Ce recueil de nouvelles fantastiques fait partie de mes grands retardataires et je tiens d’ailleurs à m’en excuser auprès de l’auteur. Je dois d’ailleurs aussi m’en excuser auprès des lecteurs du site et de moi-même, car pendant tant de temps je suis passé à côté d’une véritable merveille. Car c’est bien ce qu’est Quand je serai grand je serai mort : un petit bijou de fantastique distillant avec soin son horreur et sa poésie.
Commençons comme d’habitude par la couverture. Réalisée par Sylvia Hillard à partir d’une illustration de Sébastien Bernes elle représente à merveille la nouvelle Pour qui croassent les corbeaux ? et l’ambiance générale qui se dégage du recueil. Une couverture parfaitement adaptée, qui met directement le lecteur dans le bain.
En parlant de bain il est plus que temps d’entrer dans le vif du sujet. Le recueil commence par un exergue de Claude Seignolle (tout de même !) et par une longue préface. Autant l’exergue de Claude Seignolle vient mettre le lecteur dans de bonnes dispositions vis-à-vis du recueil, autant la préface de David Dunais est réellement trop longue et le lecteur se dispensera aisément de sa lecture sans ressentir un manque. Mais le plus intéressant reste à venir avec les nouvelles elles-mêmes.
Dans ce recueil il existe un fil rouge assez surprenant que le lecteur saura apprécier à sa juste valeur. En effet Les rêveries du promeneur suicidaire apparaît comme un texte de douze lignes assez pauvre et inattendu en inauguration de recueil. Mais le texte va se poursuivre, après chacune des autres nouvelles, par petites touches, créant un univers totalement à part et le lecteur attend avec impatience de le découvrir. Un excellent choix que ce texte atypique, à la forme surprenante, mais au contenu ô combien passionnant. On se prendrait presque à aller directement à la fin des autres nouvelles simplement pour suivre en continu les aventures de ce promeneur…
On entre dans le cœur des textes avec Pour qui croassent les corbeaux ? Cette histoire de petite fille surprenante s’adressant à un pendu et dressant des corbeaux fait dresser les poils sur les bras, mais parvient à enchanter le lecteur grâce à la plume de Nicolas Liau. Corps et biens est une nouvelle à l’ambiance plus feutrée, plus intime qui invite le lecteur à partager l’aventure surréaliste d’une pauvre veuve dépossédée de manière surprenante des biens de son défunt mari. Changement d’ambiance avec Frau Welt où une histoire d’alchimiste et de son fils vient réellement troubler le lecteur. Chercher à vaincre ou à accueillir la mort semble être un leitmotiv que l’on retrouve dans ces nouvelles. A cœur perdu n’échappe pas à cette règle puisque le dialogue entre le lecteur et le vagabond m’a vraiment pris aux tripes tandis que le final est assez inattendu pour vraiment m’avoir surpris… L’histoire de fantômes de Dernières volontés d’une pucelle est, à mon sens, l’un des textes à l’horreur la plus exprimée. Commençant tout en douceur elle vient saisir le lecteur au moment où il s’y attend le moins. Une grande réussite. La corde pour le criminel est le texte le plus étrange de ce recueil. Entre fantastique surprenant et horreur de l’action le lecteur devrait trouver son content. On se prend presque à avoir pitié de ce pauvre petit vieux…
La Complainte des Xylanthropes est la plus longue nouvelle placée ici. Et sûrement pas la moins réussie. Surprenante et pourtant emplie d’une mélancolie réellement prenante elle m’a emporté auprès des racines des arbres pour écouter leurs sombres pensées. Je pense que ce texte est vraiment celui qui offre le plus bel écrin au talent de Nicolas Liau. Après cette nouvelle un palier est franchi et la dernière ligne droite vers la fin du recueil est devant le lecteur.
J’irai marcher sur vos tombes est un texte à la fois horrible et assez drôle. Cette histoire de bottes vient à merveille détendre un peu l’atmosphère sombre du livre. Mais bien vite le lecteur replonge dans le dramatique avec Trois petites goulées de mort pure. Mélancolique et prenante à souhait cette nouvelle vient emplir le lecteur d’une tristesse particulièrement intense. Deuil pour deuil renoue avec les aspects plus légers des contes fantastiques de Nicolas Liau où le mystère et l’ombre viennent se lier à une sorte d’humour noir particulièrement appréciable. La fin de la nouvelle avec son cercueil surprend et fait sourire le lecteur… La mort dans l’âme empreint le lecteur de mélancolie. L’histoire de cette vieille femme recueillant la mort à l’aide de son instrument de musique pour ensuite la boire et mettre fin à ses jours est particulièrement séduisante tout en emplissant le lecteur d’une certaine horreur devant le geste. Thanaphobos est un texte particulièrement surprenant et difficilement définissable. La gigue mortelle du vieil homme laisse rêveur… Le mouroir aux tourterelles est par contre le texte le plus triste de ce recueil et de loin. Je n’ai pas pu le quitter avant la dernière ligne tant je me suis laissé prendre au jeu de cette mélancolie sournoise qui vient s’insinuer dans le cœur du lecteur à la lecture du drame qui se noue sous ses yeux, jusqu’au final funèbre attendu, mais néanmoins prenant. Le Martyre des cendres et Et si tu m’aimes, tombes avec moi viennent conclure ce recueil de la plus belle façon, proposant des histoires de cercueils et de pigeonniers qui viennent clore avec talent ce livre.
La postface vient, en une page, donner au lecteur une vision de la manière dont l’auteur voit la conclusion de Quand je serai grand je serai mort : mélancolique, tel un poète torturé qui couche sur le papier les ténèbres de son esprit.
Car c’est bien cela qu’est Nicolas Liau : un poète, un architecte des mots qui vient instiller un poison sirupeux dans les veines de son lecteur. Il prend réellement aux tripes, joue avec les sentiments comme avec les mots, avec toujours la mort en toile de fond. L’idée de commencer la plupart des textes par « Il était une fois » ou « Il y avait une fois » permet de créer une ambiance de contes assez ravissante et décalée pour séduire le lecteur.
Quand je serai grand je serai mort est donc l’un de mes plus grands regrets et un de mes plus grands bonheurs. Plus grands regrets, car j’aurais dû le découvrir et l’encenser bien avant tant il est excellent. Et c’est bien pour cela que c’est un de mes plus grands bonheurs. Je suis un pur amateur de fantastique à la française : poétique, ravissant et mélancolique. Et j’ai trouvé tout cela dans ce recueil et dans la plume de Nicolas Liau. Du bonheur à l’état pur, de la tristesse dans les veines, la mort dans l’esprit. Voilà ce que j’aime et ce que cet auteur d’un talent rare est capable de vous offrir. Jetez-vous sur ce recueil à la première occasion et entrez dans le macabre petit monde qui vous est proposé. Vous n’en ressortirez peut-être pas vivants…
Quand je serai grand je serai mort
Nicolas Liau
Collection Histoires d’Encres
Les 2 Encres
14 €