Un vent étrange souffle sur la science-fiction française, et il nous emportera tous avec lui.

Sur Sophis, tous les Vifs sont soumis au règne implacable du Vent rouge. Simple phénomène météorologique ou manifestation surnaturelle, peu leur importe, quand il souffle les souvenirs s’envolent, se mélangent, se perdent. Nul n’échappe à ses effets. Ni Anat à la curiosité insatiable. Ni Djimil et ses nouvelles responsabilités. Ni Tiqfu qui doit conserver le souvenir le plus précieux de son peuple, quoi qu’il en coûte. Pas même Satia, l’Oppresseur surgi d’un passé douloureux que les habitants de Sophis pensaient avoir laissé loin derrière eux. Le Vent rouge ne cesse de souffler, et le temps presse. S’engage alors une course à travers une jungle truffée de dangers, car l’arrivée de Satia pourrait augurer leur salut comme leur perdition.
Vent Rouge, c’est une idée originale, qui souffle comme un vent sec et inattendu sur la science-fiction française. Emmanuel Quentin nous livre ici un roman court mais dense, ambitieux, et fascinant. Dès les premières pages, on plonge dans un univers complexe mais remarquablement cohérent, où l’instabilité même du monde devient une forme d’équilibre. Sur la planète Sophis, tout semble mouvant, incertain, car les souvenirs eux-mêmes peuvent être arrachés, échangés, perdus… Et c’est dans cette instabilité permanente que l’auteur installe son intrigue. Un pari risqué, mais parfaitement maîtrisé.
Avec Vent Rouge, Emmanuel Quentin offre un renouveau à la SF française, un texte à la narration fluide, rythmée, jamais gratuite. Les rebondissements sont nombreux, mais toujours au service de l’histoire bousculant la perception du lecteur, questionnant sa compréhension du monde, de l’identité, de la mémoire. C’est un roman qui ne cherche pas à tout expliquer, mais qui laisse de la place à l’interprétation, à l’imagination, au ressenti.
La conclusion, un peu abrupte, pourra en déstabiliser certains. L’auteur choisit délibérément de laisser des zones d’ombre, de ne pas tout boucler. Et pourtant, cette fin fait sens. Elle résonne avec tout ce qui a précédé. On referme le livre avec la sensation étrange d’avoir compris l’essentiel, sans pour autant pouvoir saisir complètement le cœur du mystère. Un flou maîtrisé, qui pourra frustrer quelques lecteurs, mais qui correspond parfaitement à l’esprit du roman.
Les personnages sont à l’image du monde : marquants, ambigus, profondément humains dans leurs contradictions.
Satia Layre, l’enquêtrice venue d’ailleurs, incarne ce regard extérieur, logique, rigide, confronté à une société qui défie toutes ses certitudes. À ses côtés, Anat, habitant de Sophis, lance l’intrigue presque malgré lui. Ses choix impulsifs, déclenchant une réaction en chaîne qu’il ne pourra plus contrôler. Djimil, jeune gardien du souvenir, est sans doute l’un des personnages les plus touchants : pris entre son rôle, son héritage, et ses propres fragilités, il illustre parfaitement cette identité mouvante qui caractérise Sophis. Et puis il y a Tiqfu, discrète, essentielle, pilier silencieux au cœur du chaos.
Tous ces personnages évoluent, changent, doutent. Aucun n’est figé, et ils évoluent devant le regard attentif du lecteur.
En résumé, Vent Rouge est une excellente surprise, un roman court mais marquant, à la fois sensoriel, abstrait et profondément humain. Emmanuel Quentin réussit à poser des questions essentielles sans jamais les forcer, à installer un monde complexe sans l’alourdir, et à offrir une lecture aussi originale que stimulante. Une vraie réussite qu’on recommande sans hésiter.