Encore une nouveauté des éditions Vents d’Ouest qui a su retenir mon attention jusqu’au bout. Décidément, je suis vraiment sensible à la production de cet éditeur, et c’est un grand coup qu’il porte avec ce premier tome d’Azimut, de Lupano (L’Assassin qu’elle mérite, Vents d’Ouest et Alim le tanneur, Delcourt) et Andreae (Terre mécanique, Casterman, La confrérie du crabe, Delcourt).
« Quelque part dans le vaste capharnaüm des mondes possibles, il en existe un où, plus qu’ailleurs, on reste profondément outré par l’idée de la vieillesse et de son issue tragique : la mort.
Mais a-t-on la possibilité d’y échapper ? Ailleurs peut-être pas, mais dans ce monde-là, il est permis de le penser. C’est en tout cas la théorie du vieux professeur Aristide Breloquinte qui occupe son temps à étudier les caprices du temps à bord du Laps, son navire-laboratoire. C’est aussi l’avis de la belle Manie Ganza, qui semble convaincue que le temps c’est de l’argent, et même des espèces sonnantes et trébuchantes. Chimère ! diront certains, non-sens diront les autres.
En compagnie d’une myriade de personnages fantastiques que n’aurait pas reniés Lewis Carroll, embarquez pour un fabuleux voyage qui vous emmènera tout autant dans les sphères éthérées de l’imagination qu’au cœur des préoccupations existentielles humaines. »
Nous voici avertis : en optant pour cet album, nous partons pour un voyage fantasmagorique. S’il s’ouvre sur un homme et son fils passionnés d’ornithologie à la recherche de la vie éternelle – un petit côté Nicolas Flamel pour cette quête universelle – le reste de l’histoire nous emmène en compagnie du navigateur quelque peu excentrique comte de Lapérue (étrange ressemblance avec le célèbre comte de La Pérouse) qui vogue vers de nouvelles terres au nom du roi de Ponduche, Irénée. Enfin, c’est ce qu’il croit jusqu’à son débarquement et sa ridicule intention d’annexer la plage de… Ponduche (planche ci-dessous). Le ridicule ne tue pas, mais il a l’avantage de donner le ton de l’album : de l’humour, encore de l’humour. Et les auteurs ne laisseront pas de semer quelques détails humoristiques ci et là, donnant au lecteur l’occasion de sourire à chaque page, ou presque.
Très vite, notre attention est retenue par un personnage pulpeux, Manie, présentée comme la fiancée – magnifique ! – du roi, puis comme une prostituée manipulatrice et voleuse par Eugène, un peintre lui aussi un peu fou. Elle est un personnage très intéressant et très profond qui devrait nous dévoiler encore bien des surprises pour la suite. Je l’espère, en tout cas.
Je ne saurai oublier de vous mentionner cet étrange professeur Breloquinte, qui détient sûrement plusieurs clés de l’intrigue, notamment à cause de sa relation avec Manie. Sympathique dès le premier abord, il devient attendrissant puis mystérieux… Comme souvent avec ce genre de personnage, il représente le vieil homme un peu loufoque qui détient un grand savoir et donc une certaine autorité et prestance naturelles.
Enfin, je ne peux cacher ma curiosité quant au « saugre » lapin blanc – un petit tour par Alice au pays des Merveilles peut-être ? – qui est selon moi un personnage bien plus important qu’il n’y paraît… et tout aussi chimérique que celui de Carroll.
Scénaristiquement je n’ai donc pas grand-chose à critiquer, si ce n’est que le lecteur ne comprend certains termes que très vaguement (notamment les « saugres », qui sont des créatures pondues par les clepsigrues, des oiseaux biomécaniques). Heureusement, les pages de garde finement illustrées – elles représentent des crayonnés extraits de l’Encyclopédie des Chronoptères d’Aristide Breloquinte – nous apportent plus d’éléments sur ces étranges créatures ayant un lien avec le temps (les chronoptères). Notamment sur les quelques créatures aperçues ou mentionnées dans l’album : l’Abeille Rétromède dont le talent a un lien avec les madeleines (de Proust ? comme le sous-titre de ce premier opus ?), la Mouche Gobe-Temps qui incarne étrangement notre mouche commune pour son caractère obsédant et quelque peu agaçant, le Coucou des pendules dont vous pourrez deviner la fonction facilement, la Lurette (le plus énigmatique de tous, et sans doute le plus important), la Libellule Mémorantèle capable de figer votre reflet pendant un an et la Clepsigrue, déjà mentionnée.
Cet album est très intéressant graphiquement. Les couleurs sont douces avec quelques pointes de couleurs vives qui rehaussent le tout pour un effet visuel garanti. Le trait utilisé pour certains personnages ou expressions m’a fait penser au style des caricatures ou en tout cas à un style humoristique.
Un album saisissant que vous n’oublierez pas de sitôt avec toutes ces références, stupéfiantes par leur diversité ! Vivement le deuxième tome, car la fin de celui-ci ne nous apporte pas vraiment de réponses, bien au contraire…
Les Aventuriers du temps perdu
Azimut T1
Wilfrid Lupano (scénario) & Jean-Baptiste Andreae (dessin)
Vents d’Ouest
13,90 €