Un volume, cinq nouvelles, un peu plus de deux cents pages : « Les Maléfices du temps » , sous une couverture de Jimmy Kerast fleurant à la fois les regrets d’une enfance perdue et le caractère irrémédiable de l’écoulement des années, propose des récits précédemment publiés aux défuntes éditions Nuit D’Avril. Preuve, s’il en est, qu’en matière de contes fantastiques rien ne meurt jamais vraiment, et que reviviscences, résurrections et autres retours post-mortem ne sont jamais totalement à exclure.
« Les Maléfices du Temps » mêle plusieurs thématiques généralement distinctes : clown funeste, brocanteur diabolique, livre maudit, objet maléfique, sortilège. Fallait-il en faire autant pour une seule nouvelle ? Les membres du jury du prix Masterton ont manifestement considéré cette accumulation comme harmonieuse, puisqu’ils ont récompensé cette fiction il y a quelques années. Un récit qui, s’il fait surtout appel à des volontés extérieures aux protagonistes, permet aussi d’introduire les quatre nouvelles qui lui font suite en mettant en scène des personnages aux faiblesses et aux failles évidentes, prêts à basculer dans la fuite ou dans la folie.
Avec « Le temps d’aimer » valse-hésitation entre la vie et la mort, entre le cauchemar éveillé et le rêve, entre l’appel des spectres et celui de la vie, entre les hallucinations d’un corps plongé dans le coma et les drames du monde réel, le lecteur plonge dans un récit flirtant par instants avec le thème l’enterré vif, mais évoquant aussi la ghost story plus classique : une fiction dramatique qu’il conviendra d’aborder en ayant déjà abandonné tout espoir.
« A Rebrousse-Temps » se situe entre l’épouvante et le récit policier, entre le passé et le futur, dans les méandres d’un esprit victime d’un étrange dérèglement du temps, à moins que ce dérèglement ne soit généré par sa propre folie. Cas clinique psychiatrique ou évènements fantastiques, au lecteur de faire son choix.
« Les Spectres du Temps » s’appuie lui aussi sur d’illustres antécédents classiques en mêlant double, doute, culpabilité et issue tragique. Hélas, la ficelle n’est pas mince et les habitués du genre pourront se vanter d’avoir compris le déroulement à venir dès la seconde page. Les autres suivront l’enquête policière amenant à des conclusions bien évidemment difficilement acceptables pour un esprit cartésien.
Pour finir, « Le Temps fissuré » propose au lecteur un nouveau récit de folie et d’avatar, un écrivain qui oscille entre existence fictive et réelle, à moins que ces deux existences ne fassent qu’une seule, avec une fois encore une facette criminelle – un personnage se débattant dans les abîmes du temps et de la confusion, de la réécriture permanente de son destin, de la construction ou de la déconstruction de sa propre existence.
Que conclure de la lecture de ces cinq nouvelles ? Les lecteurs les plus exigeants pourront reprocher ici ou là des psychologies sommaires ou des dialogues relevant à l’occasion plus de l’échange verbal convenu de série télévisée que d’une œuvre véritablement mûrie, mais ces imperfections mises à part force est de reconnaître que la dimension cauchemardesque de ces nouvelles est ici bien présente. Car, en effet, plus encore que le temps, fil conducteur apparent de cet ensemble de récits, c’est bel et bien le mélange de confusion et de perte de prise sur le réel qui caractérise en profondeur les narrations et les personnages de Michel Rozenberg. Folie brute ou larvée, pièges de la mémoire ou de la conscience, traquenards posés aux narrateurs par leurs avatars sinon par eux-mêmes, chausse-trappes du souvenir ou de l’anticipation du pire, tout se conjugue pour mener à leur perte les protagonistes de ces fictions, qui dès lors n’ont d’autre choix que de dévaler les escaliers sans fin du délire. Condamnés par la connaissance intime que leurs doubles secrets ont d’eux-mêmes, destinés à errer dans les labyrinthes de leur folie, il n’est pour eux nul retour en arrière possible, nulle échappatoire par laquelle ils pourraient se soustraire à leur destin.
Après Jean-Pierre Favard et ses maisons hantées, les éditions Lokomodo nous présentent donc Michel Rozenberg et les maléfices d’un temps qui n’est rien d’autre que le miroir de l’âme. Cette idée de recueils caractérisés à la fois par un auteur et par un thème représente une initiative éditoriale originale et intéressante dans le paysage du fantastique contemporain : gageons que d’autres volumes viendront bientôt s’inscrire dans cette mouvance prometteuse.
Les Maléfices du Temps
Michel Rozenberg
Couverture : Jimmy Kerast
Lokomodo
6 euros