Rosewater – Tade Thompson

« Vous n’êtes pas réceptif et vous ne connaîtrez jamais cette expérience, mais les données brutes émergent comme des informations contenant des erreurs qui sont lentement épurées selon un procédé qui ressemble au ciselage d’une sculpture tirée d’un bloc de marbre. »

Il se nomme Karoo, il vit au Nigeria, son aventure se déroule entre 2030 et 2066. Adolescent, il avait un étrange pouvoir : il était capable de deviner là où tout un chacun dissimulait son argent ou ses autres bien précieux. Il est donc devenu voleur. Sa famille l’a chassé. Quelques années plus tard, il travaille dans une banque, mais ce n’est qu’une couverture : il a été en fait recruté par le mystérieux S 45, un service nigérian si secret que rares sont ceux qui en ont entendu parler, qui exploite les gens comme Karoo, nommés les Réceptifs, à des fins opérationnelles, policières et sans doute politiques qui échappent au narrateur. En effet, une fois leurs dons développés, ces sensitifs sont capables de plonger dans l’esprit des suspects et d’en extraire des informations particulièrement utiles.

« Ceux qui ne l’ont pas vécu ne peuvent pas comprendre le frisson qui a parcouru les humains lorsqu’ils ont su qu’ils n’étaient pas seuls dans l’univers. L’humanité n’était plus l’unique enfant d’une déesse du chaos indifférente. »

Ce que l’on comprend peu à peu, c’est que ces dons ne sont pas innés. Ils résultent de l’arrivée d’extraterrestres sur terre, et plus particulièrement d’un d’entre eux, une masse monumentale nommée Armoise qui s’est installée d’abord à Londres en 2012, puis s’est enfoncée dans le sol pour resurgir au Nigéria, et autour de laquelle s’est agglutinée une petite ville nommée Rosewater. Une colonisation invisible de l’atmosphère par des filaments mycéliens d’origine extraterrestre, entrant en lien avec les terminaisons nerveuses de certains individus qualifiés de réceptifs, permet de créer un réseau vecteur d’informations, comme les ondes, grâce auquel les rares Réceptifs peuvent deviner bien des secrets, mais aussi de plonger dans la « xénosphère », un monde mental parallèle peuplé d’avatars. Ce que veut cette présence extra-terrestre, on l’ignore : indifférente, colonisatrice, néfaste, aidante ? Toujours est-il qu’à intervalles réguliers le dôme de la créature s’ouvre et qu’à ces occasions les pèlerins atteints de maladies incurables guérissent miraculeusement. Du moins la plupart : d’autres hélas se retrouvent régénérés, ou plutôt rafistolés, selon des schémas particulièrement hideux.

« Spirite, télépathe, médium, réceptif, voyant extralucide, cognitif, mystique, sorcier, nécromancien, empathique, chaman, aje, emere, mirwin, occultiste, devin, psychomancien. Ce sont quelques-uns des noms qu’on aurait pu vous donner dans le passé, ou qu’on pourra vous donner dans l’avenir. »

Un jeune homme à tendance délinquante, débrouillard, piégé dans une logique de thriller par des poissons bien plus gros que lui et capable de se déplacer dans un univers rien moins que virtuel : difficile de ne pas trouver d’analogies avec le « Neuromancien » de William Gibson, d’autant plus que la narration est là aussi tendue, au présent, l’écriture dense, le monde riche, coloré, imagé. Mais si ce « Rosewater » fonctionne parfaitement dans sa première moitié, le lecteur ne tardera pas à buter sur des limites évidentes. D’une part, cette narration, toujours au présent quelle que soit l’année considérée, est censée suivre deux lignes temporelles distinctes : celle de l’année 2066, et donc de l’aventure en cours, et celle du passé du narrateur, vouée à éclairer progressivement sa personnalité, à expliquer pourquoi et comment il en est arrivé là, à montrer ce que le monde est devenu dans ce futur proche. Malheureusement, cette seconde ligne temporelle ne se déroule pas selon une logique chronologique, mais selon un procédé hectique : 2060, 2032, 2042, 2043, 2055, 2043, 2045, 2056, 2055, 2057, 2055, 2059, 2055, 2065, 2055, 2061 etc. Ces aller-retours dans l’existence du narrateur brouillent considérablement la lisibilité de l’histoire et demeurent assez incompréhensibles dans la mesure où les rapports avec les chapitres attenants de la trame principale ne sont pas toujours flagrants. Autre défaut, la tendance globale à en surajouter et à tout vouloir mêler, avec des passages dans la xénosphère qui en font trop, comme un mélange de jeux vidéo différents, et à chercher une sorte de syncrétisme psycho-littéraire de genre : extrapolateur quantique, fils d’un humain et d’un extra-terrestre, machine à base de bicyclettes au rebut ouvrant des portails spatio-temporels, entraînements commandos des réceptifs (pour quelle raison, on ne le saura jamais), magie et divinités yorubas, rebelles capables de traverser les murs, extraterrestres voraces domestiqués par des malfrats (dont les moins que l’on puisse dire est qu’ils arrivent comme un cheveu sur la soupe et semblent sans aucun rapport avec l’histoire) donnent au final l’impression que l’auteur cherche à masquer sa difficulté à tenir la distance en rajoutant un peu tout et n’importe quoi. Un manque de cohérence que l’on retrouve au niveau de la trame : si ce Nigéria d’une futur proche convainc dans un premier temps, l’absence de véritable toile de fond apparaît rapidement : ainsi ignore-t-on à peu près tout du reste du monde qui semble ne pas exister, ne pas s’intéresser un tant soit peu à l’extra-terrestre de Rosewater, sans compter la mise totale à l’écart des Etats-Unis, dont plus personne n’aurait la moindre nouvelle parce qu’ils auraient décidé de se couper du reste du monde, qui n’apparaît pas une seule seconde crédible.

« Des éclairs cinglent la nuit, illuminent son vidage et ses cheveux. Je constate alors qu’il ne s’agit pas de la foudre, mais que les ganglions lancent des décharges électriques contre les envahisseurs. »

Excessif mais insuffisant, incohérent mais intéressant : malgré ses défauts, « Rosewater » mérite la lecture. On gardera quelques belles images, quelques belles idées – un village de rebelles sans position géographique fixe, une petite ville dont les habitant se relaient pour dessiner l’heure sur le cadran d’une horloge – pour ce récit d’invasion extraterrestre lente, atypique, mystérieuse, dans le futur proche d’un Nigéria mêlant magie et modernité, mêlé à des éléments de thriller, comme la mort incompréhensible des réceptifs les uns après les autres, ou la recherche d’une très mystérieuse fille-bicyclette et d’un non moins mystérieux savant qui se sont comme évanouis. On en retiendra également la théorie scientifique mycélienne développée ici et là par l’auteur, qui, si elle souffre de failles et n’apparaît guère crédible, a pour elle le mérite d’être profondément originale et inventive, et donne à rêver à ce qu’auraient pu en faire des auteurs comme Greg Bear ou Greg Egan. Ambitieux mais inabouti, « Rosewater » offre au lecteur son lot d’images et de merveilles : à suivre dans les deux autres volumes de la trilogie, « Rosewater Insurrection » et « Rosewater Rédemption », à paraître eux aussi dans la collection Nouveaux Millénaires de chez J’ai Lu.

 

Rosewater

Tade Thompson

Traduit de l’anglais par Henri-Luc Planchat

Couverture : studio J’ai Lu d’après Ernst Haeckel

Editions J’ai Lu, collection Nouveaux Millénaires

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