Authentifiée pépite depuis sa sortie en salles, Akira reste un monument de l’animation japonaise, en raison de la qualité de son graphisme mais aussi et surtout par l’exceptionnelle densité de son récit.
En juillet 1988, Tokyo est soufflée par une explosion d’origine inconnue. Nombre de pays alliés y voient une attaque ennemie et les évènements s’enchaînent vite : la troisième guerre mondiale éclate, détruisant nombre de grandes cités de par le monde et avec elles, des millions de vies. Les décennies passent et la reconstruction tente d’effacer les traumatismes. Tokyo a été rebâtie et, en 2019, elle porte le nom pompeux de Neo-Tokyo. Plus grande encore qu’autrefois, la capitale est néanmoins soumise à la corruption des puissants et au désoeuvrement d’une partie de sa population, emmenée par une jeunesse qui ne connaît que ce nouveau monde. Orphelins, drogués, voyous, les plus audacieux trompent la mort toutes les nuits lors de courses poursuites à moto, que ce soit entre eux ou avec les forces de l’ordre. Une nuit, Tetsuo, membre d’une bande, est ainsi gravement accidenté. Malgré l’intervention de ses amis, il tombe alors aux mains de militaires qui ont autre chose en tête que de le soigner. Cobaye malgré lui, Tetsuo est soumis à des tests visant à produire par la suite des super soldats dotés de pouvoirs psychiques tels que la télépathie, la télékinésie. En dépit de la douleur, Tetsuo use inconsciemment de ses nouveaux dons et parvient à s’évader, emmenant avec lui un autre prisonnier de l’infernale machine de guerre secrète, un tout jeune garçon nommé Akira. De retour parmi les siens, Tetsuo est incapable de leur expliquer ses tourments mais nul ne peut ignorer qu’il a changé : haineux, enragé, colérique, désespéré, il ne cesse de chercher le conflit, surtout avec Kaneda, le chef de sa bande, pourtant son meilleur ami. La vérité apparaît lorsqu’il leur fait une démonstration des nouvelles capacités nées de ce que l’armée lui a infligé. Pendant un temps, Tetsuo pense que c’est un bienfait qui va lui permettre de devenir non seulement chef de bande mais aussi le dirigeant d’un nouvel ordre. Pour lui, Akira est la clé de ce monde futur. Il a des pouvoirs, il est très puissant, il pourrait être un messie. Mais lorsque son corps devient incontrôlable, Tetsuo se révèle dangereux. Il pourrait bien détruire tout ce qui l’entoure…
Bien avant Ghost in the Shell, Akira fut une bombe dans l’univers de l’animation nippone et plus encore dans le monde du cinéma : son futur à l’allure aussi charmante qu’un Terminator montrait que le Japon pouvait lui aussi présenter une vision obscure de la SF. Avec un scénario écrit par le créateur de la version papier originale, l’animé d’Akira respecte pleinement les idées et la créativité de Katsuhiro Ôtomo. La première grande qualité de ce film réside dans la force de son récit. Epique, post-apocalyptique, violent, cruel, animé par l’orgueil, les complots, les rivalités, la mégalomanie, la folie… Tous les pires moteurs de l’humanité sont réunis dans cette histoire.
Tetsuo est une sorte de stéréotype qui fonctionne bien grâce à une évolution nette mais rapide et destructrice. Adolescent sans repère, avide de reconnaissance par la violence, il est d’abord victime du système. Sorti plus fort d’un pouvoir supérieur, son besoin d’être accepté mue suivant un instinct de pure mégalomanie que rien ni personne ne peut entraver ni calmer en dehors du petit Akira. Semblables mais opposés, Tetsuo et Akira sont complémentaires comme les deux faces d’une pièce : Tetsuo est exalté par son pouvoir, incontrôlable et ignorant des conséquences de ses axes quand Akira, pourtant plus jeune, est pondéré, réfléchi, raisonnable et conscient du malheur qu’il pourrait engendrer. Entre ces deux protagonistes se dresse Kaneda, le héros basique qui cherchera à raisonner son ami avant d’entraver ses actions.
Icônes d’une jeunesse sans morale, ces trois personnages incarnent la vision de Katsuhiro Ôtomo, celle, passée, d’une population japonaise marquée par le spectre du drame nucléaire, anxieuse du futur et désabusée, celle que cachait la renaissance économique florissante. Tout le contraste est là : les trois protagonistes principaux sont les antagonistes d’une image dorée affichée par une architecture hautement technologique, brillante de mille feux, comme sortie d’un rêve éveillé. Mais derrière ce miroir faussé lutte une population abandonnée à la misère, au malaise général, suicidaire, au renforcement de l’armement à tout prix pour la prochaine fois…
L’esthétisme graphique d’Akira exploite la mise en lumière d’une cité illusoire que l’œil du visiteur trouverait splendide dont les entrailles regorgent pourtant de pauvreté, de désespoir. Quoi de plus humain qu’un enfant doté de pouvoirs incompréhensibles apparaissant, des centaines de gens souhaitent voir en lui une sorte de guide, de messie. C’est toute l’idée de Tetsuo qui ne vise malheureusement que son intérêt propre. La morale de fin, bien que différente de l’œuvre originale, insiste sur un Tetsuo détruit par son ambition. Les scènes de mutilations et mutations qu’il endure sont poignantes. La souffrance lui ferait presque oublier son appétit de puissance au profit de son cœur meurtri si l’ambition ne revenait pas au galop.
