V pour Vendetta – James McTeigue

 

Dans une Angleterre fasciste. Employée de la chaîne de télévision BTN, Evey Hammond brave le couvre feu pour se rendre chez un homme. Mais elle est arrêtée par des hommes du parti qui tentent de la violer. C’est alors qu’intervient un homme masqué qui met en déroute ses agresseurs. Il se présente sous le nom de V et lui propose d’assister à un curieux spectacle au cours duquel il fait exploser un bâtiment public.

 

Adaptation du comics à succès d’Alan Moore, V pour Vendetta est donc, à priori, un portage parmi d’autres d’un super héros. Pourtant, nous en sommes assez loin : V est plus un antihéros qu’un Superman étincelant et Moore a utilisé le personnage pour clairement exprimer des idées politiques et dérangeantes. Le fait qu’il se soit retiré très tôt du projet pouvait faire craindre le pire, mais l’auteur a toujours entretenu des rapports conflictuels avec Hollywood.

L’autre crainte, bien plus évidente, vient de l’équipe censée chapeauter le film. Ce sont en effet les frères Wachowski et leur âme damnée, Joël Silver, qui ont acquis les droits de l’adaptation. Le risque de voir un Matrix revisité à travers V planait. D’autant que l’on confiait le projet à un débutant à la réalisation : James McTeigue, qui a travaillé aux côtés des W Brothers sur Matrix, mais également sur Star Wars (L’Attaque des Clones) et sur Dark City avec le génial Alex Proyas. Malgré ce plaisant CV, ne risquait-il pas d’être manœuvré, en coulisse, par les deux frères ?

C’est donc bourré d’interrogations, mais sans avoir lu le Comics, que je me suis attaqué à cette adaptation. Mes préjugés sortent renforcés par cette introduction où les deux héros mettent leurs vêtements dans un montage parallèle plan-plan. Et pourtant, on se laisse doucement happer par la subtile montée en puissance de l’intrigue. On découvre V, ce personnage mystérieux, mais au combien curieux : violent et meurtrier, c’est aussi un homme cultivé et démonstratif, un homme théâtral qui ne craint jamais le ridicule. Le voir en costume noir et tablier de cuisine a quelque chose de cocasse.

Hugo Weaving apporte énormément, par sa voix et son phrasé si particulier, à l’incarnation de V à l’écran. Certes, on ne verra jamais son visage si ce n’est à travers un maquillage peu élaboré quand il dupera la police. Il enfile dès les premières secondes son masque de Guy Fawkes, l’homme dont on raconte la pendaison en ouverture après qu’il ait tenté d’incendier le parlement en 1605. Mais pour le reste, sa seule voix inspire un respect et insuffle du charisme à son Machiavel anarchiste.

Plus que Evey Hammond (Natalie Portman), V est le personnage autour duquel s’articule l’intrigue : ses ambitions terroristes et son histoire sont les deux fils rouges du récit. L’héroïne est là pour apporter un contrepoint à hauteur des gens normaux, afin d’accompagner le spectateur dans la découverte de cet univers particulier.

 


Certes, le monde totalitaire décrit puise visuellement dans la représentation typée 1984 que l’on a l’habitude de nous servir. Désinformation, contrôle par la peur, police secrète, rien de bien surprenant dans cet ensemble. John Hurt, qui interprète le Grand Chancelier Sutler responsable de cet état de fait a des airs d’Adolf Hitler à toujours vociférer, hurler. Sans compter un petit rapprochement physique entre les deux hommes. Il est doublement amusant de voir Hurt, héros de 1984, devenir dictateur ici. Le Big Brother, c’est lui. Dommage que son cabotinage incessant gâche quelque peu sa crédibilité.

Après la description de cette dictature trop classique et déjà vue, le film met en place un postulat différent, et entreprend de se concentrer véritablement sur le personnage de V, ses origines, ses motivations. Le scénario prend alors une autre tournure, se resserre autour de sa vengeance. Car s’il y a bien une phrase qui traduit à merveille cette entreprise, c’est ce que dit V à Evey : « The only verdict is vengeance, a vendetta, held as a votive, not in vain, for the value and veracity of suchshall one dayvindicate the vigilant and the virtuous ».

Par la parole, on essaye de justifier l’emploi de la violence. Comme le Darkman de Sam Raimi ou le Comte de Monte Cristo auquel il est fait plusieurs fois référence, V se cache derrière une autre identité pour réaliser sa Vendetta.

Derrière ses grands idéaux de liberté, V entend d’abord se venger. C’est son moteur, sa dernière raison de vivre. Du moins, jusqu’à sa rencontre avec Evey. Et on le voit éliminer un à un ceux à qui il doit son état. Ils ont tous participé au projet génétique visant à créer une super-arme qui a engendré, par erreur, notre « héros ». On comprend peu à peu, à travers l’enquête de l’inspecteur chargé de le traquer et du récit qu’il fait à Evey, de quoi il en retourne.

