Avec Anergique, Célia Flaux nous propose une histoire fascinante dans laquelle l’énergie revêt une importance majeure pour le meilleur et pour le pire, comme la menace d’une terrible violeuse d’énergie va nous le prouver…
Angleterre XIXe siècle. Lady Liliana Mayfair est une garde royale, mais aussi une lyne capable de manipuler la magie. Elle et son compagnon Clement partent en Inde sur les traces d’une violeuse d’énergie. Leur unique piste : Amiya, la seule victime à avoir survécu à la tueuse. De Surat à Londres, la traque commence. Mais qui sont véritablement les proies ?
En lisant le résumé, j’ai été étonnée du terme employé pour désigner l’antagoniste du roman : une violeuse d’énergie et non une voleuse d’énergie. Mais en parcourant le roman, le terme s’impose assez vite à nous. Tout dans la description de ses méfaits concorde avec la notion de viol, ce que retranscrit d’ailleurs parfaitement l’autrice que ce soit à travers le vocabulaire employé ou les séquelles psychologiques de l’une de ses victimes, Amya. Une victime spéciale puisque c’est la seule qui ait jamais survécu à une attaque de cette tueuse qui, après des années de silence, semble de nouveau faire des siennes.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Lady Liliana Mayfair et son compagnon, Clement, décident de se rendre en Inde. La première s’y rend en tant que garde royale pour mettre un terme définitif à cette menace, et le second en tant que son dena, mais aussi ami d’Amya. Ce dernier porte encore les stigmates de son agression par la tueuse alors qu’il était enfant, le rendant, entre autres, incapable d’assurer sa fonction de dena, de donneur d’énergie pour les lynes. À cela s’ajoute un caractère que l’on pourrait qualifier d’effacé et de démissionnaire, car s’il excelle dans sa fonction de précepteur, il semble, en revanche, avoir abandonné les autres aspects de sa vie, plus par peur que par envie.
Ce personnage se révèle intéressant par sa psychologie, mais aussi par la manière dont sa peur viscérale à l’idée de donner son énergie à une lyne le rapproche de l’anergie de Liliana. Cette dernière, de peur d’épuiser une mère déjà bien sollicitée par un père vorace, a pris très tôt l’habitude de se restreindre jusqu’à perdre sa sensation de faim, obligeant son dena à anticiper ses besoins… Un producteur d’énergie incapable de donner, et une consommatrice incapable de consommer sans être sollicitée. En voici un duo atypique qui nouera, petit à petit, une relation de confiance, une question de survie d’ailleurs pour ces derniers, le danger rôdant et se faisant de plus en plus pernicieux.
La traque de cette tueuse en série est rythmée et ponctuée de scènes d’action particulièrement bien amenées au cours desquelles les rôles de proie et de gibier permutent régulièrement. Car si Liliana et ses compagnons la cherchent ardemment, celle-ci désire également achever ce qu’elle n’avait pas réussi à faire il y a des années de cela, tuer cette proie avec laquelle elle a noué un étrange lien. De Surat à Londres, la traque est sans pitié, notre tueuse étant vicieuse à souhait, et ses intentions peut-être bien plus fourbes que ce que sa bestialité ne laisserait supposer.
J’ai d’ailleurs apprécié que derrière cette histoire de viol d’énergie par une femme réduite plus ou moins à son instinct de chasse, du moins en apparence, l’autrice évoque la véritable monstruosité, celle qui prend parfois des formes respectables, et qui se cache derrière la bienséance, l’étiquette et des règles absurdes établies par et pour des personnes privilégiées de par leur naissance et leur couleur de peau. Ainsi, derrière l’œuvre de fiction se cache une critique juste et éclairée de cette société victorienne dominée par une classe de nobles imbue d’elle-même, raciste et méprisante qui exploite sans vergogne les moins nantis. Une classe dont Liliana a depuis longtemps rejeté les valeurs conservatrices et profondément injustes, au grand dam d’un père ancré dans un système qu’il est bien décidé à perpétuer et défendre…
Comme toujours avec les romans de la collection Naos, le style est très accessible et particulièrement immersif. Dès les premières pages, l’autrice tisse sa toile autour de lecteurs curieux d’en apprendre plus sur les concepts de viols d’énergie, de lyne et de dena, et d’un système de magie intéressant, mais qui aurait peut-être mérité d’être un peu plus exploité. En revanche, ce qui est particulièrement bien développé et qui n’est pas dénué d’originalité, c’est la relation de dépendance des lynes envers des denas qui n’ont certes pas de pouvoirs propres, mais dont la puissance est indéniable. Car si ces derniers peuvent vivre sans aucune lyne dans leur vie, la réciproque n’est pas vraie. Ainsi, même les puissants sont ramenés à leurs propres limites physiques et à leur dépendance envers des personnes que la société tendrait à considérer comme inférieures et soumises. À cet égard, il est intéressant de noter que s’il est communément admis que les denas sont soumis par nature, il s’agit là avant tout d’éducation. Difficile de ne pas faire un parallèle avec les relations de domination que les hommes ont longtemps cherché à imposer aux femmes, a fortiori dans une société aussi conservatrice que celle de l’Angleterre du XIXe.
En conclusion, entre Inde et Angleterre, préparez-vous à une aventure rythmée durant laquelle nos personnages vont être mis à rude épreuve et de terribles vérités être dévoilées, la monstruosité pouvant prendre bien des apparences. Œuvre de fiction en même temps que critique d’une société victorienne engoncée dans des faux-semblants et des principes douteux, voici un ouvrage qui ne devrait pas manquer de vous emporter.