L’uchronie, cet avenir du passé, comme certains aiment à le définir, se retrouve ici dans ce Aucune terre n’est promise de Lavie Tidhar. D’aucuns n’hésitent à comparer ce récit à Le Complot contre l’Amérique ou à Le Maître du Haut-Château, deux ouvrages de référence du genre. Alors imaginez seulement qu’au début du XXème siècle, des Juifs aient massivement trouvé leur terre promise en Afrique. Cela aurait-il empêché des conflits ou l’Holocauste ? Certainement beaucoup de vies auraient été épargnées. Faisant le lien entre les murs d’aujourd’hui et ceux de sa fiction, Lavie Tidhar nous emmène dans un monde qui aurait pu être. Mais serait-ce alors une utopie ou une dystopie ?
« Berlin. Lior Tirosh, écrivain raté et désillusionné, embarque pour la Palestina, son pays natal, fuyant une existence minée d’échecs. Il espère retrouver à Ararat City la chaleur du foyer, mais la ville est désormais ceinturée par un mur immense, et sa nièce, Déborah, a disparu dans les camps de réfugiés africains. Traqué, soupçonné de meurtre, offert en pâture à un promoteur véreux, Lior est entraîné malgré lui dans les dédales d’une histoire qu’il contribue pourtant à écrire. »
Ce Lior Tirosh a les mêmes initiales que l’auteur, et il y a même un passage où il lui est demandé une nouvelle qu’il aurait écrit jadis et dont le titre est celui du présent texte. Israëlien, l’auteur porte l’histoire de son pays, même s’il s’agit d’une uchronie. En 1904, des colons juifs sont allés s’installer sur les bords du Lac Victoria, c’est une autre histoire qui nous est racontée ici, mais même si l’Holocauste a été limité, il y a toujours des bus qui explosent et des murs qui se construisent. Ainsi en va-t-il de l’Histoire qui bégayera toujours.
Lorsqu’il retourne chez lui, parce que son père est mourant, Tirosh découvre une terre qu’il ne reconnaît plus. Comme cette terre s’appelle Palestina, il est Palestinien, mais il doit se réapproprier ce monde qui lui est devenu étranger. Même le judéen, sa langue natale, mélange de yiddish et d’autres langues locales ne lui est plus familier. Sa nièce, Déborah a disparu, mais en faisant son enquête, il découvre qu’elle s’opposait à ce mur qui est en train de se monter à la frontière. Et puis, il y a ce narrateur mystérieux qui l’observe…
Enfin, il y a Nour, cette jeune femme qu’il croise parfois depuis son retour. Et si elle était une voyageuse uchronique qui passe parfois dans notre réalité pour rencontrer l’autre Lior Tirosh à Berlin ? L’illustration est signée par Aurélien Police. Elle restitue l’Afrique et nous montre un baobab devant l’ombre d’une ville moderne, tout cela sur un mur, fissuré. Le voyage nous permet de croiser des personnages qui ont été ou auraient pu être, c’est un monde à la fois très différent et très proche du nôtre. Une idée habilement exploitée par Lavie Tidhar.
Ce roman nous parle de tous les murs de l’Histoire et surtout est porteur d’un message essentiel : tout mur se fissure un jour où l’autre et rien ne peut durablement séparer les hommes, les peuples, les civilisations. Un vrai coup de cœur, une écriture fluide et une véritable lecture active et addictive où l’auteur ne vous donne pas toutes les clés, mais l’essentiel. Une uchronie de référence.