Bragelonne poursuit la réédition des textes de Lovecraft dans une nouvelle traduction, nous faisant (re)découvrir les nouvelles du maître de l’horreur moderne. Aujourd’hui, nous nous plongeons dans l’atmosphère des années 1920 à Providence pour L’Affaire Charles Dexter Ward.
À la fin du XVIIIe siècle, Joseph Curwen, fuyant Salem lors des grandes chasses aux sorciers, s’établit à Providence où il meurt quelques années plus tard. En 1928, son descendant Charles Dexter Ward s’évade sans laisser de traces de l’asile d’aliénés où il a été enfermé. Son dernier visiteur, le docteur Willett, médecin de la famille, entreprend d’élucider la disparition de ce dangereux patient. Retraçant les étranges recherches et expériences de celui-ci, chaque nouvelle découverte révèle des horreurs innommables. La découverte de la tombe de son ancêtre n’a été pour le jeune homme qu’un premier pas sur le long chemin qui le mènera à la folie…
Avant d’ouvrir cette longue nouvelle/court roman, environ 230 pages, je n’avais encore jamais lu de longs récits de Lovecraft. J’avais pourtant tenté l’aventure avec Les Montagnes Hallucinées, sans grand résultat. Très perturbée par la présentation du texte (chapitres qui se suivent sans espacement, densité des lignes sur la page) qui m’avait parue étouffante. Je m’étais toujours contentée de lire les recueils de nouvelles tels que Le Mythe de Cthulhu ou Le Cauchemar d’Innsmouth (éditions J’ai Lu). C’était la première fois que je me plongeai dans L’Affaire Charles Dexter Ward. Dès les premières pages et la citation de Pierre Borel (dont je me suis amusée à savoir qui il était, vive wikipédia), j’ai tout de suite été happée dans l’histoire et son étrangeté coutumière.
Charles Dexter Ward, jeune homme d’une vingtaine d’années enfermé à l’asile d’aliénés, vient de disparaître après son entrevue avec le docteur Willett, ne laissant derrière lui hormis une étrange poussière. L’état mental du prétendu fou nous est présenté par le menu, on relève des particularités physiques qui ont changé en quelques années, telle une tâche de naissance, puis, habilement, on nous entraîne vers la genèse de toute cette affaire. Charles a toujours été passionné d’archéologie, il aime les longues randonnées dans Providence et ses alentours. Au détour de recherches dans les archives, un détail retient son attention, un changement de nom chez une ancêtre qui a repris le patronyme de son père et abandonné celui de son époux. C’est le début de sa terrible aventure. Il se lance sur les traces de son ancêtre, Joseph Curwen, homme étrange et mystérieux venu de Salem au moment des chasses aux sorcières.
Lovecraft met en parallèle le récit de l’affaire avec les découvertes de Charles Ward sur la vie de son ancêtre, créant une sorte de mise en abyme. Cette histoire dans l’histoire nous interroge et nous pousse à poursuivre le récit afin d’en savoir plus sur la folie de Charles autant que sur son étrange ancêtre. Mêlant, comme à son habitude, réalité (chasses aux sorcières de Salem, Pierre Borel et ses ouvrages, Providence et Pawtuxet) et fiction, Lovecraft a créé un récit prenant, haletant. Nous demeurons suspendus aux lignes qui se déroulent sous nos yeux et qui nous amènent vers l’apothéose, le dénouement.
Avec finesse, Lovecraft fait référence aux romans gothiques et “néogothiques” anglais. De Frankenstein à Dracula en passant par Le Portrait de Dorian Gray, il emprunte à chaque œuvre des éléments afin d’en tirer un récit qui lui est propre et qui toujours se relie à son propre univers.
Yog-Sothoth, le Necronomicon, horreur indicible, passé monstrueux, monstres et démons, la réalité et la fiction qui s’entremêlent et se brouillent ; rien ne manque dans cette nouvelle angoissante qu’on prend plaisir à lire entre deux frissons d’horreur.