Déclamé au coin du feu des siècles durant, le conte est devenu un genre littéraire immortalisé par de grandes plumes. Le temps a passé sans qu’il ne soit exprimé autrement que par les mots et la voix. Lorsque quelques bons génies un rien emplis de folie ont décidé que sa place était autant dans les mots que dans l’image, l’essence du conte changea. Source privilégiée de l’illustration fantastique puis du dessin animé, rares furent les audacieux capables de créer des passerelles menant le conte au film. Mais son esprit a enflammé la créativité, offrant ses merveilles à plus d’une vision.
Aujourd’hui comme autrefois, le conte est multiple, il a conquis toutes les formes possibles d’expression contemporaine et brisé toutes les frontières.
BIENVENUE CHEZ DISNEY !
La légende Disney est indissociable du conte, source inépuisable d’inspiration pour le studio depuis ses premiers longs métrages nés dans les années 1920. Le Chat Botté et Cendrillon (un premier opus) furent les deux premiers contes mis en scène dans des réalisations en noir et blanc. Walt Disney se consacra ensuite à sa mythique petite souris pour revenir vers le conte une fois fortune faite, de quoi investir dans la réalisation de films dignes de son ambition, colorisés et respectueux des écrits.
Disney parcourut le continent européen patrie du conte, s’évertuant à retrouver le secret visuel qui ferait de ses films un rendu unique. Paysages, atmosphères, châteaux, il s’est imprégné de tout ce qu’il voyait, écoutait, lisait (il fit l’acquisition de près de 350 livres), prenant même conseil auprès des grands illustrateurs européens de contes pour enfants de l’époque (Gustaf Tenggren, Albert Hurter, Kay Nielsen) qu’il convainquit de s’associer à son grand projet : Blanche-Neige et les 7 Nains (1937). La facture exceptionnelle pour son temps, le respect de la version écrite par les frères Grimm font de ce dessin animé une légende à lui seul.
Un style était né et le studio Disney resterait associé au conte. Cependant, au fil des réalisations, les scénarii développés par le studio imposèrent un nouveau genre de conte, le conte Disney. Comme ses illustres prédécesseurs et autres sources d’inspiration esthétique, Walt Disney choisit d’embellir le conte de sorte qu’il appartienne immanquablement à la sous-famille du conte merveilleux dans lequel tout est bien qui finit bien. Si les versions Disney de Cendrillon (1950 – la version définitive) ou de La Belle au Bois Dormant (1959) adhèrent aux écrits de Charles Perrault (à quelques détails près), Alice au Pays des Merveilles (1951), Peter Pan (1953) La Petite Sirène (1989) ou encore La Belle et la Bête (1991) se réinventent.
Alice au Pays des Merveilles et Peter Pan, deux romans associés au conte de par leur thématique, apparaissent dépouillés de leurs ténèbres. Embellis par la magie des couleurs, des chansons, de la comédie, les films mettent en exergues une vie rosée, oblitérant la phobie, la mort, les conflits d’orgueil de Peter Pan comme la folie, la paranoïa, l’instinct meurtrier royal et les multiples dangers qui surprennent Alice. Cette liberté créatrice de Walt Disney lui survécut (1971) puisque les décennies filèrent au rythme des productions qui se diversifièrent, mais revinrent régulièrement vers l’adaptation de conte. La Petite Sirène semble même n’être qu’inspirée du conte d’Andersen. L’adolescente poisson qui ne visite le monde de la surface qu’une seule fois avant d’offrir sa vie en échange d’une infime chance de devenir humaine par son union avec un prince, qui souffre le martyre à chaque pas qu’elle fait avec ses jambes nées de magie noire, endure le mutisme d’une langue tranchée, souffre du rejet fraternel du prince et accepte son inévitable trépas par amour, devient sous les pinceaux Disney une rêveuse petite adolescente passant son temps à observer le monde des humains qui la fascine, amoureuse du prince, acceptant de perdre sa queue et sa voix sans douleur, devant combattre les desseins de la sorcière qui œuvre en douce pour la faire échouer par vengeance contre le roi des mers et obtenant l’amour tant convoité à force de courage. Tout le pathos et le message de l’œuvre d’Andersen passe à la trappe et plutôt deux fois qu’une… Mais le pli est pris depuis longtemps et le succès de cet opus réaffirme que le public Disney se moque bien de la quantité d’édulcorant glissée ostensiblement dans le scénario pourvu que le spectacle soit sucré (au point d’être écœurant). La Belle et la Bête enfonce le clou dignement, mais franchement. Belle n’est plus la jolie cadette sacrifiée qui tombe peu à peu amoureuse de la Bête en raison de sa bonté, des nombreuses preuves d’amour dont elle la couvre et la délivre ainsi de son malheur. Disney en fait une fille unique, un rien rebelle et ambitieuse, trop cultivée pour son temps, rêvant d’aventure et du grand amour, acceptant de sauver son père en venant vivre chez la Bête à laquelle elle tient tête et qui, aidée par les habitants du château, découvrira la nature profonde de la Bête, tombera sous son charme, la protégera et la sauvera de son sort. Les films suivants profiteront, à tort ou à raison, de dérives disnesques très similaires (Aladin le Prince des Voleurs, La Reine des Neiges…)
Certes, le message de certains contes est aujourd’hui obsolète (La Belle et la Bête prônait les valeurs du cœur au détriment du physique, mais c’était alors pour soutenir les jeunes filles face aux mariages arrangés), mais transformer à ce point les codes classiques ne relève plus de l’adaptation, mais d’une nouvelle réécriture à laquelle seul le conte, de par sa nature, peut aussi aisément être soumis.
Disney a transformé le conte originellement destiné à un public de tous âges en récit animé prioritairement voué au monde de l’enfance.
Dire qu’Alice a été édulcorée, c’est vrai. Mais dire que ça a été totalement purgé d’éléments sombres, ça l’est moins. Alice reste le Disney le plus étrange et le plus dérangeant, par son côté absurde et la cruauté de certains moments (notamment avec la reine de cœur). Pour l’anecdote, Walt Disney a d’ailleurs renié le film car il n’éprouvait pas de sympathie pour les personnages.
Bonjour et merci du commentaire et de votre attention à ce dossier. Néanmoins, je me relis et je n’ai pas utilisé le terme “totalement”… Et cela avec raison puisque je partage votre avis concernant la bizarrerie ambiante de la version Disney, pour autant, l’atmosphère générale de ce film reste légère en comparaison avec l’écrit de Lewis Carroll. Cela dit, je suis curieuse de savoir quelle est votre source quant à cette anecdote sur le ressenti de Walt Disney.
La source c’est “Disney’s Art of Animation : From Mickey Mouse to Beauty and the Beast”, dans laquelle se trouve une retranscription d’une interview de Walt Disney qui explique qu’il n’apprécie pas le projet car il n’a aucune empathie. Il a d’ailleurs refusé plusieurs versions, qu’il jugeait trop sombres.
Merci pour la référence, source fiable entre toutes!