(Ici-Bas)
Une ville basse enveloppée d’un brouillard opaque — la nox — plongée dans l’obscurité.
Des hommes contraints de marcher ou de pédaler sans cesse pour produire de la lumière.
Une société codifiée, régentée par une milice toute puissante.
Des amis d’enfance qui s’engage dans des camps adverses.
Un héros qui se bat pour épouser celle qu’il aime.
Une jeune fille qui vit dans la lumière, prête à tout pour retrouver la femme qui l’a élevée.
(Ailleurs)
Un héros condamné aux travaux forcés dans la forêt pourrissante, dont nul n’a jamais pu s’échapper.
Une jeune fille enceinte qui attend le retour du garçon qu’elle aime et se voit proposer un effroyable marché.
Deux amis devenus ennemis à qui il a manqué le temps de s’expliquer.
Une adolescente de la ville haute qui devient agent double contre son gré.
Des personnages qui se croisent sans toujours se reconnaître et, tout au bout du chemin, l’espoir d’une vie meilleure…
Il y a quelques années, Yves Grevet avait — en une trilogie — inscrit définitivement son nom parmi les auteurs dits “jeunesse” qui forcent le respect, si ce n’est l’admiration. Meto était une œuvre brillante, un appel à la conscience individuelle, une dénonciation de la tyrannie sous toutes ses formes destinée aux adolescents du monde entier. Le revoilà donc dans la politique-fiction avec Nox, après avoir écrit d’autres ouvrages que je vous invite à découvrir, d’ailleurs. Ceux qui suivent Rêves-et-Cris savent déjà tout le bien que j’en pense. Avec Meto, j’avais cru qu’Yves Grevet avait signé son chef d’œuvre. Je faisais une erreur: il avait écrit un chef d’œuvre. Mais, à ce jour, son chef d’œuvre s’intitule Nox.
Nox est un ouvrage à ce point maîtrisé qu’il en est éblouissant. L’histoire, intelligente, est riche des valeurs qui font tout le sel d’Yves Grevet: humanisme, solidarité, réalisme, cruauté et espoir. Le contexte, construit autour des conséquences d’une catastrophe écologique, n’est pas sans rappeler vaguement l’environnement malade déjà abordé dans Meto. C’est une donnée essentielle de l’œuvre politique d’Yves Grevet: la Terre malade, loin de rassembler les hommes, va les cliver de façon encore plus marquée.
Dans Nox, les mondes d’en-haut et d’en-bas apparaissent comme ceux des riches et des pauvres. Même si cette idée est indéniablement présente, elle est un peu plus complexe que cela: d’une part parce que les rapports existent entre les deux “mondes” et que le pouvoir de ceux d’en-haut ne s’exerce qu’avec la complicité de certains individus d’en-bas, et d’autre part, parce que la porosité de ces mondes — la capacité pour un individu d’en-bas de parvenir à s’établir dans le monde d’en-haut — assure une collaboration sans faille d’individus qui, même s’ils sont issus du monde d’en-bas et en connaissent les horreurs, acceptent finalement de valider ces excès pour assurer l’avenir de leur famille.
Et cette subtilité nous plonge fondamentalement dans le cœur de l’ouvrage. Car à l’appel à la conscience individuelle et la solidarité de Meto répond ici le libre-arbitre. Dans Nox, il n’y a pas à proprement parler de méchants: il n’y a que des individus qui, pour des raisons qui leur sont propres — et qui nous sont clairement exposés dans la plupart des cas — font un choix et l’assument. Il n’y a pas (ou peu) de prises de position morale dans l’œuvre: Yves Grevet ne dénonce pas, il constate. Il ne critique pas, il explique. Il ne guide pas notre façon de penser, il nous invite à réfléchir sur les choix que l’on fait.
Et il le fait avec un talent inouï. Il faut impliquer le lecteur: le récit est à la première personne. Il faut qu’il ait de l’empathie avec les personnages: les narrateurs changent régulièrement, toujours à la première personne. Il faut faire ressentir l’urgence, le déroulement incontrôlable de l’histoire: tout est au présent. Le texte doit s’adresser à tout le monde: la structure syntaxique est limpide, claire, immédiate. Rarement j’aurai lu, ces dernières années, un ouvrage qui parvient autant à affirmer l’équilibre entre la forme et le fond.
Et pour ceux qui ergoteraient sur les “coïncidences” heureuses présentes dans l’ouvrage, il s’agit d’une attaque inepte: Nox est une fable, un conte qui repose en partie, justement, sur les péripéties qui l’animent et qui lui donnent sa patine. Et on soulignera qu’à cet effet, d’ailleurs, Nox offre une fin ouverte, comme Meto l’avait proposée auparavant.
Nox fait indéniablement partie de ces ouvrages incontournables. La question n’est pas de savoir s’il faut le lire: c’est indispensable. La question est de savoir ce que l’on va en retenir: une belle histoire, pleine d’humanisme et de poésie, ou un hymne au libre-arbitre, un criant appel à prendre conscience des choix que la vie nous offre et de notre responsabilité dans l’existence que l’on mène.
J’ai toujours admiré le rythme musical des écrits de Charlotte Bousquet, la poésie de Nathalie Dau, la fantaisie et la richesse de Fabien Clavel, la beauté technique et formelle de Xavier Mauméjean. Mes mentors ont un nouveau compagnon: Yves Grevet; lui seul sait allier limpidité littéraire et finesse psychologique avec autant de justesse. Là où certains mènent leurs lecteurs par le bout du nez, leur indiquant ce qu’ils doivent penser et le niveau de tolérance qu’on attend d’eux, Yves Grevet nous met face à nos propres choix, à notre devoir d’assumer notre vie.
Nox est une claque pour qui sait le lire. Rarement un roman jeunesse aura su autant mettre l’Homme en face de son ombre, lui imposer de regarder son reflet et d’assumer ce qu’il voit dans le miroir. C’est une leçon importante, et pour les ados et pour les adultes. Passer à côté de ce chef d’œuvre, pour les passionnés que nous sommes, est un oubli coupable.
Pour terminer, juste une remarque: je lis beaucoup, bien entendu, et je n’ai pas pour habitude de relire deux fois un roman — souvent par manque de temps. Hormis Jean Giono et Henri James, je ne relis rien. Mais, pour Nox, je sais aujourd’hui que je vais faire une exception. Je vais le relire, c’est une certitude, mais j’espère que, d’ici là, vous l’aurez tous lu.
Yves Grevet
Nox (2 tomes : Ici-bas, Ailleurs)
Syros
16,90 € chaque tome