Je sais que cela va vous paraître incongru, mais permettez que je vous pose néanmoins la question : vous êtes-vous déjà imaginé dans la peau – si tant est qu’il en ait une – d’un dieu ou d’une déesse ? Vous êtes-vous demandé ce que deviennent les dieux quand plus personne ne les invoque, quand plus personne ne leur offre de sacrifice – en bétail ou en humain –, quand plus personne n’érige de temple voire un simple autel en leur nom ? Telle est la question que pose ce roman de Neil Gaiman, récompensé d’une multitude de prix en 2002, dont le Nebula et l’Hugo. Avec American Gods, il nous pose la question des valeurs et de leur viabilité dans le temps.
Tout commence avec Ombre, un humain tout ce qu’il y a de plus ordinaire, si ce n’est qu’il termine de purger sa peine de prison quand il apprend la mort de sa femme. Cela lui permet de recouvrer plus vite sa liberté, mais quel sens lui donner quand on a tout perdu, et surtout ce qu’on attendait de retrouver ? Arrive Voyageur, énigmatique personnage qui va lui proposer un travail d’assistant, chauffeur, confident, ami, etc. N’ayant rien à perdre Ombre tente sa chance avec l’inconnu. Il va alors découvrir le milieu des dieux anciens qui ont tous émigré aux États-Unis d’Amérique pensant que le Nouveau Monde leur permettrait de survivre encore un peu dans le cœur des hommes.
Il va découvrir que la guerre couve. Une guerre entre anciennes croyances et nouvelles idéologies. Les nouveaux dieux sont ceux de l’argent, de la technologie, de la consommation. Ils emportent les hommes vers de nouvelles limites, et leur font oublier les valeurs qui ont construit l’humanité, avant que la science ne commence à tout expliquer. Cette guerre n’est pas que virtuelle, et les dieux vont bientôt entrer en conflit frontal.
À la fois réflexion philosophique et dénonciation de nos sociétés modernes qui ne voient que le court terme, les modes éphémères et les médias omniprésents qui nous inondent d’informations que nous ne savons même plus ingurgiter, American Gods est le récit d’une humanité à la dérive, loin de ses valeurs fondatrices. Il peut être reproché quelques longueurs à ce roman où le lecteur peut trouver les scènes trop longues, les personnages trop hermétiques, les motivations peu transparentes. Cela n’entame en rien le fait qu’il s’agit d’une des œuvres majeures du fantastique contemporain. Nous pouvons retrouver les origines d’un des dieux de cette histoire dans Anansi Boys et son tout dernier ouvrage intitulé La Mythologie Viking, sorti le mois passé Au Diable Vauvert, nous initie – dans une ambiance anthropomorphique – à la genèse du mythe nordique fondateur de tout un pan de l’imaginaire dont se sont inspirés de nombreux auteurs.
Adapté en série télévisée, American Gods est diffusé actuellement aux États-Unis sur Starz, mais également en France avec le service prime vidéo d’Amazon. On parle aussi d’une diffusion à venir sur Syfy dans les mois à venir, après la sortie vidéo de la première saison. Ce qui m’a surtout plu dans ce roman, c’était à la fois la mise en abyme qui consistait à intégrer des personnages avec une histoire mythique assez connue dans un récit moderne et le petit challenge pour reconnaître qui sont réellement ces personnages. Personnellement, j’ai reconnu assez rapidement Voyageur, mais la plupart des autres m’ont bluffé. Enfin, vous pourrez y découvrir une descente aux enfers hors norme. Une belle idée, richement exploitée, malgré des lenteurs passagères dans la trame narrative, mais tout se pardonne quand il s’agit d’une référence.
American Gods
Neil Gaiman
Couverture illustrée par Getty Images / Studio J’ai lu
Traduction par Michel Pagel
Editions J’ai lu
Collection J’ai lu SF
2016
8,90 €