Reprenons en introduction l’univers mis en place par Larry Correia dans Magie brute, premier volume des Chroniques du Grimnoir. Nous sommes aux Etats-Unis dans les années trente, mais ces années trente ne sont pas exactement celles que nous connaissons. L’Histoire a pris un chemin de traverse au milieu dix-neuvième siècle avec la mise en évidence de pouvoirs magiques chez les êtres humains. Le premier cas authentifié date de 1849, et, si les « actifs » sont peu nombreux, leurs capacités sont diverses : par exemple les estompeurs sont capables de traverser la matière, les bestiaux de contrôler les animaux par télépathie, les juges de discerner le mensonge de la vérité. Tesla a inventé un « rayon de la paix », équivalent uchronique de l’arme atomique, dans lequel les dirigeants américains ont placé une telle foi qu’ils sont aveugles aux visées expansionnistes du Japon, pourtant de plus en plus transparentes. Il est vrai aussi que si la crise des années trente touche le pays de plein fouet, le commerce avec le Levant, lui, demeure particulièrement lucratif.
Dans l’excellent Magie brute, roman fantaisiste, inventif et bourré d’action, nous découvrions la Confrérie du Grimnoir, chevalerie occulte rassemblant des « actifs » à même de déjouer les plans infâmes du Japon. Avec Malédiction, sa suite directe, nous retrouvons la Confrérie du Grimnoir, et notamment des personnages empruntés autant à la fiction qu’à la réalité tels que Jake Sullivan, Faye Vierra, Edgar J. Hoover, le concepteur d’armes à feu John Moses Browning, Francis Stuyvesant, et le scientifique Buckminster Fuller, aux inventions réelles duquel sont faites de nombreuses allusions. Cette confrérie occulte est ici confrontée à un problème nouveau : une conspiration gouvernementale destinée à mettre tous les « actifs » hors-la-loi.
On pourrait dès lors penser qu’il ne s’agit que de l’énième revisitation d’un thème classique, qui, depuis A la poursuite des Slans d’Alfred Elton Van Vogt jusqu’à ses déclinaisons cinématographiques contemporaines, par exemple les X-Men, met en scène les dérives racistes, discriminantes, voire fascisantes d’une Amérique qui ne parvient pas à phagocyter son passé esclavagiste ni à empêcher ses dérives politiques, et considère ceux qui sont différents comme des gens à contrôler, enfermer, ou éliminer à tout prix. Mais s’il emprunte à cette thématique, Larry Correia est trop malin pour s’y laisser enfermer ou faire trop ouvertement de son roman une œuvre à message.
Car si cette thématique apparaît bel et bien comme un des éléments constitutifs de l’intrigue, elle est surtout prétexte, comme l’ensemble du monde construit par Correia, à une succession de péripéties et de retournements de situation particulièrement spectaculaires qui fait des Chroniques du Grimnoir un équivalent romanesque des films d’action à grand spectacle, les défauts hollywoodiens en moins. Si l’inévitable malédiction de Malédiction est qu’arrivant après Magie brute, l’effet de surprise ne peut plus fonctionner de manière aussi radicale, force est d’avouer que le plaisir est intact et qu’entre poursuites, combats, confrontations avec les terribles gardes de fer de l’Impérium, manipulations retorses, inventions (on se souviendra longtemps du téléphone spirite d’Edison) et dialogues pleins d’humour, l’on avale les quatre-cent-soixante pages de ce roman sans s’ennuyer un seul instant.
En mêlant personnages réels et inventés, en inventant, comme à Moses Browning et Fuller, des destins nouveaux, en réécrivant un passé alternatif, les Chroniques du Grimnoir s’inscrivent, nous l’avions écrit dans notre chronique de Magie brute, dans une démarche steampunk. Si Malédiction semble basculer par moments dans le récit plus ouvertement fantastique, avec recours à quelques monstres et dieux anciens, la touche finale, elle, est on ne peut plus explicite : tout se termine sur la vision de formidables ballons dirigeables, emblématiques du genre s’il en est, et sur le départ des chevaliers du Grimnoir survivants vers de nouvelles aventures. Des aventures d’ores et déjà écrites qui déferleront sur les tables des librairies américaines au mois d’août prochain sous le titre de Warbound, et que les éditions L’Atalante, espérons-le, ne devraient pas être longues à traduire.
Malédiction
Chroniques du Grimnoir T2
Larry Correia
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Marie Surgers
Couverture : Vincent Chong
L’Atalante
23 €