Il se nomme George Fatum. Fatum, c’est le Destin des Anciens, mais le destin au sens négatif, disons la fatalité, ou ce que lui-même nomme le sort. Disons, la face noire du destin. La Destinée, elle, existe aussi : tous deux se fréquentent depuis plus de deux cent cinquante mille ans. Ils s’aiment et ils se détestent. Mortimer, c’est la mort. Jerry, c’est leur patron à tous, à savoir Dieu.
« Le désespoir. L’échec. L’affliction. Tels ont toujours été les outils phares dans mon secteur d’activité, aussi loin que je m’en souvienne. (…) Ils font partie de ma routine. De mon mode de vie. De ma nature. »
Avec le nombre croissant d’humains sur terre, on se doute que George Fatum ne manque pas vraiment de travail. L’informatique l’aide, un peu. Entre entités divines, étonnammemt nombreuses, on s’apprécie, parfois on se jalouse. Certaines de ces entités apparaissent ici et là et prennent une part – souvent réduite – à l’intrigue. Karma, Sagesse, Vérité, Culpabilité, Justice, par exemple. D’autres sont simplement citées à la volée : Sérendipité, Honnêteté, Mémoire, Imprudence, Intégrité, Discrétion, Echec, Vanité, Extravagance, Commérage, Ebriété, Anxiété, Paresse, Gourmandise, Ambition, Chance, pour n’en nommer que quelques-unes. Comment ces dieux, ces anges ou autres sont-ils apparus ? Tout au plus l’auteur précise-t-il que lorsque les hommes se sont mis à délaisser les divinités de l’Olympe pour basculer dans la chrétienté, Hermès, Zeus et Héra ont survécu tant bien que mal, mais les autres ont fini « soit à la rue, soit au crack, soit à l’assistance sociale. » Si l’auteur nous en dit un peu sur leur nature et leur origine – les immensités cosmiques, mais nul n’a jamais prétendu que l’Olympe était en orbite basse –, on restera dans un flou savamment entretenu pour ce qui concerne leur rapport avec une religion ou l’une ou l’autre des allégories sans nombre citées par l’auteur,
« Un jour, Mortimer m’a confié qu’incarner la Mort, c’était comme diriger un orchestre jouant er rejouant la même symphonie depuis toujours ; chaque mesure, chaque note, chaque mouvement lui était devenu si familier qu’il n’avait plus à réfléchir avant d’agir. »
C’est surtout à Mortimer – la Mort – et à la Destinée qu’aura affaire George Fatum, à travers sa rencontre avec une jeune humaine dont il tombera éperduement amoureux. On le devine : il s’agit, comme on dit à présent, du « remake » contemporain de légendes antiques, puis classiques. Que les dieux apparaissent dès lors comme de simples reflets des humains, avec les mêmes qualités et – surtout – les mêmes faiblesses, les mêmes défauts, est dès lors inéluctable. Et lorsque l’on veut transgresser la règle, se rapprocher trop des humains, le risque est grand de mal finir à son tour.
« On ne peut pas lutter contre l’univers, Sergio. Il se corrige de lui-même, s’épanouit de lui-même et sert ses propres intérêts. Tôt où tard, chacun finit là où il est supposé finir. »
Cette histoire d’amour et de fatalité, de divinité et d’humanité avait donc à la fois d’illustres antécédents et de solides atouts pour réussir. Hélas, de nombreux reproches sont à faire à « La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le sort ». Tout d’abord, ces flopées de dieux-allégories ne constituent jamais de divinités convaincantes. Hâtivement brossées par l’auteur, le plus souvent d’une seule phrase, avec en règle un terme emprunté à la psychopathologie pour essayer de marquer, elles n’ont hélas pas de personnalité propre, apparaissent le plus souvent pour donner une simple caution à un dialogue, puis disparaissent aussitôt. Alors qu’ils sont en charge de l’humanité entière, l’univers à travers lesquels ils se meuvent semble se résumer strictement au monde urbain américain. Si Fatum fait allusion à quelques voyages à l’étranger, on reste toujours dans les mêmes lieux : New-York, Los Angeles et quelques autres mégalopoles. Bars, restaurants, club de strip-tease, appartements, galeries commerciales, lofts luxueux des dieux (avec leurs prix en millions de dollars), cellule de dégrisement, l’univers décrit par S.G. Browne, est intégralement citadin, voué au superficiel et aux artifices. Mais il ne pouvait en être autrement : dans l’univers étrangement réducteur de S.G. Browne, dieux comme humains ne semblent guère êtres préoccupés par rien d’autre que la bouffe, le shopping, le sexe, la drogue et l’alcool. L’humour, hélas, est à la hauteur : sans finesse, et passablement répétitif. Tout apparaît comme vu par l’esprit d’un adolescent boutonneux, jusqu’à la vision de l’Histoire par Georges Fatum lui-même : on pouvait en espérer plus de la part de quelqu’un qui a deux cent cinquante mille ans au compteur.
