Leif et son ami de toujours, Jim, discutent autour d’un feu en plein cœur de l’Alaska sauvage. Ils sont partis en expédition, en quête de réponses pour Leif. Depuis qu’il a été l’invité forcé d’une tribu mongole qui voyait en lui la réincarnation du grand et cruel guerrier Dwayanu, Leif n’est plus le même. Brillant universitaire, il voyageait pour assouvir sa soif de connaissances du monde, sans jamais s’interroger sur ses aptitudes particulières à apprendre les langues mêmes les plus atypiques et ignorées du monde, ou sur son attirance pour l’Asie. Ne rejetant pas l’invitation subite de la tribu mongole pour éviter tout conflit avec l’équipe de chercheurs qui l’accompagnait, il fut témoin du réveil d’une créature monstrueuse dévoreuse de chairs. Pire, cette vision qui a appelé au plus profond de lui les réminiscences d’une autre vie, ancienne, avide, un autre lui qui l’effraie. C’est pour avoir des réponses et combattre celui qui cherche à s’emparer de son esprit que Leif est parti en Alaska, où l’appellent les tambours du lointain passé, où il va rencontrer les habitants du mirage.
Ecrit au cours de l’année 1932, Les Habitants du Mirage est un concentré d’éléments qui inspira et inspire encore nombre d’auteurs du fantastique. On retrouve en effet les clés de ce que l’on nommerait presque des clichés tant ils furent depuis lors bien souvent utilisés comme trame de fond. La créature monstrueuse, calamar ou poulpe géant image du Kraken qui ne cesse de revenir dans tant d’œuvres tient ici le premier rôle du méchant, celui de la divinité venue d’une autre dimension et que Leif-Dwayanu doit combattre. De même, la double personnalité dont une terriblement destructrice à la fois pour son hôte et pour ceux auxquels il tient est un classique plus ou moins repris à l’identique dans nombre de récits, pour n’en citer que deux, la lente transformation d’un Frodon (Le Seigneur des Anneaux) ou d’un Rand Al’Thor (La Roue du Temps). Et que dire du dilemme entre la femme aimée autrefois par Dwayanu, la sorcière Lur, et celle dont Leif tombe amoureux dans cette vie, la douce Evalie !
Le combat de Leif est à la fois contre son autre lui-même, sa destinée, son coeur et la créature qu’il a éveillée malgré lui.
Vous l’aurez compris, l’histoire des Habitants du Mirage ne promet guère de surprises ou de nouveautés tant de nombreux auteurs ont, depuis, adopté et adapté à leur monde les bases créées par Merritt comme cela fut le cas de Lovecraft.
L’écriture n’est pour autant pas tant alourdie de mots ou de tournures veillottes mais plutôt par le style même de Merritt qui aimait associer l’imaginaire à la réalité, asseoir le fantastique mis en scène à autant d’éléments scientifiques que possible. Une bonne part de la narration est ainsi pesante de notions ethnologiques, sociologiques qui, certes, ancrent les personnages dans un cocon vraisemblable mais cassent considérablement le rythme narratif. On passe un long moment à attendre qu’il se passe quelque chose d’autre que l’avancée de Leif et Jim dans cet univers entre les mondes. Lorsque les choses démarrent, on ne peut que se féliciter d’avoir persévéré mais on se heurte encore à la lourdeur du duel que se livrent Leif et Dwayanu qui, bien que crucial dans le récit, prend trop le pas sur l’action générale.
L’ensemble des personnages est attachant, assez éclectique mais le plus complet reste Jim, l’indien de souche qui nous en apprend plus sur Leif que le héros lui-même. Idem, il est difficile d’être séduit par Evalie, trop lisse, passive, alors que la sorcière Lur est bien plus présente et ses actions plus importantes pour l’histoire. On passe donc à côté du couple héros et cette évidence est sans doute ce qui explique la fin imposée par son éditeur à Merritt lui-même lors de la publication, visant à évincé un heureux dénouement pour Leif et Evalie, fin alternative remise sur le devant de la scène dans cette édition signée Callidor et sa collection L’Age d’Or de la Fantasy.
De belle facture, cette version présente un papier de qualité, une typographie agréable, une traduction élégante de Thomas Garel, des illustrations de couverture et intérieures très représentatives signées Sébastien Jourdain et une préface documentée par Alain Zamaron qui permet de mieux appréhender l‘intérêt de cette version.
Le seul nom d’Abraham Merritt suffit à affirmer que Les Habitants du Mirage est une œuvre à lire car elle a toute la saveur des maîtres de la Fantasy, des fondateurs d’un genre unique qui ne cesse de grandir dans le paysage littéraire. Pour autant, tout fervent lecteur du genre n’y trouvera pas beaucoup d’originalité mais plutôt l’empreinte d’un style bien particulier cherchant à unir l’imaginaire à la réalité.
Les Habitants du Mirage
Abraham Merritt
Callidor
Collection L’Âge d’Or de la Fantasy
Traduction : Thomas Garrel
Illustration : Sébastien Jourdain
10 octobre 2015
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