale, le meilleur ami et confident de Katniss, révolté secret mais coincé dans son district ; Woody Harrelson campe Haymitch, le coach alcoolique de Katniss et Peeta, un ancien vainqueur des Hunger Games qui affirme combien les jeux changent un être et peuvent le détruire même s’il y survit ; Lenny Kravitz est inattendu mais flamboyant en styliste de génie forgeant ce qui deviendra la légende de Katniss « la fille du feu » ; Stanley Tucci est hilarant, délirant et parfait dans le rôle de Caesar présentateur vedette des Hunger Games et Donald Sutherland est imposant de charisme en gouverneur du Capitole et des district, impassible, indifférent à la souffrance, tout-puissant et sûr de lui.
Un casting idéal pour un film qui passe à côté du cliché « film pour ados » avec brio.
La mise en scène accentue le fossé entre l’extrême pauvreté de la vie dans les districts et l’opulence insolente du Capitole, les districts tout en maisons de bois étant plongés dans une lumière grise et froide tandis que le Capitole et ses tours de pierre baigne dans le soleil et les couleurs pastels ou vives des décors, des vêtements, du maquillage de ses habitants franchement délurés. La colère monte lentement dans le cœur des deux héros d’abord puis elle se transmet doucement, comme une chanson, aux spectateurs des districts, forcés de regarder sous peine de lourde punition. Le clash n’est pas loin, il est palpable et se traduit dans la manière dont les deux héros choisissent de jouer le jeu à leur façon, défiant les règles du Capitole, les règles des Hunger Games.
Le rythme alimente un suspense qui grandit avec les minutes, et l’alternance entre images des évènements dans l’arène et images des techniciens chargés du bon déroulement des jeux, sous-entendu une mise en scène truquée pour le plaisir des spectateurs, accentue la représentativité d’une forme de télé-réalité déconnectée de toute morale.
Côté costumes, le choix est parallèle à celui de la mise en scène et de la photographie : pâle et triste côté districts, flamboyant et coloré pour le Capitole et surtout les joueurs malgré eux. L’art et l’importance du styliste des tributs sont crédibilisés grâce au travail sur les costumes, de même que la nécessité pratique des uniformes revêtus avant l’entrée dans l’arène. Rien n’est laissé au hasard pour rendre à l’écran la qualité d’un roman au succès mérité.
Seule petite déception, la musique n’est pas inoubliable, si elle s’accorde au film, elle n’a rien de marquant et ne laisse pas d’accent propre qui l’associerait définitivement à cet opus de la saga. Franchement, James Newton Howard nous a habitué à mieux…
Hunger Games est un bon film qui se savoure à tout âge, mêlant « entertainment » à un récit bien travaillé et porteur d’un message politique et sociologique sans emphase.
Hunger Games
Réalisateur : Gary Ross pour Lionsgate Film
Scénario : Gary Ross, Suzanne Collins, Billy Ray d’après le roman éponyme de Suzanne Collins
Avec : Jennifer Lawrence, Josh Hutcherson, Liam Hemsworth, Woody Harrelson, Lenny Kravitz, Donald Sutherland, Stanley Tucci, Elizabeth Banks…
Décors : Philip Messina
Costumes : Judianna Makovsky
Photographie : Tom Stern
Musique : James Newton Howard et T-Bone Burnett
Sortie France : 21 mars 2012