Au lieu d’un ouvrage bondissant, inventif, plein de verve, on a donc affaire à une succession de dialogues ou de soliloques humoristiques axés sur ce que l’humain a de plus bas et de superficiel, avec nombre de remarques et de conclusions prévisibles, qui peinent à masquer la vacuité d’un récit dont l’intrigue ne démarre vraiment qu’après les trois cents premières pages. Des dieux passablement fun, mais pas vraiment plus intéressants que les humains dont ils s’occupent.
« Mes préférés, ce sont la figurine Super Dieu Tout-Puissant avec sa Cape d’invulnérabilité sanctifiée et son fusil d’assaut AK-47 Kalashnikov Kingdom Come, et le bonhomme Jésus Combattant Deluxe livré avec Messie-ninja qui lance des clous et fusil à pompe Croix-de-la-Mort-qui-tue. »
En abordant auparavant le récit de zombies avec « Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l’amour », S.G. Browne avait réussi son coup. Le roman, avec son fort côté sociologique, se plaçait sur le dessus du panier. Tout en restant accessible au grand public, et sans verser dans les habituels excès gore, il était parvenu à porter ce genre à sa maturité. « La Destinée, la Mort et moi », apparaît très nettement en deça. On s’interroge donc sur les intentions de l’auteur, qui peut-être a cherché à toucher un public trop vaste. On peut trouver ici et là quelques aspects intéressants, le roman peut être lu comme une caricature des mondes de l’entreprise ou de l’administration – si l’on veut. On trouvera également dans « La Destinée, la Mort et moi » une charge contre la société de consommation. Répétée mais peu inspirée, sans véritable faconde, comme s’il s’agissait d’un exercice imposé.
Nous le disions plus haut : ces histoires de Dieux ou de concepts divins descendus de l’Olympe ou d’ailleurs pour se mêler aux humains remontent à l’Antiquité, mais les récits contemporains n’en sont pas avares, non plus. Citons, parmi les plus récents, « American Gods » de Neil Gaiman, ou les excellentes « Tangences divines » de Frank Ferric. Quant au fait qu’un Dieu fricote avec une simple mortelle, ou même en tombe amoureux, cela remonte à l’Antiquité également.
Avec « La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le sort », S.G. Browne tente l’aventure sans vraiment y parvenir. Mais l’exercice n’était évidemment pas facile : avant lui, et avec « Vegas Mytho » Christophe Lambert s’y était lui aussi partiellement cassé les dents (http://www.emaginarock.fr/vegas-mytho-christophe-lambert/). Si nous n’avons pas ici affaire à un S.G. Browne au sommet de sa forme, reconnaissons à « La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le sort » son caractère distrayant : pour un livre publié au mois d’août, cela fait un bon roman de plage, qui devrait permettre à plus d’un vacancier de bronzer quelques heures sans épuiser ses neurones.
S.G. Browne
La Destinée, la Mort et moi, comment j’ai conjuré le sort
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Morgane Saysana
Couverture : Sean Habig
Editions Agullo
Les éditions Agullo sur eMaginarock :
http://www.emaginarock.fr/les-editions-agullo-prennent-leur-envol/