Les contes sous toutes leurs formes ! – 3-De la page à l’écran

Déclamé au coin du feu des siècles durant, le conte est devenu un genre littéraire immortalisé par de grandes plumes. Le temps a passé sans qu’il ne soit exprimé autrement que par les mots et la voix. Lorsque quelques bons génies un rien emplis de folie ont décidé que sa place était autant dans les mots que dans l’image, l’essence du conte changea. Source privilégiée de l’illustration fantastique puis du dessin animé, rares furent les audacieux capables de créer des passerelles menant le conte au film. Mais son esprit a enflammé la créativité, offrant ses merveilles à plus d’une vision.

 Aujourd’hui comme autrefois, le conte est multiple, il a conquis toutes les formes possibles d’expression contemporaine et brisé toutes les frontières.

 

3     LES CONTES : DE LA PAGE À L’ÉCRAN

(Clémentine et Arwen)

 La Belle et la Bête (1946) – COCTEAU

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Dans la campagne française, un marchand ruiné parvient difficilement à nourrir ses quatre enfants. La cadette, Belle, n’a rien de commun avec ses sœurs méchantes, paresseuses et avides. Lors de son départ pour un voyage qui pourrait le tirer d’affaire, le père promet de rapporter des présents à ses enfants, mais seule Belle ne demande rien qui s’achète, une simple rose ferait son bonheur. Malheureusement, il s’égare en forêt et n’est que trop heureux de s’abriter dans un château semble-t-il désert. Après y avoir soupé et dormi, il s’apprête à repartir quand il voit des rosiers. Pensant à Belle, il cueille une fleur et se trouve nez à nez avec un être mi-homme mi-bête qui exige qu’il meure pour réparer cette offense. Mais le marchand le supplie, que deviendront ses filles sans lui ? La Bête le somme alors de lui donner une de ses filles s’il veut échapper à la mort. Désemparé, l’homme accepte. Une fois rentré chez lui, il demande à ses filles de l’aider à honorer sa parole, mais seule Belle accepte de le sauver et se rend chez la Bête. Dans le château magique de son hôte, la jeune fille fait l’objet d’attentions inédites alors qu’elle était plus ou moins la bonne à tout faire de ses sœurs. Bien qu’effrayée par la Bête, Belle va découvrir peu à peu que son apparence cache un lourd secret et surtout le cœur d’un homme qui ne veut qu’aimer et être aimé en retour.

Inoubliable chef d’œuvre du maître Cocteau, La Belle et la Bête fut le premier film à sublimer le conte pour le cinéma. Fort de l’interprétation de Jean Marais et Josette Day, il présente une mise en scène exprimant les prémices de l’art de Cocteau dans lequel l’onirisme et la poésie devinrent les maîtres mots. Les décors du château magique, riches, féériques, adoucis par une photographie idéalement contrastée sur la pellicule en noir et blanc d’après-guerre n’ont d’égal que le soin apporté aux costumes créés par les maisons Cardin et Paquin, deux musts de l’époque. Le maquillage de Jean Marais en bête, après plusieurs tentatives maladroites, fut inspiré par le propre chien de Cocteau ! Outre la beauté de ce maquillage et celle de Josette Day, les transformations des domestiques du château magique en objets animés de bras et jambes reflètent parfaitement l’essence du conte de Perrault.

La touche personnelle de Cocteau, devenue propre à cette version filmée, est de donner corps à l’imaginaire qui naît dans l’esprit du lecteur. Le château est le monde du rêve de par sa magie, sa beauté, sa richesse, l’amour qui anime la Bête et finit par toucher la Belle tandis que la maison de la famille de Belle est le monde réel de par sa pauvreté, l’avidité et la méchanceté des sœurs de l’héroïne, bref son aspect purement prosaïque. À la fin du film, de même que le visage de la Bête se confond avec celui du prince qui reprend apparence humaine, la chambre de Belle au château se fond avec celle qu’elle a quitté dans la maison de son père, faisant entrer le réel dans le rêve, affirmant que l’amour qui unit désormais la Bête-prince et Belle a franchi la barrière du rêve pour devenir réalité. Jean Cocteau a réalisé un chef-d’œuvre en tous points, mais, plus encore, il a su transposer l’esprit du conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve sans jamais en trahir ni en modifier une ligne.

