Fleur de Purge

Le changement dans la continuité

Fleur de Purge est le troisième supplément du jeu Wastburg – un décor de jeu crapule-fantasy tiré du roman éponyme de Cédric Ferrand (qui en signa lui-même l’adaptation rôliste chez les XII Singes), le tout motorisé par un système simple au service de la narration.

Si le livre de base était un pack renfermant trois livrets et l’écran de jeu (un modèle repris depuis avec bonheur par Tenebrae chez le même éditeur), le premier supplément fut un livret de 32 pages et le deuxième un livret de 48 pages – agrafés dans les deux cas. Fleur de Purge est quant à lui un livre de 64 pages à dos carré. On le voit, la gamme est en perpétuelle évolution pour coller au mieux aux thèmes abordés et aux demandes des lecteurs. En espérant que cela ne soit pas aussi le symptôme d’un jeu qui se cherche ou peine encore à trouver son public – ce qui, au vu de sa qualité globale, serait dommage.

Prison, maton

Mais foin de ces considérations éditoriales ! Et voyons donc de quoi parle Fleur de Purge.

Dans la bonne cité de Wastburg, la Purge est la geôle où sont envoyés les criminels de tout poil. Regroupant une prison pour hommes, pour femmes et une maison de correction pour les enfants, ce bâtiment domine son quartier et a une grande influence sur le reste de la ville. En effet, c’est en son sein que diverses « modes » prennent naissance avant de se répandre Dehors (avec un « d » majuscule).

Dans Wastburg, les joueurs interprètent des membres de la garde chargés de combattre le crime, d’enquêter, de coffrer voleurs et assassins, etc. La Purge est donc un élément très présent de leur vie au service de la loi et l’ordre ! Fleur de Purge propose d’ailleurs plusieurs façons d’utiliser ce décor dans ses scénarios. Ainsi, si les joueurs sont des gardoches de l’un des quartiers de la cité, ils pourront parfois se rendre à la prison – afin d’interroger un détenu, de continuer leur enquête, de consulter de vieux dossiers, etc. Mais là où le supplément prend tout son sel, c’est en permettant de jouer des purgeards : c’est à dire les gardiens de la prison.

Inutile de le cacher : si à Wastburg les gardoches ne sont déjà pas bien considérés, les purgeards sont quant à eux tout en bas de la hiérarchie des gardiens de la paix. Être muté à la Purge, c’est plus une punition qu’une promotion. L’endroit est sale et mal famé (forcément !) et on y côtoie la lie de la société. À se demander si au final, les purgeards ne sont pas les réels condamnés dans cette prison sinistre…

Haute sécurité

Fleur de Purge favorise l’immersion du lecteur en étant rédigé d’un point de vue littéraire : le texte retranscrit une présentation de la prison à un jeune garde (qui hélas pour lui devient dans la foulée un prisonnier !) par les vétérans des lieux qui lui en expliquent toutes les règles. L’auteur Gauthier Lion parvient à émuler de belle façon la langue très fleurie du jeu, directement héritée du roman qui en est l’origine. Cela assure une parfaite cohésion éditoriale qui parcourt chaque ouvrage de la gamme depuis l’œuvre de base.

Après une brève introduction, on entame la visite de la Purge avec le Vieux Kazenik qui nous explique les diverses coutumes de la prison. La tradition des tatouages carcéraux (qui racontent l’histoire du prisonnier en relatant ses divers crimes) est passionnante, propice à des opportunités de jeu nombreuses et variées (venir à la Purge pour se faire « décoder » la peau d’un criminel par exemple – sachant que les purgeards ne rendent pas ce service gratuitement…) et permettant d’explorer le passé de la ville (jadis, les prisonniers étaient marqués au fer rouge mais un lobbying intensif de la part des tatoueurs changea la loi). Puis on continue avec Marek qui se charge d’expliquer par le menu le mode de vie des prisonniers : hiérarchie au sein de la Purge, configuration des lieux, punitions pour les fauteurs de trouble, nourriture, médecine, loisirs, etc. Ces textes sont bourrés d’anecdotes sur Wastburg tandis que les pages sont émaillées d’encarts informatifs – fournissant notamment les caractéristiques techniques des divers gaillards évoqués.

Quatre pages de lexique permettent de se familiariser avec le langage de la Purge : le sabir est plein de termes imagés qu’il vaut mieux connaître pour comprendre tout ce qui se passe entre les murs de la prison – d’autant que pas mal de criminels continuent à utiliser ce parler une fois Dehors, par habitude et pour ne pas se faire comprendre du reste de la populace.

