Doctor Who saison 11 – Chris Chibnall

Le Docteur s’est régénérée et elle a été expulsée du TARDIS. En chute libre vers la Terre, elle tombe dans un train aux prises avec de curieux phénomènes. Avec Yaz, Graham et Ryan, ses nouveaux compagnons, la voilà lancée dans de nouvelles aventures.

Nouveau showrunner, nouveaux compagnons, nouvel interprète, Doctor Who fait son soft reboot pour la troisième fois depuis son retour en 2005. Cette fois, c’est Chris Chibnall qui reprend les commandes de la série de la BBC avec de nombreux changements pour le meilleur comme pour le pire.

Au premier rang des transformations, l’arrivée de Jodie Whittaker pour interpréter le rôle-titre est celle qui a le plus fait parler depuis un an. Les palabres se sont tus après la diffusion du premier épisode, La femme qui venait d’ailleurs, car il a mis quasiment tout le monde d’accord : l’actrice s’en sort parfaitement bien et démontre une palette de jeu bien plus large que ce qu’on a pu voir dans Broadchurch. De plus, son abattage et son énergie sont communicatifs, ce qui la rapproche d’un David Tennant. De quoi la rendre sympathique au plus grand nombre.

La comparaison s’arrêtera là, faute de munitions. Chris Chibnall a opté pour une rupture de ton et d’approche qui singularise sa saison, mais lui porte aussi préjudice.

Les compagnons en sont un exemple. Ils sont trois à suivre le Docteur dans ses voyages. Ces personnages sont assez peu développés, ils jouent d’abord le rôle d’élèves face au maître Docteur.

Yaz et Ryan bénéficient d’un épisode de mise en avant et, pour le reste, se montrent agréables, mais tout à fait interchangeables dans leur fonction au sein du récit.

Le cas de Graham est différent. D’abord, on sent assez rapidement que l’acteur Bradley Walsh est expérimenté, ce qui lui permet de facilement se distinguer dans le quatuor. Il a la chance de profiter du seul arc de développement de la saison, à travers sa relation à Grace. Cela contribue à le mettre en avant assez régulièrement.

Ce fil rouge, le seul solide de la saison, tranche avec les précédents Docteur depuis 2005. En effet, on passe d’un rythme serial, avec une suite (même ténue) dans l’intrigue à une formula, qui permet de regarder tous les épisodes ou presque sans ordre précis. Ce virage grand public peut surprendre, car il casse une habitude bien ancrée.

Dans les faits, cela n’empêche pas la série de livrer quelques excellents épisodes. Trois d’entre eux dominent les autres : il s’agit des épisodes dit historiques. Depuis Vincent and the Doctor (2010), bouleversante vision sur la vie de Vincent Van Gogh, la série a été très chiche en évocation réussie du passé de la Terre. Pour cette fournée, nous sommes gâtés.

Rosa évoque la combattante pour les droits civiques Rosa Parks ; Les démons du Penjab la dramatique partition Inde/Pakistan ; Les chasseurs de sorcières la passion meurtrière et dévote de Jacques Ier. Ces trois intrigues portent un regard sur la tolérance, la compréhension et la dureté du monde qui nous entoure, avec acuité et talent. Les chasseurs de sorcières est pourtant le seul à porter une intrigue SF, les autres s’en servant plutôt comme un prétexte. L’émotion est au rendez-vous, car chaque épisode laisse d’abord la place à ses personnages et que leurs choix ont des conséquences que le Docteur et ses compagnons ne peuvent pas forcément éviter.

La fatalité et le poids de l’histoire (personnelle ou avec un grand H) sont souvent des éléments moteurs des récits de Chris Chibnall, c’est toutefois un changement important pour la série où le Docteur a toujours été interventionniste. Au revoir donc à l’égo surdimensionné qui allait avec, ce qui rend parfois cette incarnation un peu trop lisse pour le moment.

Ce manque d’aspérités rejoint ce ton grand public, mené sur un rythme égal, qui nuit à certains épisodes. Il n’y a pas de tension autour des araignées qui envahissent l’Angleterre, pas d’urgence dans la bataille de Ranskoor Av Kolos, peu de sur jeu (sauf Alan Cumming, délectable en Jacques Ier). Le montage ne joue pas de changements de ton ou de rupture, les plans larges – superbes au demeurant – s’étirent. C’est visuellement soigné (l’alter monde tout en dur de l’épisode neuf est très réussi), mais aussi très fauché, ce qui donne l’impression d’un retour en 2005 où l’énergie l’emportait sur ces défauts. Même la musique délaisse ce côté over the top que Murray Gold avait su insuffler. Si Segun Akinola ne démérite pas, il produit de la musique interchangeable, ce qui réduit encore un caractère fort de Doctor Who.

Et la SF là-dedans ? Chibnall a choisi de prendre ses distances avec la mythologie de la série, préférant se consacrer à réintroduire – avec brio – les attributs du Docteur comme le tournevis “couteau suisse” sonique ou le TARDIS. Après dix ans à évoquer la guerre du temps, c’est sans doute salvateur, mais un petit Dalek ou des Cybermen ne m’auraient pas déplu.

Les épisodes SF sont très inégaux : on passe du bon (De l’autre côté et sa grenouille univers WTF) au moyen (Kerblam ! et sa caricature à gros traits, la bataille de Ranskoor Av Kolos et ses quelques personnages attentistes) et parfois on plonge dans la catastrophe (Arachnides au Royaume-Uni). Sur dix épisodes, le bilan est donc mitigé.

On peut toutefois s’interroger sur la pertinence du regard de la communauté de fans de Doctor Who, dont je fais partie, alors que la série subit un reboot bien plus profond que les précédents dans l’histoire moderne du show – et les fans sont réfractaires au changement.

En effet, cette saison 11 réalise les meilleures audiences de la série depuis 2010 et semble à même d’amener une nouvelle catégorie de fans à la suivre, qui ne cherche pas forcément à regarder ce qui a précédé. La question est donc plutôt de savoir si Doctor Who peut, sous cette forme, attirer un public novice ? Il me semble que sur le long terme non, ou il faudra être plus jusqu’au-boutiste dans les intrigues. Le résultat actuel est inabouti, mais il laisse de l’espoir pour la suite, car l’étincelle d’excitation n’est jamais loin.

Reste à savoir si Chris Chibnall saura passer cette marche. Vu les rumeurs de tension entre le showrunner et les exécutifs de la BBC, et la décision difficile de différer la saison 12 à 2020, c’est une question qui restera en suspens.

Conclusion

Doctor Who saison 11 change tout et le résultat est frustrant : Jodie Whittaker brille en Docteur, quelques scénarios font mouche, mais l’ensemble est trop inégal pour emporter l’adhésion. C’est nettement mieux que la première saison du duo Capaldi/Moffat par exemple, sans pour autant emballer le fan d’aventures énergiques qui a été conquis par le retour de la série en 2005. J’espère mieux dès le Special de nouvel an.

Doctor Who

Une série écrite par Chris Chibnall

Avec Jodie Whittaker, Bradley Walsh, Mandip Gill, Tosin Cole, Sharon D. Clarke

BBC

Diffusée en France par France 4 et Pluzz

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