HOOK (1991) – STEVEN SPIELBERG

Hook

Peter Pan a grandi, vieilli, il est devenu Peter Banning, un bon père, un bon époux et n’a plus aucune fantaisie. Il est obsédé par son travail d’avocat. À force de harcèlement familial, il accepte de se plier au traditionnel rendez-vous de Noël. Mais durant la nuit, le Capitaine Crochet, revanchard, surgit dans le ciel londonien et kidnappe les enfants de Peter. La Fée Clochette apparaît et convainc Peter de se laisser guider jusqu’au pays imaginaire pour sauver ses enfants. Crochet ne reconnaît pas son ennemi, déçu, il lui donne trois jours pour redevenir Peter Pan. Entouré des enfants qui étaient ses amis et de Clochette, Peter se retrouve peu à peu, mais la mémoire de l’enfant qu’il a été risque bien d’effacer celle de ceux qu’il est venu sauver…

Un scénario original reprenant presque tous les éléments du conte en y ajoutant une idée simple qui change tout : que serait le monde imaginaire si Peter Pan n’était plus un enfant ? Porté par les interprétations magistrales de Robin Williams et Dustin Hoffmann, Hook ou La Revanche du Capitaine Crochet éblouit les spectateurs de toutes générations par ses accents à la E.T. et autres Goonies. Décors, costumes, ambiance, tout évoque le conte de James Matthew Barrie tel que le représentent toujours les adaptations, avec un gros changement : l’enjeu pour Peter Pan n’est plus de rester un enfant et de refuser le monde des adultes personnifié par les pirates, mais de remplir son devoir vis-à-vis de sa nouvelle famille, de ses propres enfants. Contrairement au conte, ce film valorise le cheminement nécessaire de l’individu qui laisse son enfance derrière lui pour avancer, se construire par et pour les autres, d’autant plus lorsqu’il fonde une famille. La liberté individuelle s’efface devant le seul impératif humain : l’amour… Car si le conte met en scène une bande de gamins qui s’aiment beaucoup et sont prêts à tout pour s’aider les uns les autres, mais ce lien n’est rien face à la trahison ultime. Lorsqu’un de ses compagnons grandit trop, Peter Pan n’hésite jamais à briser leur amitié, voir à le tuer. La mort tient un rôle important dans le conte de J.M Barrie, mais disparaît systématiquement des adaptations connues. Et ce film ne fait pas exception.

Fidèle à une interprétation destinée à un jeune public, Hook ou La Revanche du Capitaine Crochet est avant tout un superbe divertissement à voir en famille.

Alice au Pays des Merveilles (2010) – TIM BURTON

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Alice, désormais âgée de 19 ans, retourne dans le monde fantastique qu’elle a découvert quand elle était enfant. Elle y retrouve ses amis le Lapin Blanc, Tweedledee et Tweedledum, le Loir, la Chenille, le Chat du Cheshire et, bien entendu, le Chapelier Fou. Alice s’embarque alors dans une aventure extraordinaire où elle accomplira son destin : mettre fin au règne de terreur de la redoutable Reine Rouge.

L’adaptation de Tim Burton n’a pas marqué les esprits et a été plutôt descendue par les critiques et spectateurs. Pourtant, on retrouve un peu de la folie du roman, même si le personnage d’Alice est loin d’être aussi étonnant. Mais le Chapelier Fou reste dans la veine de Caroll avec un Johnny Deep assez incroyable. La tea-party, sombre et gothique, reflète l’état d’esprit du Pays Merveilleux et l’humour décalé du texte original est respecté.

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On peut par contre reprocher à Burton son manque de profondeur, là où le roman propose un texte d’une complexité brillante. Le malheur d’Alice (la perte de son père) n’est à aucun moment exploité ce qui amoindri sa caractérisation.

De plus, là où l’Alice de Caroll se pose d’innombrables curieuses questions, l’Alice de Burton se laisse entraîner par les autres et devient l’héroïne de la Reine Blanche malgré elle. La jeune fille se laisse mener par les autres personnages du film qui finalement auraient le mérite de voir leur histoire développée (comme le Lièvre).

Le passage avec Absolem, interprété par le grandiose Alan Rickman, est très vite expédié pour privilégier une course-poursuite et donc de l’action au lieu de rester sur l’étrangeté de cette scène. Dommage.

Absolem

La Reine de Cœur est interprétée par une Helen Bonham Carter toujours aussi en forme qui, même si son interprétation de ce personnage dérangé est dans le ton, a tendance à en faire un peu trop.

reine rouge

Finalement, le Alice de Burton s’apprécie plus en termes d’images (avec de superbes concepts art et de brillantes références british !) que de scénario puisque le mélange d’Alice au Pays des Merveilles et De l’autre côté du miroir n’est pas toujours maîtrisé et les fidèles du conte peuvent s’y perdre. Surtout, on peut comprendre pourquoi tant d’afficionados de Caroll n’ont pas retrouvé dans ce film tout en paillette, la patte décalée et les jeux linguistiques des romans.

