Les critiques reprochent habituellement aux anthologies éclectiques leur manque d’homogénéité, et aux anthologies traversées par une même ligne directrice leur manque de diversité. Avec Les Rois des sables, Georges R.R. Martin propose une série de sept nouvelles relevant pour certaines du fantastique, pour d’autres de la science-fiction, pour d’autres encore d’un mélange des deux, voire de cette fantasy grâce à laquelle l’auteur a depuis lors trouvé la consécration.. C’est dire que les moins amènes auront beau jeu de critiquer ce recueil, mais qu’il ne sera pas non plus difficile de lui trouver des qualités.
De fait, ces récits ne sont pas si faciles à typer. Ainsi, par exemple, la nouvelle « Les Rois des sables » s’inscrit-elle dans un cadre relevant ouvertement de la science-fiction, alors que le ton, la structure, et la progression narrative, fatale et inexorable, évoquent bien plus les récits fantastiques, ou même d’horreur, que l’on trouvait autrefois dans les « pulps ». Il en est de même pour « La Cité de pierre » , où un astronaute échoué sur une planète désespère d’en repartir, et dont l’atmosphère évoque elle aussi, par bien des côtés, ces récits fantastiques de l’époque lovecraftienne. Lovecraftienne encore la nouvelle « Dans la Maison du ver », et pas seulement par son titre : dans un monde alternatif et aux allures moyenâgeuses, où l’on adore un ver géant et où l’on se réjouit d’une hideuse métamorphose humaine, le protagoniste vit des aventures cauchemardesques à travers un monde souterrain dont les chasseurs les plus audacieux rapportent le gibier ; il y fera, comme on pouvait s’y attendre, des découvertes réellement indicibles.
Moins prenants, moins efficaces, peut-être un soupçon trop longs, trois autres récits, s’ils relèvent au sens strict de la science-fiction, devraient paradoxalement plaire aux amateurs de fantasy, en raison, entre autres, des thèmes abordés, des caractéristiques des personnages, ou de leur aspect assez souvent surchargé. « La Dame des étoiles » (les aventures picaresques d’une touriste ayant tout perdu sur une planète étrangère et y faisant sa vie dans les bas-fonds), « Vifs-Amis » (un amour impossible, une quête sans espoir, la fusion d’êtres humains avec d’étranges créatures interstellaires), et « Aprevêpres » (une revisitation de la légende de la Fée Morgane) brouillent eux aussi les pistes entre les genres, en mêlant des éléments venants d’horizons a priori distincts.
On pourra faire la même remarque avec le récit ouvrant le recueil, « Par la croix et le dragon », se déroulant clairement dans le futur, mais avec des composantes religieuses, voire médiévales, particulièrement marquées. Une nouvelle qui est une très belle métaphore de la puissance et des dangers de l’imaginaire, mais qui souffre d’un développement bien trop rapide pour être pleinement aboutie.
Que penser en définitive de ce volume ? Il y en a certes pour tous les goûts : de la spiritualité, du romantisme, de la nostalgie, du désespoir, de l’astuce, de la duperie, de l’action, de l’épouvante insidieuse, de l’horreur pure, des lieux clos, des villes du futur ou au contraire d’un passé très lointain, des forêts sous la neige et des espaces interstellaires. Parmi ces sept nouvelles, faisant toutes entre trente et soixante pages, on trouvera des récits tendus et prenants, tandis que d’autres pourront paraître inutilement ampoulés. Notons que la plus longue de ces histoires, « Dans la Maison du ver », ne figurait pas dans la première édition de ce recueil. Une histoire qui, pour les amateurs du fantastique de la grande époque, pourra justifier à elle seule la lecture de ce volume. Les amateurs de fantasy plus contemporaine devraient, à travers les autres textes, trouver ces ambiances que le nom de George R.R. Martin, ainsi que le succès du Trône de fer, évoquent à présent dans l’esprit du grand public.
Les Rois des sables
George R.R. Martin
Traduction : Brigitte Ariel, Sara Doke et Pierre-Paul Durastanti
Couverture : Philippe Gady
Editions J’ai Lu
6,90 €