Arnaud, informaticien exerçant à Paris, est victime d’un plan de licenciement. L’occasion pour lui de venir se resourcer dans son village d’origine, Raynat. Mais il n’y trouvera guère de repos. Peu de temps après son arrivée, des évènements étranges se succèdent. Il fait des cauchemars, se met à dessiner un ours comme dans un état d’hypnose, croit en croiser un dans une église, un séisme lui révèle l’entrée d’un souterrain aux parois couvertes de représentations d’ours, il découvre que sa grand-mère adoptive et son mari auraient autrefois été particulièrement proches de ces animaux. Se dessine alors peu à peu l’histoire d’un culte millénaire mais peut-être encore secrètement vivace, un culte qui aurait encore chez les Raynatols bien des adeptes cachés. En compagnie du thériologue Christopher Dersteen (la thériologie étant définie dans cet ouvrage de manière restrictive et inexacte comme la science des ours, alors qu’il s’agit plus globalement de la science des mammifères), Arnaud découvrira bien des secrets. Interviendront également dans l’histoire un archéologue, un maire aux dents longues, des chasseurs, une amie d’enfance devenue aveugle, et bien d’autres protagonistes encore.
« Artahe, le Dieu-ours », a été initialement publié chez Cylibris en 1997 avant de bénéficier d’une seconde édition dans cette maison l’année suivante, puis a été repris chez Rivière blanche en 2013 avant la présente réédition chez Cairn Noir. Cette histoire complexe, après un début dans une maison elle-même débutante, et depuis lors disparue, explique sans doute la carence de tout travail éditorial, qui donne à l’ouvrage son caractère de roman de débutant, certes dense, mais imparfait et inachevé.
Il est en effet des défauts qu’une chronique honnête ne saurait passer sous silence. Bien des phrases imprécises, bancales, avec des impropriétés lexicales ou avec répétitions (“Le choc violent projeta Simon à travers le pare-brise qui explosa sous le choc”, “En face de lui, un mouvement se déplaçait dans la nuit”) auraient dû être corrigées. De nombreux hiatus jalonnent le texte, des dialogues s’interrompent brutalement au défi de toute logique (un protagoniste décidant par exemple de s’en aller au moment où la conversation révèle un élément capital alors que tout individu normalement constitué se mettrait à poser des questions) et on note bien des incohérences flagrantes. Ainsi, que le spécialiste en ours s’étonne à peine d’être confronté à un ours des cavernes, totalement différent de l’ours contemporain et disparu depuis des milliers d’années, passe encore, pour le besoin de l’histoire, mais que quelque temps après cette rencontre on lui présente un ours banal qui vient d’être capturé en lui faisant croire qu’il s’agit de cet ours, aucun lecteur ne pourra l’accepter. Dans le même chapitre un personnage reçoit une balle, une seule, quelques lignes plus loin ce même personnage a le visage défiguré par « de multiples impacts », et l’on y trouve des phrases bancales comme “L’ours resta droit, planté sur ses pattes arrière, pendant une fraction plusieurs secondes.” Tout ce passage donne l’impression d’avoir été écrit à la hâte et jamais relu, pas même par l’auteur. On notera aussi – mais nous quittons le domaine du factuel pour entrer dans le subjectif – des passages excessifs et grotesques qui relèvent bien plus des défuntes collections « Trash » ou Gore » que du domaine du thriller à teinte fantastique dans lequel ce roman semble vouloir s’inscrire.
On reste donc réservé sur cet ouvrage qui avait beaucoup d’arguments pour séduire. L’auteur en effet n’a pas ménagé ses efforts pour offrir au lecteur un roman à la fois dense et riche en rebondissements venant s’appuyer sur un ancien culte pyrénéen au sujet duquel on ne sait pas grand-chose, et qui par conséquent laisse une part belle à l’imagination. Philippe Ward a réussi à nourrir son intrigue avec de multiples éléments de l’arsenal fantastique (secrets enfouis, rituels anciens, village au passé mystérieux, cauchemars, antique artefact hallucinogène, grottes, souterrains), du thriller horrifique (la conspiration, la bête qui rôde et qui décime, qui ravive les antagonismes, les protagonistes qui deviennent fous jusqu’à s’entretuer), mais aussi avec des thématiques éternelles (cohabitation homme nature, persistance occulte de cultes prétendument disparus) ou très contemporaines (les préoccupations écologiques, les multiples enjeux possibles des parcs naturels et des sanctuaires animaliers, les intérêts politiques et financiers de tels projets). De nombreux flash-backs (7000 avant J.C., 40 avant J.C., 1248, 1543, 1803, et enfin mars 1932, ce chapitre mettant en scène Jules de Grandin, détective de l’occulte bien connu des amateurs du genre) viennent également nourrir l’ensemble. « Artahe, le Dieu ours » brasse donc assez large et apparaît comme un révélateur dont les multiples facettes, à travers les opinions et comportements de ses protagonistes, éclairent à la fois le passé et le présent. Notons pour finir que la réalisation technique de ce roman en fait un bel objet, un volume à l’agréable format intermédiaire avec une belle composition mate en noir et blanc rehaussée par un titre pelliculé rouge, comme le sont tous les volumes de cette collection Cairn Noir.
Artahe le dieu ours
Philippe Ward
Couverture : Djebel
Collection Cairn Noir
Cairn éditions