Galeux est une de ces surprises littéraires que je n’attendais pas. Au vu de la quatrième je m’attendais à un énième roman sur les loups-garous, avec une composante adolescente très, voire trop, présente. Eh bien pas du tout ! Et très clairement le petit label Etoiles Montantes de l’Imaginaire apposé dessus est plus que mérité tant ce roman parvient à sortir du lot et à séduire le lecteur. Suivez-moi sur les routes poussiéreuses des Etats-Unis, pour un road-trip des plus inattendus…
” Mon grand-père était un loup-garou. ”
Les loups-garous existent-ils ? En tout cas, son grand-père en connaît, des anecdotes et des histoires fantastiques sur eux. Mais lui, l’enfant de dix ans, ne parvient pas encore à savoir s’il s’agit de légendes familiales issues des divagations de son Grandpa ou la réalité. Pourtant, la nature sauvage de son oncle Darren, la protection animale de sa tante Libby et les événements étranges qui les ont jetés sur la route semblent hurler le contraire.
À mesure que les années passent, le jeune narrateur anonyme sent que derrière les contes se cache la vérité de sa condition. Alors, pourquoi lui ne se transforme-t-il pas ? Et comment trouver sa place dans cette société américaine qui rejette à la marge les pauvres, les anormaux… les galeux ?
Stephen Graham Jones nous décrit à travers Galeux l’histoire d’un enfant de dix ans qui découvre les mystères de la lycanthropie, la vie qu’elle engendre et surtout ses malheurs. Quand on parle de loup-garou on a l’image classique du fantastique et de l’urban-fantasy habituelles : soit le monstre sanguinaire, soit le gentil toutou de l’héroïne. Mais ici rien de tout cela. L’auteur nous parle de parias, de gens qui ne peuvent rentrer dans la société pour ne pas se mettre en danger, et pour ne pas mettre d’autres personnes en danger. Notre petit héros, son grand-père, sa tante, son oncle, tout ce monde qui gravite autour de lui, qui lui apprend finalement la vie, le lecteur s’y attache. Il est complexe de parler du seul scénario de ce roman car il est intrinsèquement lié aux protagonistes. Je n’ai jamais lu un roman sur les garous aussi ancré dans le réel, aussi proche de ce que serait leur vie si ils existaient réellement. Et c’est ce qui m’a le plus séduit en tant que lecteur : ce récit est crédible de la première à la dernière ligne.
Comme je le disais cette histoire d’imaginaire est aussi particulièrement sociale : elle montre ce que peut donner la vie de paria, de chien galeux au sein des Etats-Unis. Stephen Graham Jones ne séduit pas le lecteur, il l’attrape, le fait rouler dans la poussière aux côtés de ses personnages, fait en sorte qu’il se sente parmi eux, qu’il puisse renifler leur odeur. Et dans sa vision du loup-garou il ne nous épargne aucun détail : qu’il s’agisse de manière plus ou moins inattendues de mourir (mention spécial au collant), de scènes de décès, ou bien encore de nourriture et de déjections, tout est fait pour rendre crédible le propos. On sent qu’il a bien réfléchi son roman de la première à la dernière page, il nous guide en même temps que son héros sur les routes du Sud américain, poussiéreuses et dangereuses.
Le style est à l’avenant du propos : brut. L’auteur en joue, décrivant ses scènes avec une efficacité impressionnante, ne lésinant jamais sur les mots. Cet aspect naturel et poussiéreux de son roman m’a particulièrement plu car il n’empêche en rien la qualité littéraire de l’ensemble. Ni celle de la traduction qui n’a pas dû être une mince affaire et est une franche réussite.
Si je devais choisir un adjectif pour ce roman, ce serait rugueux. Il définit parfaitement bien Galeux qui est un de ces romans qui m’a pris au débotté, changeant le genre. Son loup-garou est un paria, une personne dont l’existence est une souffrance sociale mais qui ne l’empêche pas de rechercher le bonheur. L’analyse sociale est aussi passionnante que l’histoire qui nous proposé. L’ensemble est brut mais prenant, sombre et pourtant émouvant. Une très belle réussite !