Le film a en cela une structure très cohérente, car il se suffit à lui-même. Il ne reste que peu de mystères au clap de fin, car le scénario est suffisamment structuré pour nous avoir exposé le principal. De la raison de l’uchronie aux développements sur Evey, ou le pourquoi des super pouvoirs de V, tout se tient en cohérence. C’est vraiment la grande force de l’ensemble. On pourra juste s’étonner, comme dans nombre d’adaptations de Comics, des moyens illimités dont bénéficie V pour réaliser son entreprise.

D’autant que V offre une série de questionnements plus ou moins prononcés. D’abord autour de la relation que notre « héros » entretient avec Evey. Il apparait vite évident que V est amoureux d’elle. Mais d’un autre côté, il se montre inhumain avec elle sans pour autant qu’elle s’éloigne de lui. Cette relation ambigüe, qui rappelle bien entendu le concept de la Belle et de la Bête, pose la question de la moralité de V.

V est un terroriste et agit comme tel. Le fait qu’il sauve Evey lui donne-t-il le droit de se comporter comme il le fait ? Le terrorisme est-il la seule réponse possible ? Ce côté sombre du personnage principal est une bonne idée dans l’intrigue, car associée à l’univers déjà forcément pessimiste, il fait gagner le film en noirceur.

Une autre scène m’a particulièrement marquée, et renvoie à nombre de références, c’est celle où V s’entretient avec le responsable du projet qui l’a mis dans cet état : le professeur Delia Surridge (Sinéad Cusack). C’est en quelque sorte le monstre qui s’entretient avec son créateur. Dans cette scène assez courte, on appuie un peu plus sur le terrible comportement de V : sa victime a beau se repentir, elle mourra tout de même. Cet homme est sans pitié et le spectateur a parfois du mal à approuver ses actes.

En plus de cela, l’enquête menée par l’inspecteur Finch, ponte du parti dominateur, ajoute un peu plus de profondeur et d’illustrations pour solidifier cette conviction. Stephen Rea s’en sort très bien, il n’en fait jamais trop et on se sent proche de lui, dans sa quête de vérité. Un flic banal certes, mais qui complète à merveille l’intrigue principale.

Techniquement, il est difficile de reprocher quelque chose à ce V pour Vendetta. Côté réalisation, James McTeigue est peut-être trop sage, ce qui rend mollassonnes quelques scènes de discussions. Il bénéficiait d’un sujet en or pour mettre en avant son travail. Il se contente d’illustrer, sans génie, les scènes comme des passages obligatoires. Au moins n’a-t-il rien gâché il nous offre ainsi un spectacle sans effet clipesque ou autres effets ratés qu’on aurait pu craindre. On se rattrape donc au charisme de V, à la richesse de certains plans — magnifique scène finale autour de Big Ben — et au montage efficace pour se consoler. Il n’a toutefois pas cédé aux sirènes Matrix de mise en scène, même si le combat final tourné au ralenti a été réalisé par les Wachowski. À ce titre, j’ai été agréablement surpris de ne pas voir un bête film d’action, car il y a justement assez peu de scènes de combat contrairement à ce que la bande-annonce pouvait laisser craindre.

Il n’était absolument pas nécessaire de nous vendre ce film-là avec l’accroche « par les créateurs de Matrix » sachant que le film doit assez peu à cette trilogie (un plan goutte d’eau très Matrix Revolutions mis à part), et qu’il se place même plutôt comme un film d’anticipation plus standard. Mais pour rester dans le domaine de la référence, j’ai pu relever quelques points bien sentis comme le clin d’œil fortement appuyé à Benny Hill qui surprend vraiment beaucoup dans une production de ce type. De même, l’affrontement final entre V et les hommes de Creedy (Tim Pigott-Smith) va puiser sa source visuelle et structurelle dans le western, me semble-t-il, dans Pour Une Poignée de Dollars de Sergio Leone.

La musique de Dario Marianelli est aussi illustrative qu’efficace. Le spectateur préférera nettement garder le souvenir de l’Ouverture de 1812 de Tchaikovsky, brillamment mise en avant à deux reprises. Il y a également plusieurs chansons, mais rien de bien surprenant. Tout juste faudra-t-il souligner que trois chansons tirées du film se trouvent sur l’album édité pour l’occasion : Cry Me A river de Julie London, I Found A Reason de Cat Power et Bird Gerhl de Anthony & the Johnsons.

 

Conclusion

J’ai été globalement très satisfait par ce V pour Vendetta puissant et ambitieux, qui pose des actions d’actualités sur les limites d’un pouvoir gouvernemental. Dénonciateur et engagé, il reste toutefois trop sage dans bien des aspects — la réalisation en particulier.

Et puisque sa verve m’a passionné, je laisse le mot de la fin à ce cher V qui s’entretient justement avec Creedy, chef de la police secrète et âme damné du Chancelier Suprême : « Beneath this mask there is more thanflesh. There is an idea, Mr. Creedy – and ideas are bulletproof. »

V pour Vendetta

Réalisé par James McTeigue

Avec Hugo Weaving, Nathalie Portman, Stephen Rea, John Hurt, Stephen Fry

Produit par Warner Bros.

DVD et Bluray disponibles

 

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