Enfin, un dense scénario – « On est toujours le Loritain de quelqu’un » – permet de mettre en branle les nombreuses pistes fournies tout au long du supplément. Bien organisée et riche en évènements et pistes diverses, cette aventure occupera la table de jeu pendant deux ou trois séances, aisément. On retrouve là la grande force de Wastburg : proposer tout au long de sa gamme des scénarios nombreux et variés.

 Libéré sur parole

Fleur de Purge ne démérite donc pas au milieu des autres suppléments pour Wastburg.

Très bien écrit – et dans le ton de l’œuvre originelle –, traitant d’un sujet intéressant et propice à changer de l’ordinaire des gardoches, bourrés d’idées à exploiter et d’anecdotes qui donnent du corps à la ville, ce livre mérite assurément de rejoindre le reste de la gamme sur les étagères des rôlistes déjà conquis par le jeu. D’autant qu’il leur fournit un scénario à même de les occuper un bon moment – prouvant que la Purge est un moteur d’aventures d’une grande richesse qui méritait bien son propre guide !

 

Fleur de Purge

Un supplément au jeu Wastburg édité par les XII Singes

Livret de 64 pages

16 € 

 

Trois questions à Gauthier Lion, auteur de Fleur de Purge

 

eMaginarock (M) : Tu es donc l’auteur du dernier supplément Wastburg. Quel crime odieux as-tu commis pour subir une telle condamnation ?

 Gauthier Lion (GT) : Tout simplement en demandant ! La lecture du roman m’avait bien accroché sur la Purge et sur le système de tatouages judiciaires. Ça se rapproche de pas mal de deux de mes marottes (la prison et le tatouage) que je voulais utiliser depuis longtemps en jeu de rôle. J’ai discuté avec Cédric Ferrand de la possibilité de faire une aide de jeu et il m’a rétorqué « Et pourquoi pas une extension ? » J’ai dit banco. Ça m’a permis de rentabiliser toutes mes lectures honteuses sur le sujet : depuis les Russian Tattoo Encylopedia, jusqu’à  bas-fonds du crime et tatouages de William Caruchet en passant par les séries OZ ou Bad Girls, les documentaires l’Enfer des Prisons » ou « la Marque de Caïn  (d’Alix Lambert).

Le titre est venu rapidement : c’est un clin d’œil aux fleurs de bagne, les tatouages de taulards. J’ai donc commencé par « Dans la peau », la partie sur le tatouage pénal. C’était le point de départ de l’extension, le plus facile à se représenter, finalement. J’ai voulu élargir un peu la palette des tatoués possible en décrivant aussi les autres populations qui en font usage dans le monde de Wastburg : soldats, prostituées, marins, anarchistes, Bernois, Loritains… Ça ne manque pas. Et ça va bien au-delà de la simple marque judiciaire : il y a ceux pour l’appartenance à une bande, des symboles de rang, des tatouages de chance, les intouchables, etc. Le but est vraiment de créer du jeu : trouver un macchabée couvert de fusains nécessite souvent d’aller voir un purgeard pour se faire décrypter les différentes marques et savoir à qui on a affaire. Dans Wastburg, ça peut être l’objectif d’une session de jeu, l’occasion de glaner des contacts ou des alliés, etc.

La description de la Purge ensuite, pour élargir un peu la présentation qui en est faite dans le roman et qui se limite à la section des hommes. Ça permet de rendre le voyage de gardes du Dehors plus vivant. On visite la section des femmes (dans le scénario), la maison de correction, l’infirmerie, les salles d’interrogatoire, etc. Le sabir enfin, pour rendre tout ça un peu plus vivant. J’ai tenté de faire ressortir en filigrane l’ambiance du quartier aussi. Le scénario, enfin, est un peu touffu mais je voulais présenter pas mal des éléments de l’extension pour permettre aux meneurs de jeu d’en utiliser directement la plupart. Il présente trois affaires qui se déroulent en parallèle et font intervenir pas mal de PNJ. Je l’ai fait jouer sur quatre séances et ça avait très bien marché, à ma table en tout cas. Mais je vais être honnête : je ne suis pas un spécialiste de la rédaction de scénario. C’est même un exercice que je trouve douloureux. J’espère vraiment que c’est clair. Si les meneurs de jeu ont des questions, qu’ils n’hésitent pas à passer sur le forum du jeu sur le SDEN ou sur Casus NO : je suis disponible pour le service après-vente et donner précisions ou explications.

