La suite attendue du diptyque Le Vertige des Origines est enfin parue! Au menu signé Michel Borderie, Vignac et Johann Bodin-Yoz, éblouissement graphique et récit définitivement fantastique échappant à toutes les catégories.
L’aigle géant transportant la prison d’Eschiolan termine sa course dans le pays inhospitalier d’Inyéras. A bout de forces l’oiseau laisse son prisonnier s’extraire de sa geôle. Durant quelques instants, les deux êtres cherchent à s’affronter mais leur évidente complicité forcée dans l’exil impose la nécessité d’une entraide. Lorsque les créatures régnant en maîtres sur Inyéras surgissent, Eschiolan n’a aucune chance. Déchu de son statut divin, sans plus aucun pouvoir, l’exilé choisit une autre voie, il négocie avec les Liorgs, cherchant et trouvant à les séduire par de belles promesses de conquête sur les Humains et sur l’Empyrée lui-même. De son côté, sa soeur, Alménia, engage toutes ses forces et sa volonté pour obtenir de leur père le lieu d’exil de son frère. Lorsqu’enfin elle retrouve Eschiolan, elle ignore à quel point il a changé. Aveuglée par l’amour fraternel, Alménia va donner à Eschiolan les moyens de changer les mondes en un chaos unique, d’amener la guerre et la destruction depuis la Terre jusqu’à l’Empyrée…
Le premier tome posait le monde divin de l’Empyrée, ses acteurs, ses enjeux et surtout le coeur du récit, l’affrontement entre Clérion le souverain des dieux et son fils Eschiolan. A travers un chapitre conté sous forme de fable, quelques indices étaient semés, les noms d’autres acteurs de cette histoire qui trouvent leur moment de gloire et surtout leur rôle dans ce tome deux.
Ainsi la personnalité d’Alménia restée en retrait occupe la première place de cette suite. Sa quête pour retrouver la trace de son frère exilé affaiblit le pouvoir de leur père sur l’Empyrée dont le trône est l’objet de toutes les convoitises depuis le sorcier Scharim et les Princes jusqu’à Ménoras et Eschiolan lui-même.
La transformation radicale que subit Eschiolan autrefois si désireux de libérer les Humains des caprices divins de l’Empyrée qu’il en fut banni par son propre père est surprenante. C’est un beau risque pris par Vignac que de faire de son héros un être aveuglé par le désir de revanche et une rancoeur absolus devant lesquels tout doit plier et rompre. Choix qui met en valeur le rôle d’Alménia.
Autre pari scénaristique, la disparition assumée des personnages qui succombent au cours de cette lutte de pouvoir, remplacés par ceux qui restaient en retrait dans la première partie, Sharya et Ki’en. Ces deux protagonistes qui n’apparaissaient que dans la fable contée du tome 1 deviennent ici des personnages qui influent sur le récit. Ils viendront tous deux soutenir Alménia dans ses actions, plus encore lorsqu’elle souhaitera inverser le cours désespéré des évènements tel qu’elle a contribué à le créer.
La toute fin de cette histoire laisse un rien perplexe. Le devenir ultime de Clérion et Eschiolan paraît un peu facile au regard de l’ensemble du récit, de la complexité mythologique et fantastique mise en place mais le destin d’Alménia, sorte de rédemption obligatoire, ouvre sur un champ de possibles et d’inspirations si vastes qu’il laisse songeur une fois la dernière page tournée.
Le graphisme de Michel Borderie et Johann Bodin – Yoz sublime le récit. Chacun a mis ses chapitres en images mais, contrairement au premier album, ils proposent des plages de travail commun sur les chapitres VII et VIII sans oublier la couverture. Bien que leurs styles soient visuellement distincts, leur association dans ce diptyque, ce tome deux et dans les mêmes pages, coule de source, illustrant idéalement l’univers fantastique écrit par Vignac. Personnages puissants, au caractère fort, au physique céleste ou monstrueux, aux actes marquants, évoluant dans des mondes aussi divers que la Terre, les confins hostiles d’Inyéras, le sublime éthéré de l’Empyrée, les champs de batailles incendiés par les dragons et les vaisseaux de guerre de Ménoras… La virtuosité des deux artistes se mêle aux évènements contés.
La flamboyance scénique de Yoz favorisant de larges plans aux teintes nuancées mais résolument claires baignées de lumière ou foncées de rouge sert les épisodes se déroulant dans l’Empyrée. La minutie des portraits expressifs, l’alternance de grands plans posant une atmosphère, un paysage, avec les gros plans sur les visages des personnages ; l’union de premiers plans en négatif de noir et blanc sur fond coloré, d’éléments travaillés à l’encre ou au crayon, Michel Borderie maîtrise la diversité de son art et prend plaisir à marier les genres.
Responsable de la conception graphique, Michel Borderie n’a rien laissé au hasard. Depuis le choix typographique jusqu’à la mise en page, la force du récit et de son illustration passe ici par la subtile répartition des mots et des images qui lisse l’ensemble en un tout cohérent. La qualité papier, d’impression et la couverture pelliculage mate et vernis brillant affirment que rien n’est laissé de côté pour un prix de vente bien raisonnable. La participation éditoriale de Spootnik et Arcantès offre une nouvelle fois un ouvrage digne de ses créateurs et de leur public.
En une phrase, Le Vertige des Origines T.2 est un bonheur sur le fond comme sur la forme. Les romans graphiques restent rares dans le paysage français si viscéralement attaché au classicisme de la BD, mais les travaux du fin trio imposent le genre avec une évidence assumée largement méritée.
Le Vertige des Origines T.2 – Borderie – Vignac – Yoz
Spootnik – Arcantès
Collection Images de Légende
Septembre 2014
20 €