Les + :
- un retour à la “maison” pour le célèbre conte
- un message sensible et intelligent
- une très belle photographie
Les – :
- une étrangeté et une certaine noirceur à déconseiller aux enfants de moins de 12 ans
Gepetto, un menuisier italien, vieux, pauvre et affamé, décide de sculpter une magnifique marionnette de bois pour prouver ses talents au monde entier. Pour se faire, un de ses amis va lui donner – vraiment de bonne grâce ! – un morceau de bois ô combien bizarre. C’est ainsi que naît Pinocchio, une marionnette qui prend inexplicablement vie et dont les aventures vont l’amener à vouloir devenir un vrai petit garçon…
Matteo Garrone fait partie de ces rares réalisateurs italiens qui ont réussi à s’extirper des cendres du cinéma transalpin, qu’on croyait mort et enterré depuis les années 80. C’est tout d’abord avec un film de mafieux, spécialité rital par excellence, que Garrone s’est fait remarqué avec Gomorra en 2008. Et là, alors qu’il aurait pu enfoncer le clou et rester dans le genre polar à l’italienne, notre Matteo opte plutôt pour une comédie sociale (Reality) en 2012 avant d’en surprendre plus d’un avec Tale of Tales en 2015, une adaptation, très spéciale, d’un recueil de contes italiens. Le film divise beaucoup – certains diront que le film est raté. D’autres, plus rares, crieront au chef-d’œuvre – mais c’est ici qu’on voit que Garrone a un penchant pour le conte et la fantaisie. Penchant qui l’amènera donc logiquement à s’atteler à cette nouvelle adaptation de Pinocchio.
Alors que vaut ce Pinocchio nouveau cru ? Faisant partie de ceux qui ont adoré Tale of Tales, force est de constater, en ce qui me concerne, que Pinocchio me semble être un film plus sage que ce dernier. Ce qui n’est pas forcément un mal. Une des premières choses positives que montre le film est cette volonté, immédiate, de ne pas être dans la féerie béate. Garrone tient à son réalisme dès les premières images. Gepetto crève de faim et la misère de ce petit village italien saute aux yeux. Autre point positif, c’est Roberto Benigni en Gepetto. Car l’acteur a lui-même adapté au cinéma – et interprété!- Pinocchio en 2002 ! Ainsi Benigni passe du rôle de la marionnette à celui du menuisier, c’est à dire du personnage de l’enfant à celui du vieux père. Et cela lui va très bien! L’acteur incarne ainsi un Geppetto plutôt sobre et attachant.
Mais un des points cruciaux sur lequel le film devait être attendu au tournant est bien évidemment en rapport avec l’interprétation et l’apparence du personnage principal. Et là pas facile de juger ! Le jeune Federico Ielapi – bien aidé par des CGI efficaces et discrets – s’en sort très bien. Mais dans l’imaginaire collectif, l’apparence de Pinocchio est tellement liée à la vision disneyienne du personnage qu’il est probable qu’une bonne partie du public ait été quelque peu décontenancée en découvrant le Pinocchio de Garrone. Mais il faut passer outre. Le film le vaut bien.
Matteo Garrone structure son film comme une odyssée, un voyage initiatique, qui donne l’occasion à son personnage de grandir. Toute la subtilité du conte est là. L’enfant de bois – dissipé, égoïste, irresponsable – va vivre des aventures, croiser des personnages, qui vont le faire grandir et mériter de devenir un vrai petit garçon. Sa quête lui permettra de s’éveiller à la sagesse, aux responsabilités. Il se débarrassera de sa crédulité ( qui en faisait une victime) pour faire face à la ruse et au côté impitoyable et parfois absurde du monde. Bref, tout dans cette histoire parle de croissance intérieure et aussi d’amour filial, car oui, la relation père/fils du duo Pinocchio/Gepetto y est très touchante.
Une des forces du film est aussi sa ribambelle de personnages tout en nuances. Quelle galerie de créatures, qu’elles soient fantastiques ou tout simplement humaines ! Certains ont l’air patibulaires et s’avèrent ne pas l’être. D’autres ont l’air gentils et se révèlent être des salauds. Il y a des freaks au cœur d’or et d’autres qui ont des têtes d’escrocs et qui le sont vraiment !
Signalons ici que Pinocchio pourrait être pris pour un film pour enfants alors qu’il est plutôt destiné à des adultes ayant gardé leur âme d’enfant. Car le film a sa noirceur et une étrangeté qui pourraient tout de même effrayer nos chers bambins, même si l’émerveillement, et un humour savamment dosé, sont là aussi. Un de ses autres très grands atouts est la magnifique photographie signée Nicolaï Brüel et la musique – belle, mais pas envahissante – composée par Dario Marianelli.
CONCLUSION :
Il serait très intéressant que d’autres réalisateurs européens suivent l’exemple de Matteo Garrone et cherchent à se réapproprier tous ces contes du Vieux Monde, partis se faire réinterpréter – et dénaturer? – outre-Atlantique. Pourquoi ? Mais pour qu’ils puissent être réactualisés par une sensibilité européenne, qui est celle qui les a produits initialement. Un retour aux sources qui serait aussi un renouvellement, en quelque sorte.