M : Fleur de Purge émule excellemment le style et la verve du roman initial et des précédents opus de la gamme. C’est grâce aux leçons dispensées par l’îlotier Ferrand ?

GT : Les autres extensions ajoutaient des scénarios et des aides de jeu techniques. J’avais envie de rajouter à l’univers et, surtout, de détailler les principaux antagonistes des personnages : la lie de la société, ses codes, ses us et coutumes. Je file aussi plein de billes en plus du thème : comment aller enquêter dans d’autres quartiers, les ligues de vertus, les flétrisseurs, des groupuscules politiques, les postiers, les intronisations dans les bandes, le conseil des anciens, le couloir de la mort, les libellules, la répression loritaine et je suis sûr que j’en oublie.

Pour ceux que le thème prison / tatouage ne botte pas trop, il faut aussi se rappeler qu’en tant que gardoche, la Purge est un lieu de passage obligé – même sans y bosser. Tu y emmènes les prévenus, tu peux « escorter » des dossiers entre le théâtre et les archives de la Purge, tu vas visiter les purgeards pour avoir des informations sur une souillure qui y séjourne régulièrement ou sur des fusains inconnus, tu vas interroger des gars déjà en taule sur des affaires en cours, tu peux y avoir de la famille (un gosse ? ta sœur ?), etc. Ce n’est pas juste la fin de la course pour les graines de purge, ce serait trop simple.

Concernant la manière dont c’est rédigé, le ton a vite glissé vers le romancé pour éviter l’ennuyeux catalogue à la Prévert. Je trouvais ça plus vivant et ça permettait de faire intervenir directement des PNJ faciles à recaser en jeu par les meneurs. En terme de boulot, ça a été très agréable avec pas mal d’aller-retours entre moi, Sébastien Célerin des XII Singes, Cédric Ferrand et Côme Martin. Honnêtement, il y a une énorme différence de qualité entre mon brouillon et le texte final, notamment sur le scénario qui a gagné en clarté à chaque passage. Un certain podcast rôliste consacrait récemment une émission au rôle de l’éditeur : cette extension est l’exemple parfait de son intérêt. Et, à titre personnel, en tant que rôliste, j’ai réalisé mon geekgasm ultime : mes PNJ sont illustrés par Rolland Barthélémy !

M : Tu comptes faire le revenant, que ce soit à Wastburg ou ailleurs ?

GT : Alors sur Wastburg j’aimerais vraiment bien (en plus j’ai des idées pour une extension sur le théâtre / tribunal) mais la gamme me semble partie pour être collégiale donc je ne suis pas sûr d’y refaire une apparition. Il me semble que j’ai déjà dit que j’aimerais vraiment bien, non ? Donc n’hésitez pas à harceler les XII Singes et Cédric Ferrand pour moi.

Sinon cette année, j’ai bouclé pas mal de projets : la compilation de Lady Blackbird pour les nuls, la traduction du deuxième chapitre de Lady Blackbird, la rédaction du troisième chapitre (« Au-delà des Tréfonds »), le harcèlement de Rahyl Zéphyr pour qu’il écrive le quatrième chapitre (« la Marque noire »). Le tout est disponible gratuitement sur le site des Ecuries d’Augias. J’ai aussi mis un point final à la série des Guides du Soudard (disponible sur le blog des Gobz’Ink, le studio d’auteurs de jeu dans lequel j’officie : http://www.shamzam.net/blog/nos-jeux-de-roles/merkhos/), des extensions pour le dK² dans le mini-univers de Merkhos, la cité des mercenaires, de John Grümph.

Et la transition est magnifique (un petit auto-satisfecit ne fait de mal à personne) car, en autres projets, j’en ai un qui fermente depuis quelques temps et sur lequel je travaille avec Whisperer, qui m’avait filé un énorme coup de main sur le troisième Guide du Soudard. Ce sera à base de compagnie de mercenaires, avec un univers et un système dédié. On en est à finir la présentation du jeu et le système avant de lancer des playtests mais je viens de déménager et de changer de boulot, donc c’est un peu en standby pour le moment. En tout cas, j’ai hâte de m’y remettre.

 

Propos recueillis par Romain d’Huissier

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