La jeune détective et autres histoires étranges – Kelly Link

Avec douze nouvelles de taille respectable – entre vingt et quarante-cinq pages chacune –  Folio SF propose, en rééditant un volume précédemment paru en Lunes d’Encre chez Denoël, un tour d’horizon de l’œuvre de Kelly Link. La plupart des récits de ce recueil étaient à l’origine inédits en français : l’occasion, donc, de découvrir un auteur maintes fois récompensé outre atlantique.

 Nymphéas, Lilas, Lilas, Iris décrit, dans un étrange no man’s land en bordure de mer, les errances d’un homme qui vient de mourir. A son épouse encore vivante, dont il ne parvient pas à retrouver le nom, il écrit, pour les poster dans une boîte non loin d’un hôtel désert, de longues lettres qui seront emportées par la marée. Si cette idée de monde intermédiaire, de limbes paisibles où l’on parvient peu à peu à prendre conscience de son nouvel état n’a rien de véritablement nouveau, Kelly Link parvient à conférer à l’ensemble de petites touches de mystère et de poésie.

 Oscillant entre fantastique classique et horreur moderne, Le Chapeau du spécialiste met en scène des enfants qui jouent à être morts. Un soir, leur père les confie à une baby-sitter qui connaît beaucoup trop bien leur propre demeure, leur révèle le chemin d’accès à un grenier où se trouve un étrange chapeau. Jeu d’épouvante ou épouvante réelle ? Un récit tout en finesse qui n’est pas sans évoquer certains contes de Ray Bradbury.

 C’est plutôt à Steven Millhauser que l’on pense en  lisant La jeune Détective. Une rumeur, une légende urbaine, un mythe, une fantaisie, un fantasme, qui est réellement la jeune détective ? Difficile de se faire une idée précise à travers la poésie, l’inventivité, la richesse des images, une sorte de kaléidoscope dont les reflets nourrissent une nouvelle réellement étrange, dont la fin en mi-teinte apparaît comme un éloge de l’imagination.

 Le Sac à main féerique oscille entre conte classique et contemporain. Menacée, une étrange peuplade se réfugie dans un sac à main magique. Celui-ci est protégé par la grand-mère de la narratrice, qui peu à peu découvre ses propriétés singulières. Et s’il est possible de s’y faufiler, le temps ne s’y écoule pas à la même vitesse que dans le monde extérieur.

 Avec Kelly Link, nous avons surtout affaire à un fantastique d’ambiance, parfois ambigu, qui s’installe par petites touches, et qui laisse l’imagination du lecteur travailler. En joignant par des liens subtils des éléments en apparence disparates, Kelly Link  confère à ses récits une cohérence et une fantaisie singulières. Loin des chemins battus, à l’opposé ouvertement avoué d’un fantastique explicite, elle bâtit des nouvelles intimistes où l’horreur apparaît comme un choix possible. Et la magie qui se dégage de ses textes ne naît pas seulement des évènements inexplicables, mais aussi des relations humaines et d’un esprit ouvert à la musique poétique du monde.

 Reste que cette magie ne fonctionne pas à tout coup, et que plusieurs récits déçoivent. Plan d’urgence anti zombies, une histoire à la fois curieuse et fortement inquiétante, se trouve desservie par une fin certes ambiguë – comme le veut souvent le genre – mais qui peut sembler manquer d’homogénéité avec le reste du récit. On exprimera la même réserve pour Animaux de Pierre, histoire d’une hantise sournoise, rampante, indescriptible, originale et réussie dans la mise en scène d’une ambiance inquiétante au cœur du quotidien, mais gâchée, elle aussi, par une fin pas tout à fait cohérente, alors que l’on attendait quelques chose à la manière de La Cage de Jeff VanderMeer. La trame trop mince de  Peau de Chat s’effiloche rapidement, tout comme celles de Chaussures et mariages ou de Le Fantôme de Louise qui ne parviennent pas à convaincre. Leçons de vol et  Voyage avec la Reine des Neiges, malgré des idées intéressantes, suscitent les mêmes réserves. On trouve dans ces récits des touches de poésie, des fragments de contes de fées détournés, mélangés avec des éléments de la vie quotidienne ou de l’histoire contemporaine eux aussi revisités comme cet avatar d’Imelda Marcos, des fantasmes souvent très féminins, des aspects horrifiques variés, parfois sanglants, et toujours cette progression par petites touches, parfois efficace et parfois moins.

 Fort heureusement Magie pour débutants vient clôturer le volume avec élégance. Entouré par un père auteur de romans d’horreur à base d’araignées géantes et par une mère qui vient d’hériter d’une cabine téléphonique et d’une chapelle spécialisée dans les mariages à Las Vegas, un adolescent suit avec ses amis une série d’épisodes fantastiques diffusée de manière erratique sur des stations de télé fantômes, elles mêmes surveillées par un vaste réseau de fans. Et la Renarde, personnage principal de cette série, semble s’immiscer peu à peu dans le monde réel. Ambiance pleine de fantaisie, réflexions originales, questionnements farfelus, et tonalité un rien décalée concourent à créer une ambiance atypique, un récit à la fois étrange et plaisant.

Que conclure, en définitive, de ces douze nouvelles ? Comme pour tout recueil, il importe de se focaliser sur les récits remarquables et de ne pas s’arrêter à ses scories. Ce volume permet de découvrir un auteur original, manifestement déterminé à tracer un sillon qui lui est propre, clairement éloigné des recettes commerciales et des ficelles enseignées dans les ateliers d’écriture. Une voix personnelle et une petite musique particulière que l’on aimerait, malgré ses imperfections, encore lire et entendre.

Kelly Link

La jeune détective et autres histoires étranges

Traduit de l’américain par Michelle Charrier

Couverture : Benjamin Carré

Folio

8,20 euros

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