La clé de tout réside en une question : d’où provenait l’explosion qui a tout déclenché en 1988 ?
L’enchainement animé de chaque type de scène, course, bagarre, affrontements armés, manifestations de pouvoirs psychiques, réflexions, complots etc… est millimétré et va très vite. On ne s’ennuie pas, on assiste à la déchéance de Tetsuo et au combat de ses compagnons pour survivre, lui survivre, on cherche des réponses dans un scénario décidément riche. Katsuhiro Ôtomo a construit un futur sombre enveloppé de lumières tant la ville scintille. Bien que datant de la fin des années 80, Akira propose un graphisme typé qui vieillit bien grâce à une base un rien « old school » relevée par une technique vive de succession de plans, le dessins alors révolutionnaire de certains détails et accessoires tels que le design des motos (devenu mythique) qui en met plein la vue.
Le doublage de la réédition vidéo VF est de bonne qualité mais le plaisir est toujours unique en VO.
Condenser toutes les qualités et la complexité de son manga en un film de 2h ne fut pas aisé pour Katsuhiro Ôtomo mais le pari est une réussite et fait même de l’animé une œuvre à part de son homonyme de papier. Bien que nombre d’éléments prix à part rappellent l’influence de la SF occidentale, Akira peut se revendiquer d’être unique et terriblement japonais. Le drame nippon dort encore dans le cœur de son peuple et Akira ne cesse de le rappeler au spectateur.
La bande annonce VF :
Akira
Réalisation : Katsuhiro Ôtomo
Scénario : Katsuhiro Ôtomo
Studios : Akira Committee Compagny Ltd; Bandaï; Kodansha; Mairichi Broadcasting System; TMS; Sumitomo Corporation; Toho Compagny Distribution Japon : Bandai; Streamiline Pictures
Sortie salles : 1988 Japon
Version DVD remasterisée 2011
Aaaaaaah Akira !! Le Manga papier fut une claque dans la poire. Edité en France par Glénat vers la fin des années 80 en effet. D’abord tous les 15 jours par 60 pages, cette façon d’éditer s’arrêta à notre grand désappointement. Il fallut alors attendre les recueils que l’on trouve maintenant dans le commerce pour connaître la fin de ce pur chef d’œuvre ; et quelle fin ! Autant dire que j’ai dans mes étagères des collectors. Mais pour le film, si l’animation est un vrai régal, la musique et le rythme aussi, l’histoire elle n’a pas suivi. Car Akira n’apparaît qu’à la fin… sous forme de bocaux ! He non, point de petit compagnon au pouvoir incommensurable, canalisant ce pauvre Tetsuo, contrairement à ce que vous prétendez (sorry). Ce qui fait qu’au final les gens qui ne connaissent pas l’histoire d’origine, au mieux sont un peu frustré (pourquoi ce titre ?) au pire crient au scandale, n’ayant carrément rien compris (j’en connais). Quant au système politique de l’histoire il ne s’agit ni plus ni moins qu’une dictature représentée par le Colonel, cet ogre (à la personnalité plus subtile dans la BD) qui chasse les mutants en vain. D’ailleurs pourquoi les chasse-t-il ? Est-ce pour les utiliser ou plutôt pour protéger le monde contre leur force destructrice. Celle qui a déclenché l’apocalypse d’introduction de l’histoire. Car dans le livre, Akira responsable du cataclysme, repose, cryogénisé et c’est Tetsuo qui le libère imposant un nouvel ordre sur Neo-Tokyo et menacant toute la planète. En fait Otomo parle de la puissance de l’adolescence mal dégrossie et d’enfants perdus ; on ne voit aucun parents dans Akira. Ces ados sublimes sont abandonnés à eux même, s’affrontent continuellement et sont sous la menace de puissances (d’états ou terroristes) qui les dépassent. Tout cela le film essaye de nous le faire comprendre et ça marche certes, mais quand même quel gachis. En fait Otomo, désireux de réaliser, l’équivalent sur pellicule d’un périodique qui a secoué le jeune japonais de l’époque rendait les producteurs fous par la lenteur de sa production. Du coup il a du raccourcir son histoire et la fin est baclée. Mais je recommande malgré tout cette œuvre qui a donné, en même temps que Miyasaké ses lettres de noblesse au manga. Pour ceux qui ont la flemme de s’attaquer à toute la série papier, je suggère la lecture de Dômu, encore une histoire sensible et violente d’enfant dépassé par son pouvoir et encore un dessin sublime de la ville nipone, la quintessence d’Otomo.
Je rajouterai au passage qu’il a depuis sorti l’excellent Steamboy au cinéma. Encore des enfants et des pouvoirs énoooOOOooormes. Et encore un rythme et des personnages parfaits.
Merci pour ces deux compléments d’infos et les recommandations d’oeuvres qui sont en effet indispensables!! Et oui, comme souvent la version papier est plus travaillée, plus complète et franchement irremplaçable!! Je pense qu’il faut voir et lire les deux versions d’Akira, papier et film pour avoir une vision absolue de l’histoire et de sa richesse!