Sous d’élégantes couvertures d’Aurélien Police, la collection Une heure-lumière des éditions du Bélial’ propose depuis plusieurs années des romans courts mais denses qui, avec des auteurs comme Greg Egan, Stephen Baxter, Ken Liu, Paul Di Filippo, Ian McDonald, Claire North ou Lucius Shepard, ont déjà séduit un vaste lectorat. La collection accueille également quelques auteurs français, parmi lesquels Olivier Caruso, déjà abondamment publié dans les pages de Bifrost, qui livre ici sa première novella.
“Le jour de ses dix-huit ans, Rebecca Bertrand a commis l’irréparable. Au couteau. Dans un déferlement de violence rien moins qu’effroyable. Rebecca Bertrand, fille de Stéphane Bertrand, ce génie des neurosciences en passe de révolutionner la biotechnologie à l’échelle du monde avec sa firme Neurotech. Que s’est-il passé dans la tête de Rebecca pour se livrer à une telle atrocité ? Le jour de sa majorité ? Sur sa propre mère ? C’est tout l’enjeu du procès en passe de s’ouvrir, et ce qu’Amélie Lua, charismatique ténor du barreau, devra découvrir. Et vite, si elle veut éviter la perpétuité à sa cliente. Car déjà la vox populi des réseaux sociaux omniprésents a rendu son verdict… et quelque part, dans les secrets du cerveau malade d’une jeune femme, entre la pianiste assassinée, le scientifique révolutionnaire et l’avocate en quête d’absolu, patiemment, une araignée tisse sa toile… ” (Quatrième de couverture)
« C’est de ta faute à toi. L’araignée c’est toi. »
Elle se nomme Rose Vadia, elle a été une pianiste adulée. Elle est morte, tuée à coups de couteau, de toute évidence par sa fille Rébecca, tout juste majeure. Responsable donc. Du moins si l’on exclut sa bizarrerie, causée par une tumeur cérébrale inopérable. Qui fait d’elle une coupable idéale. Les réseaux sociaux, dans ce futur proche où l’opinion publique ubiquitaire influe jusqu’aux juges les plus incorruptibles, en font leurs choux gras. D’autant que la pianiste n’était pas la seule à être célèbre : le père, Stéphane Bertrand, est un médecin chercheur déjà couvert de gloire, qui plus est sur le point de finaliser des avancées majeures au sein de sa firme Neurotech.
« Imagine ce que ça fait d’apprendre que tous les indices se rejoignent : tu vas assassiner quelqu’un. Il y a 85 % de chances pour que tu deviennes une tueuse. Le poids sur la tête d’une enfant fragile. »
L’univers décrit par Olivier Caruso, qui sans en avoir l’air lorgne du côté de la dystopie, n’est autre que le présent abominable que nous nous évertuons chaque jour à construire. Le futur proche non pas de demain, mais déjà celui d’aujourd’hui. Un monde où l’on peut suivre en direct l’opinion de la meute, de la foule, un monde où l’on peut à chaque instant mesurer le taux de culpabilité de Rébecca dans l’opinion publique. Un monde ou l’irréfléchi, l’émotion, la bêtise pure, la stupidité crasse, la crétinerie brute l’emportent. Un monde où un bon avocat, comme Amélie Lua, une vieille amie de la famille, peut se révéler suffisamment madrée et rouée pour espérer faire basculer l’opinion en faveur de Rébecca. Pour manipuler la foule, au fond guère plus qu’un simple pantin, comme la tumeur de Rébecca manipule son esprit, ou comme les blessures cérébrales de patients célèbres de l’histoire de la neurologie, au premier rang desquels Phineas Gage, ont suffi à changer leur personnalité.
« Tout le monde veut s’améliorer, nous souffrons trop de nos défauts. Si une meute de nano-robots peut vous changer en quelques zips, alors il n’y a plus de faute morale, quelques zaps, plus de monstre abominable, quelques clic, plus de coupables »
Un roboticien hackeur amateur de théâtre neuro-contrôlé, des empreintes neuronales, des taux d’alcoolémie qui s’affichent en rouge sur les avant-bras, des systèmes permettant de mesurer en permanence et en instantané les taux de neuromédiateurs cérébraux comme la dopamine et la sérotonine, des nano-robots capables d’effacer les souvenirs, des caméras miniatures jetant en permanence tout évènement, aussi insignifiant soit-il, en pâture aux réseaux sociaux, autant d’éléments à la base de ce techno-thriller qui malgré sa quasi-contemporanéité s’inscrit également dans les courants biopunk et cyberpunk. Un futur limpide, des lendemains qui chantent et aussitôt déchantent étouffés par les algorithmes et leurs prédictions – un petit goût, donc, du Minority Report de Steven Spielberg, lui-même inspiré de la nouvelle éponyme de Philip K. Dick. Mais ce Symposium Inc., dans ses questionnements, va plus loin, plus loin également que le Gun Machine de Warren Ellis qui questionnait la culpabilité en fonction de l’état chimique du cerveau. Plus loin, parce qu’il interroge les notions de déterminisme et de libre arbitre, de manipulations des foules comme de manipulation de l’individu, de l’influence des progrès technologiques sur nos façons de réagir et de penser, et bien d’autres éléments encore. En même temps thriller et œuvre d’anticipation, Symposium Inc.. interroge notre monde et son devenir, et pousse à réfléchir à notre propre et proche futur.
Sous un format idéal pour ceux que les pavés rebutent, ce Symposium Inc. en dit plus en moins de deux cents pages que bien des romans à rallonge. Rythmé et facile à lire, il donne néanmoins à réfléchir, non pas plutôt deux fois qu’une, mais sans cesse et sur bon nombre de thématiques qui nous concernent tous. Novella en équilibre sur la crête de l’onde qui parcourt notre monde – celle du présent en train de basculer vers le futur – Symposium Inc. est pour Olivier Caruso une belle entrée dans le monde du roman court. Une réussite, et un auteur qu’on espère revoir dans la collection Une heure-lumière.