Le Sang des Quatre, Christopher Golden et Tim Lebbon

Roman à quatre mains, Le Sang des Quatre est un one-shot qui vous plonge dans un monde sombre dominé par l’esclavage. D’abord, l’esclavage au sens premier du terme, celui qui asservit et oppresse, mais aussi l’esclavage au sens figuré, celui qui pousse autrui à devenir esclave de sa haine, de ses ambitions, des dieux, et surtout, du pouvoir…

Aucun des différents personnages, ou presque, qui portent ce roman n’échappe à cette réalité, encore moins la Princesse Phela devenue Reine à la mort de sa mère que l’addiction à la drogue et à la magie a poussé inexorablement dans les bras de la folie. Témoin privilégié de la descente aux enfers de sa mère, la jeune femme n’a néanmoins pas su tirer les leçons du passé. À son tour, elle devient obnubilée par l’idée de s’approprier cette magie sur laquelle l’Ordre Suprême veille avec dévotion et un total dévouement. Et pour ce faire, elle est prête à tous les sacrifices, car elle en est intimement convaincue : de la future grandeur de son royaume, Quandis, dépend la maîtrise totale de cette magie qui a depuis trop longtemps échappé au contrôle de la Couronne. Et peu importe que cette magie ait déjà tué sa mère, et qu’il faille des années pour, ne serait-ce, que l’approcher sans se perdre en chemin…

Mue par ses ambitions pour son royaume, Phela ne semble pas prendre la mesure de ses actes et des risques qu’elle fait peser sur sa vie, sur celle de ses sujets et sur la prospérité de Quandis. Les prêtres de l’Ordre Suprême vont bien tenter de la dissuader, mais souffrant des mêmes tares que sa défunte mère, l’orgueil et une trop grande confiance en elle, rien ne peut se mettre en travers de la route de cette nouvelle reine prête à tout pour assouvir sa quête de pouvoir.

À côté de cette Reine, se présente une galerie de personnages étoffée et plutôt variée. Une diversité que je loue, mais qui apporte son lot de frustration puisqu’en moins de 500 pages, il s’avère difficile, si ce n’est impossible, d’offrir à chacun des protagonistes une scène à sa hauteur. Certains personnages auraient peut-être mérité un développement plus conséquent pour rendre leurs (ré)actions plus logiques et/ou plus réalistes. À titre d’exemple, Blane, un prêtre novice Baju, s’est révélé intéressant, mais je n’ai réussi à croire au rôle que lui ont réservé les auteurs, il y a comme une dissonance entre son destin et ce que l’on sait et voit de lui. Mais cela reste finalement subjectif puisque à l’inverse, l’Amirale Daria Hallarte, dont on ne connaît pas forcément beaucoup plus de choses, a su complètement me séduire. Déterminée, farouche combattante et fidèle à ses valeurs, cette femme, que ses origines ne destinaient pas à une grande carrière, a su briser ses chaînes et se construire une vie à la hauteur de ses ambitions et de sa personnalité !

Dans ce roman, il est question de pouvoir et de ce qu’on est prêt à faire et à sacrifier pour l’obtenir, mais il est aussi question d’esclavage, de ces chaînes qui contraignent et soumettent la vie de tout un peuple, les Baju. Insulté, humilié, battu et tué dans l’indifférence la plus totale, ce peuple est détesté sans aucune raison, si ce n’est peut-être celle de cette haine injuste ancrée profondément dans les traditions. Difficile donc de ne pas se révolter devant le sort que la société lui réserve, et d’espérer une amélioration de sa condition. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai particulièrement apprécié l’évolution d’un des personnages qui, par le passé, n’a jamais fait montre d’une véritable hostilité envers les Baju, mais qui ne les a jamais non plus considérés comme des êtres humains à part entière. Ce n’est qu’en étant déchu de son statut de noble et en se confrontant à la dure réalité de la vie d’un esclave, qu’il se rendra compte qu’il n’est nul besoin de donner des coups pour frapper l’autre et le réduire à néant…

Si l’évolution de ce personnage est intéressante à suivre, car menée avec un certain réalisme, la plupart des autres restent, somme toute, assez ancrés dans leur schéma de pensée. Cela ne m’a pas empêchée d’apprécier la complexité de la personnalité de chacun et de suivre les interactions entre les différents protagonistes avec intérêt. Dans un monde où la convoitise de la magie va apporter un vent de folie et de destruction, il n’y a pas vraiment de gentils ou de mauvais, plutôt des personnes qui se confrontent ou coopèrent en fonction de leurs intérêts et des circonstances. On se retrouve donc face à un échiquier politique, militaire et fantastique dans lequel chacun avance son pion en espérant mettre échec et mat l’adversaire. Et dans ce jeu, les femmes du roman sortent nettement leur épingle du jeu ! Toutes très différentes, elles ont en commun une personnalité affirmée et une âme de combattante.

Au-delà des réflexions intéressantes qu’offre cette histoire, l’univers mis en place par les auteurs mérite qu’on s’y attarde. Simple d’accès, il dépeint une société complexe dont on apprend à découvrir progressivement les rouages et l’organisation aussi injuste que bien rodée. Sans se perdre dans des détails ou des phases d’introspection qui détoneraient avec le rythme du roman, les auteurs arrivent à instaurer un climat étouffant où le danger semble venir de nulle part et de partout à la fois. Il en résulte une lecture plutôt prenante et immersive. Vous ne tournerez pas les pages avec frénésie, mais vous devriez cependant vous plonger avec plaisir dans cette histoire menée tambour battant. Pas de fioritures, mais de l’action, de la tension, des confrontations et des décisions difficiles à prendre qui pimentent le récit tout en lui conférant cette noirceur que les auteurs semblent prendre plaisir à nous faire ressentir.

En conclusion, les amateurs de longues sagas de fantasy pourront être décontenancés par la relative rapidité avec laquelle est menée l’histoire, mais les lecteurs qui recherchent un roman bien mené qui ne manque ni d’action ni de tension devraient être séduits. On pourra regretter quelques facilités scénaristiques et des personnages dont la psychologie manque parfois de finesse, mais dans l’ensemble, Le Sang des Quatre remplit bien son rôle, offrir une histoire immersive et divertissante. Pari réussi donc pour les deux auteurs qui, en un seul tome, ont su proposer une petite épopée !

Le Sang des Quatre
Christopher Golden et Tim Lebbon
Traducteur : Louise MALAGOLI
Bragelonne (16/08/2018)

456 pages
25€

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