MALÉFIQUE (2014) – Robert Stromberg

Maléfique

Maléfique est une belle jeune femme au cœur pur menant une vie idyllique au sein d’une paisible forêt dans un royaume où règnent le bonheur et l’harmonie. Un jour, une armée d’envahisseurs menace les frontières du pays et Maléfique s’élève en féroce protectrice de cette terre. Dans cette lutte acharnée, une personne en qui elle avait foi va la trahir, déclenchant en elle une souffrance à nulle autre pareille qui va petit à petit transformer son cœur pur en un cœur de pierre.

Bien décidée à se venger, elle s’engage dans une bataille épique avec le successeur du roi, jetant une terrible malédiction sur sa fille qui vient de naître, Aurore. Mais lorsque l’enfant grandit, Maléfique se rend compte que la petite princesse détient la clé de la paix du royaume et peut-être aussi celle de sa propre rédemption…

Maléfique est une adaptation du conte de La Belle au Bois Dormant, non pas issue du conte de Perrault, mais de celui des frères Grimm publié en 1812.

Maléfique a tous les attributs de la Fée Carabosse, fée marraine souvent laide et vieille jamais invitée par le couple royal pour bénir leur princesse. Ainsi, son don devient une malédiction à laquelle l’enfant devra faire face à l’âge de 16 ans.

Dans cette nouvelle adaptation de Disney, c’est donc la vilaine fée qui se retrouve au cœur de l’intrigue. On sera étonné de voir que le studio est allé jusqu’au bout et la présence d’Aurore reste donc anecdotique. L’histoire se concentre sur l’évolution de cette fée protectrice de la nature, trahie par les hommes.

Maléfice

Le film reprend les thèmes chers aux contes, notamment le rôle de la forêt, l’adolescence, mais aussi la métaphore du viol, clairement visible avec la coupe des ailes de Maléfique. La scène est d’ailleurs assez surprenante pour un Disney… Mais c’est la forêt et la nature qui ont une place prédominante dans le film. Si au début Maléfique vit harmonieusement avec elle et la protège, elle l’utilise par la suite à des fins vengeresses et guerrières afin de protéger le monde qui lui est cher. Le réalisateur a trouvé de belles perles en termes de décors merveilleux et créatures naturelles. L’esthétisme du film est assez époustouflant et apporte un souffle de fantasy à l’histoire !

décor

dragon racines

arbre

Trahie par celui dont elle était amoureuse malgré sa nature humaine, Maléfique se venge sur la princesse Aurore, transformant le Roi en un homme violent et paranoïaque, obsédé par son méfait passé. Finalement, la mauvaise fée, à l’origine Reine d’un royaume enchanté lumineux, s’attache à cette enfant qu’elle a maudite. Et de là vient toute la subtilité du film ! Certes, les graphismes de celui de 1959 sont gravés dans nos mémoires, mais Maléfique le surpasse en terme de scénario, beaucoup moins manichéen.

Les scènes avec la petite Aurore sont source de comédie, surtout quand on sait que la petite princesse est jouée par la fille d’Angelina Jolie ! Si ces séquences apportent un souffle à l’action, le reste du film est beaucoup plus sombre. Car Maléfique est une femme tourmentée, dont les actes sont finalement moins répréhensibles que ceux du Roi. L’interprétation bluffante d’Angelina Jolie nous permet de nous immerger totalement dans cet univers.

Avec Diaval, le corbeau transformé en humain, le réalisateur reprend ce personnage clef du dessin animé, mais en ajoutant une ambiguïté entre lui et Maléfique. Personnifié par Sam Riley, Diaval est une sorte de Jiminy Cricket pour Maléfique. Il la conduit petit à petit sur le chemin de la rédemption en lui prouvant son attachement à Aurore.

Diaval

Certaines scènes sont similaires à celles du dessin animé et surtout celle de la malédiction lors du banquet dans le château ; celle que tout le monde attendait !

scène connue

CONCLUSION

La fée cruelle du conte est devenue un personnage attendrissant qui, malgré une allure effrayante, séduit et présente toute la complexité des émotions humaines, tout en restant fée. Ainsi, en gardant le merveilleux à l’origine de tout conte, Disney y ajoute une touche d’humanité qui nous permet de nous retrouver dans les situations exposées. Maléfique est un film merveilleux poignant, exprimant ce que Disney sait faire de mieux, malgré la tendance désagréable du studio d’ajouter de l’humour partout où il le peut (ici avec les trois fées), dédramatisant ainsi toute situation tendue. Avec un point de vue nouveau sur le rôle de la vilaine fée, le studio semble avoir relancé le conte au cinéma…

Article écrit avec la collaboration d’Arwen

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