Terminal fantasy
Anima Beyond Fantasy – dont ce Core Exxet est la deuxième édition – est un jeu de rôle espagnol qui propose de jouer dans un univers ouvertement inspiré de certains role-playing games japonais, avec le mélange d’influences si typique de ces productions. Pour la petite histoire, la légende dit qu’à l’origine, Anima était censé être l’adaptation officielle de Final Fantasy mais que les Japonais renoncèrent finalement au projet. Désireux de ne pas gâcher tout le travail déjà accompli, les auteurs espagnols décidèrent de transformer légèrement l’univers esquissé afin d’offrir un jeu de rôle qui rendrait tout le feeling de la franchise vidéo-ludique sans risquer d’empiéter sur ses droits.
Traduite depuis de nombreuses années en France par Edge Entertainment, la gamme Anima remporte un joli succès par chez nous – spécialement auprès d’un public jeune. Ce qui explique la sortie de cette deuxième édition : plus claire, mieux organisée mais totalement compatible avec la précédente afin que les suppléments déjà acquis soient toujours utilisables. Une excellent initiative permettant de gagner un nouveau public sans pour autant fâcher l’ancien.
Gaïa
Anima prend donc place dans un univers nommé Gaïa. Ce monde est riche d’une longue histoire, particulièrement mouvementée et qui explique sa géopolitique actuelle. Dans des temps si anciens qu’ils se confondent avec les mythes, Gaïa était peuplée de nombreuses races qui côtoyaient avec les humains (Sylvains, Duk’zarists, etc.). Bien sûr, tant de peuples différents ne pouvaient cohabiter si longtemps en paix et des guerres d’une ampleur inimaginable déchirèrent les royaumes et effrayèrent les dieux eux-mêmes.
Afin de mettre fin au chaos, un Messie apparut : le Christ apporta la parole du Dieu unique et réunit des disciples qui fondèrent alors le Sacro-saint Empire d’Abel. Intolérante, cette nouvelle religion conquit la planète et poussa les races non-humains à s’exiler dans d’autres plans d’existence sous le regard des anciennes divinités.
Mais un Empire tel que celui d’Abel ne pouvait perdurer indéfiniment. Guerres, rivalités, révoltes finirent par le fractionner en d’innombrables fiefs et même si le cœur de l’Empire existe encore et revendique la souveraineté du monde, il doit composer avec des alliances formées par d’autres nations désireuses de conserver leur indépendance – et de s’émanciper du poids de l’Église.
La carte de Gaïa présente deux vastes continents ; il s’agit d’un monde divisé entre de nombreux pays, où diverses factions oeuvrent dans les ombres. Un terrain de jeu extrêmement riche qui mêle des influences variées : la fantasy la plus pure côtoie le christianisme, la magie rivalise avec les techniques martiales, toutes les cultures sont représentées (des nations sont ainsi inspirées du Japon, de l’Arabie, de la Scandinavie…), etc. C’est un contexte très inspirant, haut en couleur et dont on sent le potentiel très riche – malgré son côté grandiose qui peut perdre le meneur de jeu.
Rule heavy
Si Anima possède une réputation, c’est bien celle de proposer un système de jeu extrêmement complexe. En réalité, ce n’est pas tant que les règles du jeu soient compliquées que particulièrement détaillées. Car si la base est simple (on ajoute un couple caractéristique + compétence au résultat d’un jet de dé, et il faut dépasser une difficulté), une foultitude de détails viennent s’y ajouter afin de bâtir un édifice que l’on sent solide, éprouvé et testé, mais qui effraie de par son ampleur. D’autant que l’échelle est assez élevée : les compétences sont notées sur cent, on lance un dé à cent faces, il faut additionner tout cela… Les résultats obtenus donnent une idée du niveau de puissance attendu – mais il faut du coup souvent utiliser une calculatrice…
Dans Anima, un personnage se définit en choisissant un archétype (parmi un très grand nombre comme paladin, virtuose martial, assassin, magicien, convocateur, mentaliste…) puis en répartissant des points dans ses caractéristiques et champs de compétences. Avantages et désavantages apportent une touche de personnalisation et enfin, le joueur peut sélectionner les capacités de son alter-ego. Et celles-ci sont nombreuses ! Anima propose ainsi de maîtriser la puissance du Ki (l’énergie interne qui transforme un homme en expert martial) allant de paire avec des techniques de combat ; la magie, avec pas moins de cinq cent sorts répartis en plusieurs éléments (lumière, obscurité, destruction, air, eau, feu, terre, illusion, nécromancie) ; la convocation ou l’art d’invoquer et de lier des créatures d’autres plans pour leur faire exécuter des tâches diverses ; et enfin les disciplines psychiques qui vont de la télépathie à la télékinésie, en passant par la pyrokinésie, la cryokinésie, etc. Il y a vraiment de quoi faire, d’autant que rien n’interdit de maîtriser plusieurs types de capacités !
Le système détaille ensuite le combat, les aléas de la vie d’aventurier, l’expérience, etc. Chaque fois, la base est simple mais les embellissements rajoutent des degrés de complexification qui peuvent dérouter.
Il est à noter que s’il est conseillé de ne jouer que des humains, il existe tout de même une possibilité pour incarner des êtres ayant en eux l’essence d’une des anciennes races qui peuplèrent jadis Gaïa. Nommés Nephilim, ces individus portent en eux l’âme réincarnée d’un membre de l’un de ces peuples disparus, ce qui fait muter son corps à la base humain – et lui octroie quelques avantages ou inconvénients afférents.
