Spine – Myrkur

Il serait audacieux, voire insensé d’essayer de placer Myrkur, nom du projet et pseudonyme de l’artiste multi-instrumentiste danoise Amalie Bruun, dans une case, tant les facettes de sa personnalité artistique sont nombreuses et paraissent, à priori tout du moins, antinomiques. Après être passée par l’indie pop avec le projet Ex Cops, celle qui avait notamment officié comme modèle sous la houlette de Martin Scorsese pour la marque Chanel a en effet amorcé un virage musical d’une souplesse extrême en donnant naissance en 2014 à Myrkur, son projet black metal, au sein duquel des influences toutes aussi diverses que de prime abord incompatibles parviennent à se combiner et se magnifient mutuellement en une symbiose singulière dont l’artiste a le secret.

Spine, quatrième offrande de Myrkur (si l’on exclut notamment l’EP éponyme et le tout récent Ragnarok, composé pour la pièce de théâtre du même nom jouée cette année au Théâtre royal danois) ne fait pas exception et plus encore, exergue comme peut-être jamais auparavant cette symbiose si particulière née des multiples inspirations de sa compositrice et interprète.

L’album, enregistré au studio Sundlaugin en Islande et produit par Randall Dunn, qui avait déjà collaboré avec Myrkur sur Mareridt en 2017, s’ouvre sur Bålfærd (« Funérailles Viking » en danois), un morceau instrumental tout en douceur sur lequel se superpose une mélodie voix, le tout rappelant effectivement très fortement l’imaginaire nordique de l’époque médiévale tel qu’aujourd’hui conçu dans notre culture moderne. Cette introduction « marque une rupture avec le passé tout autant que l’émergence de quelque chose de nouveau par les flammes » [Relapse Records], pour celle qui est devenue maman avant de commencer l’écriture de ce disque et qui a puisé au cœur de ces émotions nouvelles pour y trouver les inspirations de Spine.

Like Humans, premier single dévoilé au mois d’août dernier, sonne exactement comme ce que j’espérais entendre sur ce nouveau disque, après l’album entièrement acoustique (mais non moins intéressant) Folkesange. Les guitares hyper-saturées typiques du black metal sont de retour et ouvrent la chanson dans une ambiance glaciale.

Le mysticisme des paroles sublimement racontées par la voix de la chanteuse transporte l’auditeur dans un voyage, à la fois par-delà les horizons de son imaginaire mais en même temps profondément introspectif, l’invitant peut-être, selon sa sensibilité, à prendre le temps de considérer sa condition à la fois propre et au sein de l’humanité, ainsi que comme partie intégrante du monde auquel il appartient. C’est en tout cas dans cet état d’esprit que Myrkur, à la fois touchée par l’isolement induit par la pandémie de 2020 et par ses premières années de maternité dans ce contexte particulier, a écrit cette chanson : « Traverser tous ces changements en même temps m’a désespérément fait désirer ressentir une connexion avec la Terre et les humains. Écrire et enregistrer cet album m’a aidé à guérir et à accomplir ce rêve. », avait-elle indiqué à la presse.

Les refrains sont terriblement efficaces et le chant de Myrkur confère à la chanson une étonnante légèreté, tant les angoissantes rythmiques saturées et le martèlement des cymbales crash dans la seconde partie des refrains auraient pu clouer l’auditeur au sol ; il n’en est rien, l’équilibre est parfait, même pendant le dernier refrain au cours duquel surgit un blast beat aussi surprenant que bienvenu qui ajoute encore un peu de profondeur au morceau.

 

Mothlike, second single de l’album, est bien plus lumineux et dansant avec sa rythmique electro/pop qui tranche complètement avec le titre précédent. Alors que l’on peut commencer à penser que la chanson sera une parenthèse chaleureuse et l’occasion de se remettre du voyage Like Humans, Myrkur surprend encore et saisit l’auditeur à la gorge avec un nouveau blast beat agrémenté de deux voix : l’une angélique, l’autre torturée, alors que la mélodie électronique des claviers se fige sur une courte série de notes répétées en boucle tout au long de ce pont, renforçant le sentiment d’inquiétude, presque claustrophobique que l’artiste tente d’insuffler à l’auditeur pris au piège qui ne se voit délivré que lorsque le refrain revient casser cette boucle infernale. S’en suit un étonnant solo de guitare typé hard rock 80’s qui vient conclure le morceau.

Déconcertante de prime abord, la chanson gagne en cohérence au fur et à mesure des écoutes, d’elle-même et de l’album dans son entièreté. Elle est probablement sur ce disque la meilleure expression de la symbiose psychédélique que parvient à concevoir Myrkur, laquelle semble ne s’imposer aucune entrave créative et prendre plaisir à jouer avec l’ensemble de ses influences dans des expérimentations aussi déroutantes que finalement harmonieuses.

 

La tension redescend avec l’apaisante My Blood Is Gold, ballade acoustique en piano/voix simplement agrémentée de quelques cordes qui viennent ajouter du relief au morceau. Une parenthèse de douceur pure qui introduit la chanson titre Spine, qui démarre sur les mêmes bases avant de réintroduire les guitares saturées puis les lignes plus agressives de batterie, le titre formant une alternance entre la douceur des couplets et la brutalité maîtrisée des refrains. On devine que la chanson constitue le cœur et une synthèse de l’album et qu’elle est peut-être la plus personnelle jamais écrite par Myrkur : un message d’amour à l’enfant qui a fait d’elle une mère et lui a offert l’équilibre et l’humanité desquelles elle était en quête ; pouvons-nous supposer.

Valkyriernes Sang, chantée en danois, langue maternelle de Myrkur, est assurément la chanson la plus metal et agressive de l’album. Troisième et dernier single dévoilé avant la sortie de l’album, il est une incursion au cœur de la mythologie nordique et une ode à la gloire des Valkyries, ces divinités envoyées par Odin pour accompagner les plus valeureux guerriers tombés au combat vers le Valhalla afin d’y rejoindre les dieux et se préparer aux évènements du Ragnarök. Le titre inclut un joli pont acoustique rythmé au son de percussions tribales rappelant effectivement l’imaginaire Viking et offrant une belle mise en valeur de la voix de la chanteuse, avant de repartir à toute allure vers une outro metal qui conclut la chanson.

 

Blazing Sky s’inscrit dans la continuité du titre précédent et forme avec lui la section la plus metal de l’album. Le tempo lent du morceau tend à renforcer la puissance des rythmiques et de la batterie tandis que le chant de Myrkur contribue à intensifier l’aura ténébreuse de la chanson.

La très belle Devil In The Detail, dont les sonorités s’approchent à mon sens beaucoup de celles de Folkesange, vient prendre l’auditeur par la main pour une dernière balade et lui permet de doucement redescendre en l’accompagnant vers la fin du voyage spirituel entrepris avec l’écoute de ce disque, que conclut, presque comme une berceuse, Menneskebarn.

Si Spine a de quoi surprendre, voire dérouter au premier abord, il s’appréhende naturellement au fil des écoutes et se révèle alors d’une cohérence indéniable. Bien qu’il semble puiser beaucoup de ses inspirations au travers des précédentes œuvres de l’artiste, ce disque est bien davantage qu’une simple synthèse. Les expérimentations qu’il propose, en jouant parfois à combiner des influences aussi variées que d’ordinaire antinomiques, auront peut-être de quoi déplaire aux plus puristes des auditeurs, mais Myrkur prouve avec cette œuvre qu’elle est un oiseau libre et que l’envergure de ses ailes lui permet d’explorer les horizons qu’elle désire sans devoir se résoudre à faire de compromis.

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