Boudicca, plus connue en France sous le nom de Boadicée, est une reine celte du Ier siècle qui a défié Rome. Publié en édition collector chez ActuSF, Boudicca de Jean-Laurent Del Socorro tire un portrait fantasmée de celle qui au XIXe siècle incarna la Vercingétorix britannique.
Angleterre, premier siècle. Après la Gaule, l’Empire romain entend se rendre maître de l’île de Bretagne. Pourtant la révolte gronde parmi les Celtes, avec à leur tête Boudicca, la chef du clan icène. Qui est cette reine qui va raser Londres et faire trembler l’empire des aigles jusqu’à Rome ?
À la fois amante, mère et guerrière mais avant tout femme libre au destin tragique, Boudicca est la biographie historique et onirique de celle qui incarne aujourd’hui encore la révolte.
C’est l’œil attiré par la très belle couverture que ma lecture a débuté. Signée Ammo, elle représente la reine légendaire armée et assise sur un trône orné du triskèle breton. On sent à travers sa posture toute la détermination qu’elle va mettre dans son combat et sa lutte contre Rome. Une bonne entrée en matière.
Le récit s’ouvre par la naissance de cette reine, fille des souverains icènes Antedios et Andraste. Destinée dès sa venue au monde à un grand avenir, Boudicca tente durant toute son enfance de ressembler à cette mère, Andraste, qu’elle n’a pas connue mais dont le souvenir hante sa relation avec son père, faite de rancœurs et de non-dits. Dans la première partie du livre, on découvre une enfant arrogante et un peu naïve qui tente désespérément d’attirer l’attention d’Antedios. Considérant le prince trinovante Caratacos, alors otage de son père, comme un frère, elle croit être une princesse douée pour le maniement des armes et aimée de tous. Amères leçons.
Dès la deuxième partie, Boudicca paraît plus mature bien que toujours insoumise. Mariée à Pratsutagos, elle est devenue reine des Icènes à la mort de son père. Les Icènes entretiennent des relations correctes avec les Romains installés à Camulodunum bien que, de jours en jours, le ressentiment gagne certaines tribus. Bientôt, les Trinonvantes se soulèvent avant d’être écrasé par Rome. Mais Caratacos, leur roi, n’a pas abandonné et plusieurs mois après sa défaite, il harcèle et prend en embuscade les envahisseurs. À cette annonce, Boudicca prend les armes nuitamment et quitte son époux et ses deux filles pour rejoindre la rébellion. Malgré des revers et la capture de Caratacos, la reine des Icènes ne cesse d’être insoumise et de refuser le changement de statut des femmes de son peuple à cause de la romanisation de l’île. Bien qu’apaisées, les relations avec Rome se rompent quand Boudicca est publiquement humiliée pour son insoumission. Terrible erreur du gouverneur romain qui entraîne le soulèvement de plusieurs tribus ainsi que le massacre de plusieurs colonies, faisant ainsi entrer la reine icène dans la légende.
Dans le récit point de magie ou de dragons mais un sentiment de réalité onirique à travers des prémonitions et des expériences mystiques de Boudicca. Cette impression est renforcée par les deux nouvelles qui suivent le roman : Elle est une légende et D’ailleurs et d’ici.
Si la première a un lien direct avec le roman c’est parce qu’on retrouve Caratacos, le roi des Trinovantes, plusieurs années plus tard à Rome. Ayant récupéré l’épée de la reine Icène, il la rapporte jusqu’à sa tombe pour l’enfoncer dans le rocher qui l’orne. La référence à la légende arthurienne est claire et voulue par l’auteur, plaçant Boudicca dans une sphère plus connue du grand public. La seconde nouvelle aurait pu paraître incongrue, si Jean-Laurent Del Socorro n’avait pas établi un lien entre les cendres d’une souche brûlée par Boudicca et la pluie de cendres qui s’abat sur Boston en 1773 à la veille de la Tea Party, évènement précurseur de l’Indépendance américaine.
Portée par un récit à la première personne riche de descriptions autant que des pensées de la reine légendaire, j’ai dévoré cette biographie romancée. La plume fluide et poétique de J.-L. Del Socorro mêle habilement réalité et rêve, brouillant leur frontière. On ne sait que peu de choses de cette reine légendaire, les historiens doutant de sa réelle existence faute de sources antiques. Néanmoins on se réjouit de l’imagination fertile de l’auteur qui donne vie à une telle légende ; la dépouillant par là même des récupérations nationalistes nées au XIXe siècle.
L’histoire de cette reine insoumise trouve un écho particulier de nos jours, prenant même une dimension universelle. Dans un contexte actuel où une partie de la population mondiale se soulève contre le sentiment d’oppression qui la contraint, la reine des Icènes est une sorte d’icône à l’image de La liberté guidant le peuple de Delacroix (1830, musée du Louvre, Paris). Icône de la liberté, elle est aussi une héroïne féministe en lutte contre le modèle patriarcal, représenté par les Romains.
À lire.