Manga style
Au niveau de l’aspect, Anima est de la belle ouvrage ! C’est un livre épais, à couverture cartonnée et dont l’intérieur est intégralement en couleur – sur papier glacé de qualité. Quant aux illustrations, elles sont nombreuses et de toute beauté – pourvu qu’on ne soit pas réfractaire à ce style. Elles appartiennent en effet au genre dit manga et rendent à la perfection le côté grandiose de l’univers : les paysages représentés sont immenses, les villes présentent des remparts de plusieurs dizaines de mètres de haut, les personnages portent des épées plus grandes qu’eux, etc. De plus, certaines sont légendées – une bonne idée permettant de se représenter des éléments de l’univers avec aisance.
Une parfaite réussite du point de vue graphique, car la forme est en parfait accord avec le fond – au vu de l’influence japonisante du contexte de jeu.
Roboratif
On dit souvent que le mieux est l’ennemi du bien et cette maxime peut très bien s’appliquer à Anima. Car il s’agit d’un jeu riche… très riche… et peut-être trop riche.
L’univers de Gaïa est ainsi vaste, immense même, empli de nations antagonistes, d’organisations manœuvrant dans les ombres, de dimensions parallèles, de divinités oubliées mais continuant à tisser leurs intrigues, d’antiques races pas si disparues que ça, de secrets inconnaissables, de personnalités majeures, etc. Cela fait beaucoup à assimiler, d’autant que – et c’est là le reproche majeur à faire au jeu – aucun scénario de base n’est inclus dans le livre pour montrer au meneur de jeu quoi faire concrètement de tout cela. Il y a bien un petit chapitre de conseils avec quelques thèmes et orientations, mais il a un goût de trop peu face à la démesure du background. Un meneur de jeu même expérimenté risque de se trouver un peu perdu face à la profusion de possibilités offerts par Gaïa et sa géopolitique.
Il en est de même pour les règles. On peut presque tout créer – de l’artiste martial génial au paladin invocateur de dragons, en passant par l’assassin psionique ou le mage illusionniste – et du coup, les joueurs risquent de ne pas savoir sur quel pied danser. Et comment justifier la réunion dans un groupe d’autant d’archétypes différents ? Complexe…
Bref, si Anima a un véritable défaut, c’est bien celui de sa qualité : un trop-plein de background, de règles, d’opportunités de jeu… et presque aucun angle d’attaque permettant d’orienter les joueurs.
Une référence
Toutefois, ce bémol ne doit pas faire oublier les grandes qualités d’Anima. L’univers est beau, il invite au rêve et à l’aventure, il est sublimé par la représentation qu’en donne l’aspect graphique du bouquin. Bien sûr, c’est un jeu à jouer en campagne : on s’y investit totalement au vu de sa richesse et de sa complexité, il n’est guère fait pour le one-shot. Mais pour un groupe de jeu impliqué guidé par un meneur de jeu ayant su se saisir à bras le corps de Gaïa, nul doute que des parties d’anthologie s’enchaîneront au cours d’une saga digne des franchises vidéo-ludiques dont Anima s’inspire.
De plus, cette deuxième édition bénéficie de tout le développement de la gamme précédente, du fait de sa rétro-compatibilité. Un atout de plus pour un jeu de rôle que l’on conseille de préférence aux rôlistes n’ayant pas peur de s’investir au long terme. Ils ne regretteront pas le voyage !
Anima Beyond Fantasy – Core Exxet
Edge Entertainment
346 pages
44 € 95
n’étant pas particulièrement attiré par le style manga, j’ai pourtant fait l’acquisition d’Anima pour les raisons qui sont évoquées dans cet article : invitation au rêve, fantasy haute en couleurs, richesse de l’univers, qualité de l’objet.
Je prend plaisir à le lire et le feuilleter, mais je n’ai pas encore de groupe qui s’immergerai dans une campagne, et c’est bien dommage.
Anima, c’est un peu mon plaisir coupable (un peu comme DD4 d’ailleurs), un jeu que j’aime détester, qui reste à la fois une de mes pires expériences de joueur (un oneshot insipide avec un MJ ne maitrisant ni les règles ni l’univers et devant les expliquer à des novices dans un délai très court) et une des meilleures (une campagne épique avec un final d’anthologie, par un MJ qui à l’inverse connaissait le sujet sur le bout des doigts).
C’est un jeu que j’aime descendre, pour la lourdeur des règles et l’aspect gloubi-boulga pas toujours heureux. Et c’est un jeu pour lequel je signerai à nouveau sans hésiter si l’on devait m’en proposer une campagne.
Parce que finalement, Anima c’est une proposition forte, que l’on aimera ou détestera. Parce que des fois, c’est pas si mal de laisser de côté les mécaniques narrativistes, de libérer le grobill en nous, de suroptimiser un personnage et de l’envoyer parcourir un monde fascinant par sa richesse et sa relecture des classiques du JRPG.
Là où je rejoints totalement l’auteur de l’article, c’est sur ce constat final : ne jouez JAMAIS à Anima en one-shot ou scénario sur 2-3 séances. Il faut déjà une partie entière pour expliquer et assimiler les règles, probablement une autre pour créer les personnages si tout le groupe est réuni pour l’occasion.
Par contre, si vous n’êtes pas effrayés par une mécanique lourde (mais bien huilée, l’un n’empêche pas l’autre) et que l’idée d’une longue campagne épique dans le plus pur style des Final Fantasy et consorts vous séduit, Anima est une option à ne surtout pas négliger.